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Billet de blog 5 juin 2024

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Rachida Dati, ‘‘le pouvoir à tout prix’’

Ce billet reprend l’entretien d'Esther Duflo, sur France Culture, qui me semble très éclairant et très juste sur les répercussions de la réforme Dati de l'audiovisuel public. Je prends le titre du livre qui vient de paraître aux éd l’Archipel, sur le parcours de la ministre de la Culture, qui me paraît bien démontrer la volonté, le combat et les objectifs de l’amie de Mme Macron.

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Oui, Rachida Dati est très proche et intime de la nommée ‘‘première dame’’ et selon la journaliste Elisabeth Chavelet, auteure de la biographie, c’est bien cette proximité qui a conduit Macron à la faire rentrer au gouvernement et la nommer à la Culture. C'est un portrait "non sollicité" que la journaliste a publié (réf dans le premier commentaire).

Tout le monde sait l'ambition de Dati pour devenir Maire de Paris (en 2026) elle est donc pressée. C’est une des explications pour comprendre son empressement en imposant un calendrier accéléré pour la réforme qui portera son nom, l’unification des entreprises de l'audiovisuel public, la création au 1er janvier 2025 d'une holding commune qui préparera la fusion (absorption) programmée en 2026.

La rédaction de Mediapart et des contributeurs du Club ont abordé déjà largement cette question. Ici, je me permets de publier le ‘‘biais’’, comme un détour, dont l’auteure est Esther Duflo (économiste, prix Nobel en 2019), qui me paraît aborder avec clarté et pertinence la ‘‘course de Dati’’. [le 3 juin 2024 sur France Culture podcast Le Biais d'Esther Duflo]

Merci Aurel pour ce dessin [Le Monde 14 mai 2024]

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Réforme de l’audiovisuel public, un projet incompréhensible  

Le projet de réforme de l'audiovisuel public de Rachida Dati a, selon ses dires, pour but de le renforcer. Pourtant celui-ci est déjà très fort avec de bonnes audiences, notamment radio. De plus, une fusion aurait un impact potentiel sur l'indépendance et la diversité des médias.

Pour préparer cet entretien, j'ai beaucoup écouté Radio France (en podcast, naturellement). Et c’est Francis, un auditeur du débat sur France Inter, entre Quentin Bataillon et Julia Cagé qui a le mieux résumé mon étonnement : “Je ne comprends toujours pas l’objectif premier de cette réforme”. Moi non plus, je ne la comprends pas bien.  

La réponse de Quentin Bataillon (le rapporteur de la loi) a tenu en une phrase courte : “pour renforcer l’audiovisuel public”. Tout le monde a donc l’air d’accord, un média public fort est un service public essentiel. Et c’est bien vrai. Malgré la concurrence des plateformes et des réseaux sociaux, les médias traditionnels jouent encore un rôle essentiel dans la vie démocratique. Les citoyens ne peuvent pas faire seul le travail d’agréger l’information pour se faire une opinion : les médias le font pour eux. Mais bien sûr, la manière dont ils le font est d’une importance critique. S’ils sont biaisés, l’ensemble du jeu démocratique s’en trouve affecté.   

Pour ne citer qu’un seul exemple, les travaux de Katja Zhuravskaya et co-auteurs ont montré que, en Russie, une couverture très favorable par les deux chaînes de télévision disponibles dans tout le pays a joué un rôle clé dans l'ascension fulgurante d’un certain Vladimir Poutine, de la relative obscurité lors de son accession à la présidence à une victoire spectaculaire aux élections suivantes. Dans les endroits où les téléspectateurs avaient accès à une chaîne anti-Poutine, il a eu un score beaucoup plus faible.

D’où la tentation toujours récurrente de vouloir contrôler les médias, à la fois pour des acteurs privés ou des acteurs publics qui ne seraient pas bien intentionnés. Une anecdote qui nous vient du Pérou illustre bien la valeur que les politiciens attribuent à la télévision par exemple. Le procès de Montesinos, un opérateur qui faisait le sale boulot pour le président Fujimori, et qui gardait une documentation de tout ce qu’il faisait, a permis de révéler le prix que le président était prêt à payer pour s’assurer la loyauté d’un Juge de la cour suprême, d’un général… ou du président d’une chaîne importante de télévision.

Or, si un juge de la cour suprême recevait 300 000 euros par mois, les responsables des plus grosses chaînes recevaient 4 millions. Cela montre bien que le contrôle des médias est essentiel et montre, en creux, l’importance de médias indépendants, et bien financés, justement pour pouvoir garder cette indépendance. C’est un bien public, et cela doit donc rester un service public. On ne peut pas s’attendre à ce que les médias privés, qui ont leur propre logique, servent cet intérêt général. En particulier, en France qui a vu sa note au classement de Reporter Sans Frontière glisser au 21ᵉ rang mondial, notamment à cause de la trop grande concentration du groupe Bolloré.    

La réforme va-t-elle permettre de renforcer les médias comme service public?

 C’est cela que je ne comprends pas bien. D’abord, la ministre de la Culture a l’air de considérer que la situation actuelle n’est pas bonne et que les médias publics s'adressent à des audiences “niches”, alors qu’ils se portent très bien, avec des audiences excellentes, surtout pour la radio d’ailleurs. Bataillon, lui, parle d’un “danger”, qui vient des plateformes, mais n’explique pas pourquoi un géant unifié serait mieux placé pour leur faire face.
Les économistes ont plutôt tendance à penser, en général, que la diversité est une bonne chose : les auditeurs ne veulent pas tous écouter les mêmes programmes. Une direction unique voudrait naturellement imposer “sa” ligne, qui serait donc attrayante pour moins de monde. Je ne vois pas bien quelles sont les économies d’échelle qui compenseront cette perte, étant données les différences fondamentales entre la radio et la télévision.   

Un autre danger, c’est qu’une entité unique, qui de plus, depuis la suppression de la redevance, n’a plus de budget assuré, perdrait son indépendance. Tant que nous avons une équipe démocratique et attachée à la liberté de la presse en place, très bien. Mais si le pouvoir devait devenir plus autoritaire, la tentation de contrôler cette maison unique serait très forte. En Hongrie, une étude montre que les médias les plus proches du pouvoir reçoivent plus de recettes publicitaires, et renvoient l’ascenseur par un traitement plus favorable de l’information. Ce serait une tragédie si quelque chose comme cela arrivait à notre radio et notre télévision publiques.

Esther Duflo

[le 3 juin 2024 sur France Culture podcast Le Biais d'Esther Duflo]

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