A la suite des attentats qui ont frappé les rues de Paris en novembre 2015, le Chef de l’Etat et son Premier ministre ont déposé un projet de loi destiné à réviser le texte de la Constitution de 1958 sur deux points : la création d’un régime constitutionnel de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité. J’ai tenté, dans mes billets précédents publiés sur ce blog, d’en réaliser une analyse juridique et de présenter des propositions pour sortir d’un débat passionné. Mon propos n’est pas de donner un avis politique sur ce texte mais d’en proposer un éclairage juridique pour que chacun puisse ensuite se forger sa propre opinion.
La nouvelle rédaction de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle
Ce 28 janvier 2015, dans le cadre de l’examen en commission des lois de l’Assemblée nationale, du projet de loi constitutionnelle relative à la protection de la Nation, le Gouvernement a déposé un amendement CL 74 pour modifier la rédaction de l’article 2 de son propre projet de loi et donc le régime constitutionnel de la déchéance de nationalité. L’amendement a été adopté ce 28 janvier 2015.
Cet amendement propose davantage qu’une simple modification de l’article 2 du projet de loi. Cet amendement CL 74 a pour objet de substituer une nouvelle rédaction à une autre de telle sorte que l’article 2 est intégralement réécrit. Il est peu fréquent que le Gouvernement chance aussi rapidement la rédaction de son propre projet de texte, après l’avoir déposé au Parlement. Et cela présente un inconvénient : le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la première formulation de l’article 2, pas sur la nouvelle.
Si la nouvelle rédaction de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle est adoptée par le Congrès, l’article 34 serait alors ainsi rédigé :
« La loi fixe les règles concernant :
(…)
- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
- l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
(…) »
Une modification de la rédaction de l’article 34 de la Constitution
Avant toute chose, il convient de souligner que l’article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit de modifier l’article 34 de la Constitution. Cet article 34 a trois fonctions.
En premier lieu, l’article 34 a pour objet de définir les matières dans lesquelles la loi votée par le Parlement, généralement sur initiative du Gouvernement, peut intervenir. Plus précisément, les articles 34 et 37 de la Constitution ont vocation à répartir les domaines de compétences de la loi et du règlement. Cette répartition marque la spécificité de la Constitution du 4 octobre 1958 dont les auteurs ont souhaité « rééquilibrer » les prérogatives du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire. La loi n’a donc pas vocation à avoir une valeur juridique supérieure à celle du règlement dans toutes les matières mais dans certaines uniquement.
En deuxième lieu, l’article 34 n’a pas pour seul objet de préciser les matières dans lesquelles la loi peut intervenir mais aussi de définir la manière dont cette dernière peut intervenir. Ainsi, pour certaines matières, dont le régime de la nationalité, la loi « fixe les règles ». Pour d’autres matières, la loi « détermine les principes fondamentaux », par exemple de « de l'organisation générale de la défense nationale ». Dans la pratique législative, cette distinction entre fixation des règles et détermination des principes fondamentaux est d'une portée réduite.
En troisième lieu, l’article 34 de la Constitution fait état de plusieurs catégories de lois : lois ordinaires, lois de finances, lois de programmation et rapport avec la loi organique.
Au cas présent, modifier la rédaction de l’article 34 de la Constitution revient donc à réduire ou à étendre le nombre des matières dans lesquelles la loi peut intervenir. Ou bien encore à modifier la manière dont la loi intervient. L’article 2 modifié du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation tend à préciser que la loi fixe les règles relatives au régime de la nationalité. Ce qui était déjà le cas.
La portée juridique limitée de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle
Pour l’heure, l’article 34 précise que la loi « fixe les règles » concernant la « nationalité ».
Demain, si ce texte est adopté, l’article 34 précisera que la loi « fixe les règles » concernant : « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation »
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle n’étend pas la liste des matières dans lesquelles la loi peut intervenir : la loi pouvait déjà organiser le régime juridique de la nationalité et le code civil comporte déjà plusieurs articles relatifs à l’acquisition, à la perte ou à la déchéance de la nationalité.
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle ne modifie pas la manière dont la loi peut organiser le régime de la nationalité : l’article 34 de la Constitution n’imposera rien de nouveau lorsque le Parlement votera une loi relative au régime de la nationalité. Il pourra toujours en fixer les règles.
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle n’impose pas au Parlement de voter une loi : si ce dernier ne veut pas voter une loi qui modifie le régime actuel de la nationalité, la Constitution ne le contraint bien sûr pas. A la suite de cette révision constitutionnelle, le Parlement peut ne pas toucher à la rédaction de l’article 25 du code civil et le droit n’aura donc pas du tout changé.
L’article 2 se borne à « rappeler » au Parlement qu’il peut voter une loi qui fixe les règles de la nationalité « y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
A mon sens : la Constitution comportera donc, non une nouvelle règle de droit mais un rappel. Ainsi, si le Parlement veut voter une loi pour déchoir des personnes françaises de leur nationalité ou de leurs droits : il le pouvait, il le pourra.
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle ne modifie pas le droit de la nationalité et, du strict point de vue juridique, n’était donc pas nécessaire. Relire l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi constitutionnelle confirme que, du strict point de vue juridique, il n’est pas nécessaire d’inscrire l’article 2 dans sa rédaction modifiée, dans le texte de la Constitution.
En effet, la première version de l’article 2 prévoyait d’autoriser le Parlement à organiser la déchéance de nationalité de manière différente selon qu’une personne née française détient ou non une autre nationalité. Or, l’avis du Conseil d’Etat précise qu’une telle mesure de différenciation "pourrait se heurter à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant de priver les Français de naissance de leur nationalité. » Dès lors, une révision de la Constitution était requise pour autoriser la loi à opérer une distinction entre nationaux et bi-nationaux auteurs des crimes les plus graves.
La nouvelle rédaction de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle s’écarte de l’avis du Conseil d’Etat sur un autre point : il ne limite pas les hypothèses de déchéance de nationalité aux seuls crimes mais aussi aux délits. Toutefois, le Conseil d’Etat n’a pas écrit que tel n’était pas déjà le cas et, en réalité, le Parlement pouvait déjà organiser la déchéance de nationalité pour les seuls délits. Comme le précise déjà l’article 25 du code civil. Il n’était donc pas nécessaire de réviser la Constitution pour prévoir que le Parlement peut déchoir de leur nationalité les auteurs de délits.
La fonction politique de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle
La nouvelle rédaction de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle ne modifie donc pas le droit existant et une révision et n’était donc pas nécessaire pour donner au Parlement une compétence dont il dispose déjà. Ce nouvel article 2 se borne à renvoyer au Parlement le soin de voter, éventuellement, une nouvelle loi sur la déchéance nationalité. Ce nouvel article 2 n’ajoute ni n’enlève rien au droit existant.
Cet article 2 n’a donc pas vocation à changer le droit de la nationalité mais à inscrire un message politique au sein de la Constitution : certains crimes ou délits sont si graves qu’ils méritent un traitement particulier. En soi, cela n’a rien d’original : la Constitution comporte d’autres symboles, principes ou valeurs ou proclamations.
Reste à savoir si la Constitution doit être révisée uniquement pour afficher un tel message : ici s’arrête l’analyse juridique et ici commence l’analyse politique qui doit permettre à chacun de se forger sa propre opinion.