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Cela fait des années que j'interroge cette notion de crime continu tant que nous ne trouvons pas les corps des martyrs de Thiaroye dont celui de M'Bap Senghor assassiné vraisemblablement dans une baraque et non sur le lieu du rassemblement d'après le témoignage recueilli par son fils, Biram. Alors que les fouilles archéologiques ont débuté au mois de mai au sein du cimetière militaire de Thiaroye avec la révélation de la découverte de corps criblés de balles sans plus de précision, des tests ADN pourront permettre de savoir si la dépouille de M'Bap Senghor a été inhumé au cimetière. D'après mes hypothèses, les corps retrouvés au cimetière seraient ceux des mortellement blessés et des blessés achevés à l'hôpital selon le témoignage d'un médecin présent à l'hôpital principal de Dakar. Le corps de M'Bap Senghor serait plus dans un charnier à l'endroit de l'ancien camp possiblement sous des dalles de béton que l'historien sénégalais Cheikh Faty Faye avait repérées il y a plus de vingt ans. Il y a urgence à fouiller cet endroit si proche d'un bassin de rétention d'eau nouvellement construit. L'État français n'a pas proposé son aide.

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Lorsque j'ai su qu'une plainte pour des faits de violation de sépulture, atteinte à l'intégrité d'un cadavre et recel de cadavre avait été déposée par des familles de Harkis dans le cadre de cette lamentable affaire de tombes disparues du camp Joffre de Rivesaltes Camp de Rivesaltes : 60 corps déplacés, sépultures vides… des familles de harkis portent plainte pour recel de cadavre - midilibre.fr et au vu des éléments que je possédais, j'ai identifié une possible plainte pour recel de cadavre par Biram Senghor, seul descendant connu des victimes du massacre. Je tiens à remercier l'avocat Antoine Ory des familles de Harkis pour son éclairage important. Biram Senghor a adhéré sans aucune réserve à ce nouvel acte devant la justice française. Via les médias incroyablement mobilisées, son dépôt de plainte va devenir un événement historique majeur.
Symboliquement, sur le plan pénal, il me paraissait important que cette plainte soit déposée par un avocat sénégalais. Mbaye Dieng succède ainsi à Lamine Gueye, l'avocat des condamnés de Thiaroye.
Les éléments constitutifs
Ma recherche a contribué à rassembler suffisamment d'éléments pour étayer cette plainte. Je dois avouer que plus il y a eu d'obstructions et plus je cherchais par tous les moyens à comprendre et avancer dans cette quête de vérité et plus je saisissais la justice administrative contraignant le ministère des armées à répondre. Ce fut un mouvement sans doute inédit entre recherche historique et Justice qui trouve une ampliation par cette plainte pour recel de cadavre.
J'espère que le Procureur de la République questionnera :
1. Comment le dernier commandant des forces françaises au Sénégal a pu mentionner, en 2015, que l'endroit des fosses communes est connu et a été recouvert d'un dépôt d'ordures ? Pourquoi, par la suite, a t-il prétexté que c'était le président Wade qui avait demandé la construction du Mausolée sur les fosses communes alors que le président Wade a démenti avec vigueur?
2. Pourquoi Eric Deroo, qui a participé à une mission avec la DMPA (direction de la mémoire du patrimoine et des archives) en 2010 à Dakar, a mentionné, en 2016, que le service de sépulture avait déplacé les corps du cimetière vers un autre endroit? Si cette translation de corps a eu lieu, a t-elle été faite à l'insu des autorités sénégalaises?
3. Pourquoi nous ne trouvons pas la réponse dans les archives du SHD (service historique de la Défense) à une question posée par la ministre de la défense en 2003 sur les militaires enterrés au cimetière de Thiaroye?
4. Avec quelles archives la DPMA (direction du patrimoine de la mémoire et des archives) a pu indiquer, en 2020, la présence de trois fosses communes sous les tombes pour un rapport de l'Assemblée nationale? Pourquoi cette même DPMA martèle que l'islam interdit l'exhumation des corps?
5. Qui a demandé au président Hollande de dire solennellement le 30 novembre 2014 que l'endroit des sépultures reste mystérieux?
Ces éléments jettent un trouble et, manifestement, des personnes au ministère savent mais se taisent.
Le recel de cadavre consiste, pour la doctrine, à dissimuler ou contribuer à la dissimulation d’un corps d’une victime d’homicide ou de blessures, par la rétention des archives s’y rapportant ou l’entrave aux investigations y relatives.
Si dans les trois mois, le Procureur ne répond pas alors Biram se constituera partie civile et saisira le juge d'instruction.
Une gestion calamiteuse du dossier Thiaroye
Le traitement des morts de Thiaroye par les autorités françaises est indécente mais aussi ubuesque. L'État français possède la liste officielle des 35 morts mais ne l'a jamais dévoilée et a attribué la mention "Mort pour la France" le 18 juin 2024 qu'à six des rapatriés dont M'Bap Senghor qui ne fait pas partie de la liste des 35 car il n'a jamais eu d'acte de décès, les autorités l'ayant présenté à sa famille comme "non rentré au Sénégal" avant de l'affubler du statut de déserteur. Après un recours devant la justice administrative, Biram Senghor obtiendra qu'en 2019 le retrait de la mention de déserteur sur ordre du Directeur de Cabinet de la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq. Mais avec quel document a t-il pu donner cet ordre? Pourquoi le ministère des armées, en 2025, estime qu'un journal de bord d'un officier présent à Thiaroye est crédible avec le bilan de 35 morts excluant de fait M'Bap Senghor? Il ne sert plus à rien de tenter de nous remettre le récit officiel.

