Serge. Que de moments passés en ta compagnie, lors de soirées amicales, joyeuses et alcoolisées. Tu es devenu au fil des années, avec cette chanson, un complice de notre joie de se retrouver, malgré le temps qui passe et les trajectoires pas toujours tangentielles de nos vies personnelles. Et puis, depuis peu, cette chanson s’est faite également requiem. Requiem pour un être cher, parti rejoindre le paradis perdu des hommes et des femmes ayant déroulé leur vie à gauche. Des communistes convaincus, des communistes de cœur pour qui le totalitarisme soviétique n’était que fascisme s’ajoutant aux fascismes.
Sommes-nous vraiment à gauche ? Ou sommes-nous plutôt de gauche ? Regarder au lointain, contempler la communauté humaine pour en venir ensuite à se situer dans son territoire. Penser des actes et pratiquer des théories. Etre en colère, s’insurger, s’engager, manifester, militer mais surtout se laisser envahir, sans être submergé, par la détresse qui entache tant de vies. S’éduquer à la politique dans l’allégresse, écouter davantage que discourir, respecter l’élan de la jeunesse, dans son innocence et son besoin d’affirmation. Nul besoin de dérouler davantage ce que fut ce temps, pas si lointain, où il me, où il nous semblait qu’avec conviction, courage et persévérance, le monde de nos imaginaires pourrait se révéler. Bien sûr, nous ne pouvions plus nous permettre les utopies jadis horizons de terres inconnues, désirantes et désireuses. Ces terres étaient déjà ensevelies. Alors, il nous fallait, je suppose, recomposer ces terres, nos terres. Je ne compris que plus tard que la mienne jaillirait en musique, qu’elle formerait un terrain fertile, par où je cultive la politique du baiser.
Je n’oublie pas qu’elle fut notre premier combat culturel. Je n’oublie pas ce qui a été, ce qu’est et ce qui restera le combat culturel premier de la gauche. Trouver les mots, chercher le langage pour contrer les maux et le langage de ceux d’en face. Chercher inlassablement la parade, comme un musicien recherche une mélodie, pour déconstruire et mettre à nu le projet morbide et mortifère que soutient l’extrême droite.
J’aimerais être assez fort, dans le moment présent, pour ne pas me laisser aller à l’abattement. La colère est là, simplement noyée dans l’immondice des paroles, des commentaires, des images qui circulent depuis dimanche. Depuis dimanche ? Depuis combien de temps ? Seulement, j’ai honte. Je n’ai pas honte d’être français, d’être moi-même. J’éprouve un sentiment profond de honte lorsque j’observe le trou dans lequel nous tombons. La nuit ne vient pas. La nuit s’est déjà emparée du jour.
Nous sommes une génération du renoncement et du reniement. Nous pouvons chercher des excuses, des circonstances atténuantes, elles font légion. Nous pouvons fuir, tel le « voyageur » de Nietzsche. Nous pouvons écrire, parler, argumenter, discuter, débattre, créer, s’engager, courir, s’époumoner… Tout est permis, tout se fait, toutes les alternatives semblent trouver leur place. Et ensuite ?
Qu’advient-il aujourd’hui de notre devenir ?
Il est où le Désir ? Il est enseveli. Nous ne désirons pas, nous souhaitons simplement, collectivement, disposer de.
Je laisse le final à Lionel Benjamin et sa « mélodie ». De la légèreté et de l’insouciance pour répondre au petit désastre de la culture populaire hégémonique de notre temps…