Le cinéma ne change pas le monde mais on sait bien qu'il peut aider à mieux le connaître, mieux le comprendre, mieux partager le regard et la reconnaissance de l'Autre. La quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes (version Forum des images pendant le week-end...) nous donne toujours cette opportunité. Je laisse ici un commentaire sur deux des films Ilo ilo et Le Géant égoïste.


* Ilo ilo – Film d'Anthony Chen – Singapour – 2013 –
Ce premier film d'un réalisateur singapourien nous raconte l'histoire d'une famille, maman enceinte et qui travaille beaucoup, un papa débordé et futur licencié dans un secteur en pleine crise financière et un petit garçon, dix ans, un peu agité, un peu abandonné à lui même, un peu insolent, bagarreur. Une nounou,Teresa, venue des Philippines (Ilo ilo province philippine, origine de la nounou du 'réalisateur'), qui a confié son bébé à sa sœur, vient s'occuper de Jiale pour gagner un peu mieux sa vie. Tout ceci fait une histoire, pas forcément un film.
La qualité du réalisateur, de la jeune actrice qui joue la nounou-bonne et du jeune garçon au regard pénétrant, observateur, quémandeur... font que ce premier film va au-delà d'un scénario qu'on pourrait dire banal. Il nous retrace une histoire de l'attachement. Ce garçon est bien seul au milieu de parents trop pris par le quotidien, fréquente une école qui sait exercer l'autorité, (parce qu'il s'est bagarré violemment, il sera puni devant tous les élèves réunis pour la «cérémonie» présidée par la directrice) mais qui n'est pas à son écoute. La nounou vient s'installer dans sa chambre sans qu'il soir averti, dont l'abnégation et le besoin de travailler, vont contribuer à qu'il change son rapport à l'autre.
Et la nounou à qui on confisque le passeport, devient bonne, va subir la cruauté du petit garçon, s'insère dans le milieu des sans droits pour répondre aux appels pressants de sa famille pour envoyer de l'argent au pays.

Quand elle doit rentrer, renvoyée faute d'argent pour la payer, c'est toute la problématique de la séparation pour ce petit garçon. La nounou, jetée, part dans son pays, une petite-sœur rentre à la maison et son père devient chômeur.
C'est aussi une ville, Singapour dont quelques images nous donnent à voir la démesure, le confinement, l'isolement de l'individualisme. Ilo ilo, une histoire d'ailleurs qui pourrait bien être une «histoire de chez nous»!
Toutes sélections confondues, ce film a obtenu la Caméra d'Or, qui récompense un premier film. C'est Agnès Varda, présidente du jury, qui l'a remis à Anthony Chen, son réalisateur.
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* * Le Géant égoïste de Clio Barnard.

C'est l'adaptation très libre d'un conte d'Oscar Wilde que la jeune réalisatrice anglaise Clio Barnard nous propose. «Le géant égoïste possédait un magnifique jardin. Pendant son absence, les enfants voisins profitaient de ce luxuriant espace. A son retour, le géant a décidé d'empêcher les enfants d'y pénétrer et a construit un mur pour empêcher d'y accéder. Mais le mur l'a tellement enfermé que l'hiver s'y est installé et alors que les saisons se déroulait hors-mur, le magnifique jardin était toujours couvert de neige, comme un jardin en hiver».
En effet c'est tout le temps l'hiver pour ces deux adolescents, Arbor et Swifty, dans les rues de Bradford. Exclus de l'école, qui n'a pas d'attrait pour eux, sans aucune place qui tienne compte de leur devenir ni de leur présent, ils s'adonnent à la récupération de tout ce qui puisse être vendu au ferrailleur. Il les fait travailler sans titre, bénéficiant de ce qu'ils peuvent récupérer, aussi bien dans les jardins des particuliers (une poussette, une casserole, un vieux robinet) que des métaux sur la voie ferrée, ou les câbles de cuivre de l'entreprise d'électricité récemment nationalisée.
Qui est le «géant égoïste» ? Kitten, le vieux ferrailleur, qui fait le négoce par des méthodes brutaux et efficaces ? la méga compagnie électrique, omniprésente avec ses pylônes qui entourent la ville et s'imposent dans les bords de la cité où vivent les familles des deux garçons ? Ou alors, a dit Clio Barnard, la société qui a nationalisée l'électricité, le système qui fait que ces familles sont chroniquement sans travail, sans moyens de subsistance, à la merci des usuriers qui viennent récupérer le canapé faute de pouvoir payer les prestations.
On peut penser à Ken Loach, aux frères Dardenne, mais c'est aussi un autre regard que Clio Barnard partage avec nous, dans une sensibilité profonde envers ces deux gamins dont la «terreur» Arbor est une puissance de vitalité, d’ingéniosité et de souffrance ou Swifty, bonne poire, si généreux et si solidaire. C'est aussi un filme sur les deux mères, les seuls adultes qui essayent de tenir. Elles qui sont confrontées à la pénurie, au déclassement, aux amendes pour l’absentéisme scolaire de leurs garçons. Rien n'est montré, ni organisé pour que ces exclus trouvent où aller, où se former sinon dans la rue et dans la confrontation à la réalité dure du trafic, de tous les trafics.
Des images superbes de la ville traversée par les deux garçons, traînant une carriole tirée par un cheval, chargée de vieilleries pour quelques pièces de monnaie. Les plans sur le quadrillage de la ville par les poteaux électriques donnent parfois l'impression d'un décors féerique. A retenir les magnifiques premières images du film autour des chevaux qui broutent dans le brouillard du lever du jour.Le ferrailleur est aussi propriétaire d'un cheval de course (épique séquence d'une course clandestine sur la route principale) et Swifty un rêveur qui a un don avec les chevaux.
Un mention spéciale donnée par les producteurs est venue récompenser la jeune réalisatrice dont son film mérite, à mon avis, d'être vu et recommandé.