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Lorient le 17 mars 2025
Armelle MABON
Historienne
à Patricia MIRALLÈS
Ministre déléguée
auprès du ministre des Armées,
chargée de la Mémoire et des Anciens combattant
objet : « Tata » de Chasselay
Lettre ouverte
Madame la Ministre,
Le 28 mars, avec Madame Marie-Christine Verdier-Jouclas, directrice générale de l’ONaC-VG, vous allez présider la cérémonie de réouverture de la nécropole nationale du Tata sénégalais à Chasselay, suite à la profanation commise fin janvier 2025.
Le 27 janvier 2022 ont été inaugurées par la ministre Geneviève Darrieussecq deux plaques avec vingt-cinq noms de tirailleurs du 25e RTS présentés comme disparus ou non identifiés et inhumés au sein de cette nécropole. Une note aux rédactions a fait part de recherches génétiques ayant permis cette identification. Après que j’aie saisi le tribunal administratif, le ministre a été contraint d’avouer qu’il n’y avait jamais eu de recherches génétiques.
Sur les vingt-cinq tirailleurs, l'ONaC-VG a transformé quatorze noms sans en référer au procureur de la République pour une modification préalable sur les actes de décès. Ainsi, Soungo SAR qui avait retrouvé son vrai nom par une décision du Procureur de Villefranche sur Saône en 1968 s’appelle désormais sur une des plaques Songué SARR. C’est irrespectueux et illégal.
L’étude des dossiers et des archives permet de constater que sur les vingt-cinq, douze disparus - dont onze sont originaires du Sénégal- ont été nommés comme inhumés alors que nous ne savons rien de la date, du lieu et des circonstances de leurs décès. Interrogé à ce sujet, le ministère des Armées a prétendu détenir des documents prouvant que les douze disparus étaient inhumés au Tata de Chasselay. La réglementation des nécropoles nationales ne permet en aucun cas de nommer des personnes sans la certitude qu’elles y soient inhumées : « Il est aussi rappelé que la politique constante du ministère est de ne faire figurer dans les nécropoles que les noms des soldats qui y reposent, à l’exclusion de tout autre (1).»
Auprès de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs), « le ministre des armées indique qu'un livre de Monsieur Julien Fargettas (2) recense les documents dont la communication est sollicitée par Madame MABON. La commission estime toutefois que la parution de ce livre ne peut être regardée comme une diffusion publique au sens de l'article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration des documents produits ou reçus par l'administration objet de la saisine (3)».
Dans une note non datée à l’attention de Monsieur le directeur de cabinet de Madame la ministre déléguée auprès de la ministre des armées, la directrice générale de l’ONaC-VG avait précisé que : « L’ensemble des dossiers personnel des 25 soldats africains a été vérifié ». Le 24 juin 2024, le tribunal administratif de Paris a donc enjoint le ministre des Armées et la directrice de l’ONaC-VG de me communiquer les documents sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Dans un courrier du 13 août 2024, Evence Richard, directeur de la DMCA (direction de la Mémoire, de la Culture et des Archives) ne transmet aucun document mais « les références des archives détenues par le ministère des armées ayant permis de mentionner sur des plaques des soldats disparus comme inhumés au Tata de Chasselay ». Toutes ces références sont dans l’ouvrage de Julien Fargettas. Ni le ministère ni l’ONaC-VG n’ont donc répondu à l’injonction.
Il a fallu déposer au tribunal administratif une aide à l’exécution du jugement. Seul le ministère des Armées a répondu le 20 janvier 2025 prétextant « qu’il a déféré à la demande du tribunal et a communiqué les documents sollicités [...] Le ministère a ainsi exécuté de manière adéquate l’injonction du tribunal » en joignant le courrier de la DMCA du 13 août 2024.
Le 14 mars 2025, je suis allée au SHD de Vincennes pour vérifier qu’il n’y avait rien sur les disparus du Tata de Chasselay dans les cartons donnés en référence. Au SHD de Caen, les dossiers cités ne révèlent aucune information sur l’inhumation des disparus ; rien non plus au CHETOM situé à Fréjus. Pourtant le ministère des armées écrit : « Compte tenu de la masse de documents sollicités par l’intéressée, la délivrance de copies demandées fait peser une charge disproportionnée sur l’administration ».
Madame la Ministre, pourquoi ne pas reconnaître tout simplement l’inexistence de ces documents ?
Sur les vingt-cinq tirailleurs, nous avons la certitude que sept d’entre eux y sont inhumés et, suite à des documents retrouvés près des lieux de combats, les corps de cinq autres pourraient avoir été inhumés dans une des 48 tombes portant la mention « inconnu ». Jean-Baptiste Marchiani a mentionné que Tenoaga Kompaoré n’était pas inhumé au Tata et, pourtant, il figure sur la plaque. Il y a donc douze disparus choisis parmi des centaines de disparus. Quels ont été les critères de sélection ?

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Avec Eveline Berruezo, auteure du premier documentaire sur le Tata, nous avons saisi la justice administrative pour que ces plaques soient conformes à la réglementation : « Pour bénéficier d'une plaque au sein d’un carré militaire ou d’une nécropole nationale, il convient que les restes mortels du soldat, inconnu ou identifié, aient été retrouvés et les circonstances ou tout au moins la localisation ou la date du décès soient connues». Par ailleurs, les changements de noms ont été effectués sans base légale.

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Notre requête a été rejetée par une ordonnance du Tribunal administratif de Paris le 13 mai 2023, non pas sur le fond mais au prétexte que nous ne justifions pas d'un intérêt suffisamment direct, personnel et certain nous donnant qualité pour demander l'annulation de la décision contestée.
L’appel est toujours pendant devant la CAA de Paris.
Nous estimons qu’en l'absence d'ayant droit connu de ces hommes, par respect dû aux morts pour la France et pour l’intérêt général de la conformité de l’action publique aux règlements édictés, nos actions doivent être déclarées recevables et examinées.
Madame la Ministre, vous avez le pouvoir de reconnaître cette supercherie mémorielle avec le courage politique que vous avez manifesté lors du scandale des tombes de Harkis à Rivesaltes et pour la réparation aux descendants des Harkis.
L’opération des plaques du Tata de Chasselay et le traitement institutionnel du massacre de Thiaroye commis le 1er décembre 1944 ont un point commun qu’il convient d’éradiquer : le mensonge doublé d’une intégrité scientifique qui fait défaut.
Comptant sur votre intervention avant la cérémonie commémorant la mémoire de ces combattants, que certains ont voulu souiller par une profanation, je vous prie de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de ma haute considération.
Armelle MABON
Copie : Marie-Christine Verdier-Jouclas, directrice générale de l’ONaC-VG
(1) : Pierre-Yves Lambert, directeur-adjoint de la SDMAE (sous-direction de la mémoire combattante), note du 29 janvier 2021 à l’ONaCVG.
(2) : Julien Fargettas était le pilote de l’opération des plaques au sein de l’ONaC-VG.
(3) : Avis de la CADA n° 20230918 du 30 mars 2023.