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Billet de blog 2 novembre 2025

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Darmanin : l’outrage...

Au-delà des aspects juridiques et institutionnels, la visite de Darmanin à Sarkozy à la prison de la Santé le 29 oct. est comme un outrage à la démocratie et à l’état de droit. Et ici l’outrage signe le mépris pour les valeurs démocratiques d’indépendance de la justice et du travail des magistrats du parquet qui, sous l’autorité du ministre, sont chargés de requérir. Des avocats portent plainte.

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Plainte d'un collectif d'avocats contre Darmanin

Un collectif d’avocats (une trentaine) a porté plainte contre le ministre de la Justice pour «prise illégale d’intérêts». Comme on sait pour un responsable d’une fonction publique, les intérêts privés doivent s’effacer pour sauvegarder l’objectivité et l’indépendance. Les propos de Darmanin se disant prêt à rendre visite à Sarkozy et l’avoir fait quelques jours après son incarcération est manifestement, à mon avis, un affront, même un outrage (*) aux magistrats, à l’état démocratique qui se fonde sur l’indépendance de la justice et qu’il méprise.

 Et le Collectif d'avocats dénonce ainsi, à juste titre, le soutien implicite du ministre à Sarkozy.

Ici le ministre met au-dessus de sa fonction de "garde des Sceaux", l’appartenance au même clan politique, se justifiant de le faire parce que c’est son ‘‘ami’’ et pour vérifier, ce qui est dans ses fonctions, les conditions de sécurité du détenu, son acolyte. Un aveu ou une méfiance envers son administration, comme si la pénitentiaire n’était pas capable de le faire.

Cette attitude est à l’évidence une prise de position et Jérôme Karsenti, du collectif d’avocats, pose une vraie question, «Quelle sera la marge de manœuvre des procureurs qui seront chargés de requérir lors de sa demande de remise en liberté ou pendant son procès en appel ?».

Et le collectif le précise, en «s’exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention» ainsi «qu’en lui apportant implicitement son soutien», le ministre a «nécessairement pris position» dans une entreprise dont il a aussi «un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet»... «Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l’impartialité et l’objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante», argumentent les avocats. (in Libération 30/10/2025)

Les propos de Gérald Darmanin ont été aussi critiqués par le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, soulignant qu’il y a un «risque d’obstacle à la sérénité» et donc «d’atteinte à l’indépendance des magistrats». Par ailleurs le dispositif d'exception de sécurité mis en place à la Santé a été contesté et critiqué vivement par les syndicats du personnel pénitentiaire.

Le geste du ministre qui, sous couvert d’amitié, visite Sarkozy incarcéré à la Santé, est essentiellement politique et clientéliste compte tenu de l’opinion diffusée par la presse Bolloré-Arnault-Dassault. Il ressemble aussi à une ‘manœuvre provocatrice’ d’affrontement -à distance- avec les magistrats et les avocats. Et c’est sans doute important que nos indignations ne favorisent pas une certaine opinion sur la non-indépendance ou la vulnérabilité des juges. On le sait, nous le savons, qu’un grand nombre de magistrats sont des professionnels du droit intègres et conscients de leur rôle. Prenons garde à l’utilisation qui peut être faite de nos alertes, par l’amalgame chère à la droite et l'extrême-droite sur le ‘‘gouvernement des juges’’.

C'est auprès de la CJR (Cour de Justice de la République) que la plainte a été déposée, la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

La plainte vise Gérald Darmanin, mais Jérôme Karsenti dénonce également la réception à l’Élysée de Sarkozy, quelques jours avant son incarcération, par Emmanuel Macron. «C’est très grave, dit-il, car le président est le gardien de l’indépendance de la Justice. C’est écrit noir sur blanc dans l’article 67 de la Constitution. En le recevant ainsi à l’Élysée, ça affaiblit la décision des juges».

Macron, Darmanin, ‘‘dialogue d’homme à homme’’

Finalement les deux personnages partagent la même attitude face à la justice. On se souvient que Darmanin qui est "défavorablement connu des services de Police" dans le cadre de l'affaire Sophie Patterson pour avoir demandé une faveur sexuelle en échange d'un service.

En 2020 une procédure judiciaire était engagée pour viol suite à cette affaire. Le président sous couvert de la présomption d’innocence, et pour justifier la nomination et le maintien au gouvernement de Darmanin a utilisé des arguments ‘‘solides et convaincants’’: C’est un homme «intelligent» et «engagé». A eux deux, ils ont parlé de «la réalité des faits et de leurs suites», en quelque sorte, ils ont instauré, dixit le président,  «une relation de confiance d'homme à homme». (Libération 15/07/2020) On ne peut qu’être surpris et indigné par ces mots du président de solidarité masculine, et on imagine aisément le dialogue sur un ton ‘‘mâle des deux compères à propos des meufs et de la justice’’.

L’attitude du président et du ministre, en recevant Sarkozy à l’Élysée ou en lui rendant visite à la Santé, (quarante-cinq minutes hors parloir) est de même nature, un affront, un outrage à la magistrature, le mépris pour la démocratie et pour une des valeurs qui la fondent, celle de l’indépendance de la justice.

merci Sanaga pour ce dessin

(*) Outrage: acte ou parole témoignant publiquement du mépris, de l’humiliation ; parole, geste, menace, écrit ou dessin, envoi d'objet, de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dus à un magistrat, à une personne siégeant dans une juridiction, à un dépositaire de l'autorité ou de la force publique dans l'exercice de ses fonctions, à une personne chargée d'une mission de service public, et qui constituent une infraction. Ici l’outrage, symboliquement, est la dé-considération sur la chose jugée, le déni de récidiviste sur la condamnation définitive dans le cadre du procès Bismuth dit des écoutes en déc. 2024 et la pression sur l’appel à la condamnation concernant le dossier Libyen, audience à venir.

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