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Monsieur le Ministre,
En qualité d’historienne qui travaille depuis de nombreuses années sur le massacre de Thiaroye, j’ai assisté à la commémoration du 80ème anniversaire de ce massacre. Je ne cache pas avoir éprouvé une grande satisfaction à l’écoute du discours du président Bassirou Diomaye Faye tout en force et en subtilité, ce discours fera date.
J’attendais un discours de la France permettant d’effacer la mascarade du 70ème anniversaire. J’ai perçu une avancée certaine mais hélas pas à la hauteur des enjeux.
Vous avez mentionné que la moitié du contingent a refusé d'embarquer à Morlaix sur le Circassia. Cela ferait 1000 hommes à débarquer à Dakar alors qu'ils étaient plus de 1600 sachant que 315, selon les chiffres de la Croix-Rouge, ont refusé d’embarquer à Morlaix et ils n’étaient pas 630 à devoir embarquer mais 2000. Ce n'est pas la même chose. Vous avez dit aussi qu'ils ont été démobilisés avant les autres. En réalité, ils devaient être démobilisés à Thiaroye et ont été libérés avant les prisonniers de guerre qui étaient en Allemagne (libération seulement en mai 45).
Ce 1er décembre 2024, à Thiaroye, vous avez repris le narratif de 2014 : le 1er décembre 1944 les hommes de Thiaroye poussèrent un immense cri de colère, en 2014, le président Hollande évoquait un cri d'indignation. Non, les hommes ont été rassemblés sur ordre des officiers et n'ont pas crié leur colère, ils ont été fauchés par les automitrailleuses alors qu'ils espéraient être payés de leurs soldes. Vous avez évoqué la transmission des archives en 2014 mais toutes les archives consultables n'ont pas été transmises : il manque celles qui prouvent la spoliation et celles qui montrent la diminution du nombre de rapatriés pour camoufler le nombre de victimes. Et évidemment, il manque toutes celles qui ne sont toujours pas consultables comme la liste des rapatriés, la liste des victimes, la cartographie des fosses communes, etc. Les autorités françaises se sont bien gardées de les montrer à la délégation sénégalaise venue en France pour tenter de s'approcher de la vérité. Elle n’a pas non plus reçu le motif de la sanction infligée à un officier particulièrement compromis.
Vous avez cité un extrait de la lettre du président Macron dans laquelle il évoque la confrontation entre les militaires et les tirailleurs mais les tirailleurs sont des militaires et comment peut-on parler de confrontation entre des hommes désarmés face à des automitrailleuses. Vous avez choisi de citer ce propos "un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre", alors qu’il s’agit d’un massacre prémédité. « L’enchaînement de faits » minore la réalité de la violence et de la brutalité et surtout sous entend encore une fois des exactions qu’auraient commis ces ex-prisonniers de guerre ce 1er décembre. Ils ont été rassemblés sur ordre des officiers pour être exécutés.
Cependant, j'ai beaucoup apprécié vos propos en guise de conclusion : "Pas d'apaisement sans la justice et pas de justice sans la vérité". Pour atteindre cette justice, le garde des Sceaux doit saisir la commission d'instruction de la Cour de Cassation pour faire aboutir le procès en révision des 34 condamnés et, pour s’approcher de la vérité, le ministre des Armées, doit rendre consultables toutes les archives sans aucune restriction.

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Comment Biram Senghor, seul descendant connu de victime, peut trouver un apaisement, alors que l’État français a refusé, en septembre 2024, la proposition de règlement amiable émise par la CEDH ?
Le 28 novembre 2016, Laurent Pic, directeur de Cabinet du ministère des Affaires étrangères et du Développement international me répond en ces termes sur l’exhumation des corps : « […] sur la question des éventuelles exhumations que vous évoquez, le Ministre fait entièrement confiance aux autorités sénégalaises, pour exprimer leurs besoins éventuels par les voies appropriées ». Dans son magnifique discours, le président Bassirou Diomaye Faye a sollicité l'aide de la France pour l'exhumation des corps et la fouille des fosses communes, allez-vous lui répondre favorablement ?
À l’aube d’une nouvelle année, je me permets de croire que les autorités françaises agiront en toute transparence pour qu’enfin les descendants puissent connaître l’ensemble des faits et bénéficier d’une légitime réparation.
C’est avec cet espoir que je vous adresse, Monsieur le Ministre, ma plus haute considération et mes vœux de réussite dans votre mission pour 2025.
A. MABON

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