Grâce à la visite de la délégation sénégalaise au service de l'état civil du ministère des Affaires étrangères, j'ai su que le registre des décès enregistrés à Dakar pouvait être consulté sachant que les mêmes informations se trouvent à l'état civil de la mairie de Dakar. Il était important que je puisse voir ces documents, c'est chose faite depuis le 28 mars.
Ce registre relaie la thèse officielle des trente-cinq morts dont vingt-quatre tués sur place et onze mortellement blessés. Neuf autres soldats sont décédés jusqu'au 31 décembre 1944 sans qu'il soit possible de relier ces décès au massacre. Le ministère des armées doit nous transmettre leur dossier afin de procéder à la vérification.
Retour sur le 70e
anniversaire
Lorsqu'en 2014, j'ai interpellé le président Hollande et les ministres Le Drian et Taubira avec la synthèse de mes travaux, j'ai signalé l'incongruité du rapport du général Dagnan qui donnait deux bilans des victimes : trente-cinq morts dont onze mortellement blessés dans son rapport consigné aux archives nationales de l'Outre-Mer (ANOM) à Aix en Provence et soixante-dix morts dans le même rapport consultable au Service historique de la défense à Vincennes (SHD) dont quarante-six mortellement blessés. J'avais signalé que ces deux bilans étaient faux après avoir démontré que les autorités avaient diminué le nombre de rapatriés pour camoufler le nombre de victimes pouvant atteindre le lourd bilan de 400 décès.

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C'est avec stupeur que j'ai entendu le président Hollande, dans son discours prononcé le 30 novembre 2014 au cimetière de Thiaroye, évoquer soixante-dix morts, bilan corroboré sur un des panneaux de l'exposition concoctée par la Direction de la mémoire du patrimoine et des archives (DMPA) afin de maintenir le récit officiel hormis le bilan des victimes.

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Je souligne cette phrase : "la plupart des historiens s'accordent sur le chiffre total de soixante-dix victimes, mais le ratio entre blessés et tués ne fait pas consensus et la difficulté à identifier dans les archives les dossiers des personnels blessés rend difficile toute nouvelle analyse scientifique". Tout est mensonger dans cette phrase tout comme la séquestration du général Dagnan mentionnée sur le deuxième panneau. L'exhumation des corps n'est même pas envisagée alors que justement, elle permettra de nouvelles analyses scientifiques à défaut de pouvoir consulter les archives manquantes et réclamées y compris par le président sénégalais lors de son discours du 1er décembre 2024.
Les archives du ministère des Affaires étrangères indiquent donc trente-cinq morts avec onze mortellement blessés et ils sont tous nommés avec leur matricule, parfois leur village d'origine, le nom des parents et cette appellation singulière "détachement de rapatriés de la métropole".

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À aucun moment l'État français a cru bon de donner au moins cette liste des 35 morts.
L'octroi de la mention "Mort pour la France"
Le 18 juin 2024, l'ONaCVG a attribué la mention "Mort pour la France" à seulement six des victimes provocant l'ire du premier ministre sénégalais Ousmane Sonko. Pourquoi donc ne pas l'avoir attribuée aux 35 connus comme décédés suite au massacre? La raison est toute simple. Si l'Etat français avait attribué la mention conformément au registre des décès, M'Bap Senghor aurait été oublié car il n'apparaît pas dans le registre des décès et il n'existe pas d'acte de décès en son nom alors que son fils, Biram Senghor, a réclamé durant des années cette reconnaissance.

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Les "non-rentrés"
M'Bap Senghor n'est pas répertorié dans le registre des décès car il a été présenté à sa famille comme un "non rentré" autrement dit un disparu qui ne serait pas revenu au Sénégal avec ce contingent de rapatriés. Depuis les combats de mai-juin 1940, le nombre de disparus chez les tirailleurs sénégalais est important. Il n'était pas très difficile pour l'administration de faire valoir ce statut de "non rentré" puisque les familles n'avaient aucune nouvelle depuis longtemps.

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Contrairement à d'autres familles, celle de M'Bap Senghor n'a pas cru à la fable du "non rentré" comme le montre ce document. Ce n'est qu'en 1952 que la famille a été avisée de son décès en qualité de "déserteur" afin de camoufler encore qu'il avait été assassiné lors du massacre. Si la mention "Mort pour la France " a été décernée à M'Bap c'est tout simplement parce qu'un dossier a été ouvert à son nom au ministère suite aux réclamations de sa famille et de son fils et parce que le directeur de Cabinet de Geneviève Darrieussecq a donné ordre aux archivistes, en 2019, de caviarder la mention de déserteur.

Avec quels documents a t-il pu donner cet ordre? Sur cette pièce du dossier personnel de M'Bap Senghor, nous pouvons constater que la date d'embarquement a été modifiée. Ce contingent n'a pas quitté Morlaix le 1er novembre mais le 5 novembre. Sur tous les dossiers de victimes consultables mais aussi des condamnés et des rescapés, la date a été modifiée et il ne s'agit pas d'une erreur. Biram Senghor et Djibril Doucouré, fils d'un rescapé, réclament en vain que la bonne date soit inscrite car elle est importante dans le cadre de la réclamation du paiement des sommes spoliées. Pour le moment, la justice administrative suit le refus du ministère qui mentionne qu'il est impossible de modifier un tel document! Nous pouvons encore espérer que la Cour administrative d'Appel (CAA) leur donnera raison puisqu'à l'audience du 3 avril, le rapporteur public a sollicité l'annulation du jugement de première instance de Biram Senghor estimant que cette date erronée a des incidences notamment sur le droit au paiement de la solde de captivité mais aussi sur la reconnaissance de la présence des personnes à Thiaroye. Dans le même temps l'aide juridictionnelle a été refusée à Djibril Doucouré sur le motif que sa demande était infondée. Cette rectification est importante parce qu'une circulaire officielle du 4 décembre 1944 a fait croire que le contingent parti le 5 novembre avait perçu l'intégralité des soldes, toujours le mensonge.

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M'Bap Senghor n'est pas le seul "non rentré" à avoir été tué à Thiaroye et jeté dans une fosse commune.
Ne serait-il pas temps que l'État français fasse preuve de courage, de discernement et de transparence pour rendre consultables la liste des rapatriés et la liste des victimes?
Il s'agit ni plus ni moins de dignité à restaurer.
L'opération des plaques du Tata de Chasselay (janvier 2022) qui, à l'inverse, nomme des disparus comme inhumés dans cette nécropole nationale sans la moindre preuve, ou modifie les noms sans base légale, est une autre illustration de la mémoire bafouée de ces combattants venus défendre la France du péril nazi.

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