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Le lendemain du deuxième tour des législatives (est-ce un hasard?), j'ai reçu un mail de la directrice générale de l'ONaVG. Enfin un écrit et non de belles paroles prometteuses sans lendemain :
"Sachez tout d’abord que l’ONaCVG est un établissement public qui est chargé d’exécuter les politiques publiques et de respecter les textes.
C’est donc ce que nous faisons avec sérieux et rigueur.
En ce qui concerne le (sic) Thiaroye, je vous informe qu’il y a une quinzaine de jours environ, j’ai signé une décision collective « Considérant que les tirailleurs décédés à la suite de la répression survenue au camp de Thiaroye (Sénégal), el (sic) 1er décembre 1944, ont vocation à l'attribution de la mention «Mort pour la France».
Et j’ai validé la mention pour 5 d’entre eux puisque nous avions les dossiers".

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Avant de prévenir Biram Senghor qui se bat pour cette reconnaissance depuis plus d'un demi-siècle, j'ai voulu m'assurer que son père était bien dans la liste. Ils sont 6 et non 5 mais il en manque des centaines camouflés en "non-rentrés" par l'administration et inhumés dans des fosses communes.
N° 2024-186
Monsieur Duzaï MADE, à l’enregistrement militaire DUAZAÏ NIADÉ,
Né en 1907 à Man (Côte d'Ivoire),
Décédé le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Sénégal).
N° 2024- 187 :
Monsieur Sene SALIOU,
Né en 1915 à Biene, canton de Diourbel (Sénégal),
Décédé le 1er décembre 1944 à Dakar (Sénégal).
N° 2024- 188 :
Monsieur Ibrahima N’DIAYE, à l’enregistrement militaire IBRAHIMA N'DIAYE,
Né en 1919 à N’Dangom N’Diaye (Sénégal), à l’enregistrement militaire né en 1913 à N'Dangour N'Diaye (Sénégal),
Décédé le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Sénégal).
N° 2024- 189 :
Monsieur Gore N’DOUR, à l’enregistrement militaire N'GOUR N'DOUR,
Né à Malicounda, cercle de Thiès (Sénégal), à l’enregistrement militaire classe 1927,
Décédé le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Sénégal).
N° 2024- 190 :
Monsieur M'Bap SENGHOR,
Né en 1913 à Diakhoo-Mack (Sénégal),
Décédé le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Sénégal).
N° 2024- 192 :
Monsieur Laya SALLOU,
Né vers 1912 à Sibe, canton de Ouahigouya (Burkina Faso (ex Haute-Volta)),
Décédé le 1er décembre 1944 à Dakar (Sénégal).

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M'Bap Senghor est bien dans la liste et j'ai pu annoncer la nouvelle à Biram. J'ai prévenu l'ONaCVG qu'il y avait deux autres ex-prisonniers de guerre qui pourraient y prétendre puisque j'ai retrouvé des archives les concernant mais aussi les trois condamnés décédés durant leur détention.
Je demande également ce document signé de la "décision collective".
Outre M'Bap Senghor, au moins deux étaient mariés avant de partir défendre la France contre le péril nazi. Il est possible de retrouver des descendants.
Quelles conséquences pour l'ensemble du dossier?
Cette reconnaissance est une grande victoire et le début d'un retournement du ministère des armées confronté à un incessant questionnement, que ce soit par des descendants mais aussi par l'historienne "déraisonnable" que je suis.
L'octroi de la mention "MPF" est assurément un élément nouveau qui devrait permettre au Garde des Sceaux de saisir la commission d'instruction de la Cour de Cassation afin de faire aboutir le procès en révision des 34 condamnés.
Alors que la CEDH (Cour européenne des Droits de l'homme) instruit la requête de Biram Senghor pour le remboursement de toutes les sommes dont son père a été spolié et que le Conseil d'Etat va devoir statuer à nouveau pour le pourvoi d'un fils de rescapé, l'octroi de cette mention implique la réparation avec en plus 80 années de mensonges dont l'Etat est responsable.
Je n'ai pas cessé de réclamer les archives "interdites" et le dernier jugement du tribunal administratif donne à nouveau raison au ministère des armées puisqu'il continue à répéter, tel un mantra, que ces archives n'existent plus, sont perdues ou détruites. Sur quelle base un directeur de Cabinet peut-il donner ordre à des archivistes de caviarder la mention de déserteur alors que le Chef du SHD (service historique de la Défense) a écrit à Biram Senghor qu'il ne détenait pas d'archives pour le faire ? Ces archives si sensibles n'ont pas été versées au SHD mais permettent au ministère de déclarer, qu'au final, ces hommes ne sont pas de dangereux mutins qui ont tiré les premiers. Cela semble suffisant pour que je saisisse le Conseil d'Etat.
Du côté du Sénégal, il y aura exhumation des corps des fosses communes et peut-être avec l'aide de la France ou d'une ONG argentine mais aussi des Nations Unies qui, via le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires s'intéressent au dossier. Une pression supplémentaire pour l'État français qui, dans le traitement de ce dossier a affiché une forme de racisme institutionnel. Si ces hommes n'avaient pas été des Africains, l'affaire aurait été réglée il y a bien longtemps. La repentance, comme je l'entends régulièrement, est à proscrire.
Il me semble important qu'il y ait une enquête interne ou parlementaire afin de déterminer les responsabilités dans ces dysfonctionnements au sein du ministère des armées qui ont porté un préjudice aux hommes de Thiaroye ainsi qu'à leur famille et ont sali leur mémoire.
Et les historiens?

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Durant ces dix années de combat après la mascarade honteuse du 70e anniversaire, j'ai constaté avec amertume une complicité de certains historiens à conforter le mensonge d'État pour sauvegarder l'honneur des officiers compromis. Ils devraient répondre d'une suspicion de fraude scientifique mais le milieu universitaire est bien trop frileux notamment dans notre discipline. Lorsque j'ai déposé plainte pour diffamation publique contre un docteur en histoire, que n'ai-je pas entendu de mes pairs avec cette judiciarisation de l'Histoire. C'est moi qui avais commis un crime de lèse majesté alors qu'il fallait que je m'extirpe de ce procédé bâillon, cette intimidation pour poursuivre la recherche.
J'ai également été confrontée aux historiens complaisants qui se positionnent selon comment le vent tourne pour ne pas déplaire aux institutions.
Si je n'avais pas saisi la CADA et la justice administrative à de multiples reprises, je crois sincèrement que ces hommes massacrés à Thiaroye n'auraient pas été reconnus "Mort pour la France".
C'est avec un peu plus d'espoir que je finalise mon livre sur l'Histoire de ce mensonge d'État qui doit être publié avant les commémorations du 80e anniversaire. Ce n'est pas la France qui en a pris l'initiative mais le Sénégal. Les autres pays de l'ex AOF y seront certainement associés car tout autant concernés.