Devant le tribunal administratif, la cour d'appel administrative, le conseil d'État et maintenant la CEDH (Cour européenne des Droits de l'Homme), le gouvernement français s'arc boute sur la prescription pour refuser le remboursement aux descendants les sommes spoliées restées dans les caisses de l'Etat alors que le mensonge d'État sur la perception des soldes est toujours actif, la circulaire du 4 décembre 1944 qui fait croire au versement des soldes existe toujours.

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Dans le cadre de mes recherches, j'ai constaté avec stupeur que les autorités avaient modifié la date d'embarquement pour ne pas faire apparaître que ce contingent avait quitté la France le 5 novembre 1944. Là encore, le ministère des armées a refusé de modifier la date d'embarquement et il a fallu attendre le jugement de la Cour d'Appel administrative pour contraindre le ministère à le faire. Il a jusqu'au 9 août 2025 pour modifier au moins sur l'ESS de M'Bap Senghor. J'avais demandé au ministère de la modifier sur tous les documents. Le tribunal administratif a estimé que je n'avais pas intérêt à agir alors que, le plus souvent, nous ne connaissons pas de descendants. Toujours ce mouvement entre recherche et justice mais, sans la pugnacité de maître François Pinatel, rien ne serait possible.

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La justice ne peut suppléer à des carences législatives ou réglementaires. Concernant la législation sur les archives, il manque un point pour contraindre les administrations à désocculter un document caviardé, notamment lorsque les lettres ont été cachées à tort comme ici avec le motif de la sanction infligée à un officier particulièrement compromis dans la mort de M'Bap Senghor. Malgré des promesses, le ministère refuse cette opération prétextant une instruction aux conclusions défavorables. Il faut que les parlementaires se mobilisent sur ce sujet important, il y a tant et tant de documents caviardés avec le Secret défense qui peut être levé. La commission d'enquête parlementaire transpartisane, malheureusement rejetée par la majorité des présidents des groupes parlementaires, aurait certainement permis de scruter la responsabilité dans ce fiasco mémoriel.

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J'ai saisi le tribunal administratif afin d'obtenir cette instruction et j'ai aussi saisi le tribunal administratif pour consulter les documents sur la mission si importante du ministère de la Défense en 2010 à Dakar préparatoire à la dissolution des forces françaises au Sénégal et, j'imagine, le transfert des archives restées à la caserne Bel Air. Pour couper court à mes demandes, le ministère prétexte que cette mission n'a pas existé alors que la presse en a fait écho...

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Appel au Garde des Sceaux
Nous parlons bien ici de justice et notre ministre de la Justice peut agir dans ce dossier. La voie est libre désormais pour qu'il saisisse la commission d'instruction de la Cour de Cassation et faire aboutir le procès en révision à titre posthume pour les 34 condamnés. L'octroi de la mention "Mort pour la France " est l'élément nouveau avec la preuve absolue qu'il n'y a jamais eu de rébellion armée. La mention "Mort pour la France" n'est pas attribuée à des mutins. Les magistrats qui ont rejeté, en 2015, la demande d'Yves Abibou, fils d'Antoine Abibou, au prétexte qu'il y avait bien eu une rébellion armée seront contredits. Ce mouvement entre Histoire et Justice permet d'avancer sur les connaissances de ce crime d'État, ce crime colonial, ce crime raciste. L'État français aujourd'hui peut et doit réparer.

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Je suis particulièrement désarçonnée quand je lis des commentaires sur l'inutilité des fouilles des fosses communes avec le coût financier qu'elles engendrent. Dans le cadre d'exécutions extrajudiciaires, les Nations Unies peuvent intervenir. Si chacun se posait juste cette question : "et si c'était mon aïeul", je crois que tout le monde mènerait ce combat pour la dignité comme Biram Senghor.

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