C'est peut-être cet ensemble que Cédric Kahn nous propose en adaptant au cinéma le "fait divers" du père kidnappeur qui a pris ses deux garçons (6 et 7 ans) au lendemain des fêtes de Noël en 1997. Pendant onze ans il va les cacher, errer au gré des circonstances dans le Tarne, La Haute-Garonne, l'Hérault jusqu'à Massat dans l'Ariège. Il y sera arrêté et conduit à la prison de Foix en janvier 2009. Condamné à deux ans de prison (dont vingt-deux avec sursis), il sera défendu par ses deux garçons.
Cette affaire, qui avait suscité un débat très passionné sur les droits des pères, a déjà inspiré un autre cinéaste, Jean Denizot, avec La belle vie sorti en avril dernier.
Le film de Cédric Khan, "colle" beaucoup à la vraie histoire, telle qu'elle a été rendue publique. Et dès le début de son film il situe l'enjeu, le différend entre les deux parents. Et c'est au "kidnapping" des enfants par la mère (peut-on l'appeler ainsi quand un de parents prend les enfants contre l'avis de l'autre?), que nous assistons à des séquences de grande violence sur les enfants, ensuite entre les deux parents et, pour tout arranger avec un grand-père maternel qui expulse le père. Un an se passe sans que le père puisse accompagner l'évolution régulière de ses fils, jusqu'au dénouement du "rapt" des enfants par le père, avec la même violence que celle de la mère, dont l'éloignement durera plus de dix ans.
La façon dont cette mini-communauté familiale va vivre, dans le mensonge, sur le qui-vive pour ne pas se faire prendre, la tension permanente pour que le père puisse continuer à maîtriser et à imposer son obsession (effacer la mère, éloigner les enfants de la société des beaufs, de la consommation) nous est présentée et nous plonge très rapidement dans cette confrontation ou plutôt affrontement dont le père entraîne ses garçons, presque une guerre permanente envers tout le monde. C'est toi qui est en guerre, lui dira un de ses enfants pris qu'il est dans la stratégie du père.
Le choix de Mathieu Kassovitz pour interpréter ce père jusqu'au boutiste, paraît assez pertinent et sa performance, son regard, ses gestes, sa révolte, correspondent bien à ce que cette histoire de séparation et garde d'enfants suggère. Un jusqu'au boutisme pour ses principes éducatifs, pour sa révolte contre un système normatif des consciences et des comportements, mais aussi contre la trahison de sa compagne-épouse, dont la vie en pleine nature avait été le sceau de leur union.
Film sans concessions, les paysages de la vie dans la montagne (filmé surtout dans l'Hérault et l'Aude) ne nous accrochent jamais. Ce n'est pas ça que Cédric Khan veut nous montrer, mais l'enfermement dans la tête et dans l'espace, la forte détermination de ce père et la confrontation progressive à ses enfants, qui grandissent et s'éloignent de son système, finalement très normatif dans le monde alternatif qu'il cherche à leur imposer.
L'épilogue, qui voit réapparaître la mère comme un aboutissement de cette chevauchée, et le soulagement qui aurait pu représenter l'arrestation du père, nous est montré comme le pardon de la mère et l'exigence des fils pour qu'elle retire sa plainte.
Sans prendre parti, sans jugement, Cédric Khan laisse tout de même des interrogations importantes sur la justice des affaires familiales, sur l'exclusion, sur l'absence de recherche de médiations dans ces affaires des adultes dont les enfants sont souvent les principales victimes, ce qui soulève la question de la protection de l'enfance.
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C'est néanmoins significatif que les deux garçons, soient actuellement installés dans l'Ariège. D'après La Dépêche du Midi, du 30 oct 2014, «Aujourd'hui, les frères vivent assez proches du mode marginal qu'ils ont connu avec leur père : Shani Yena (24 ans) vend des animaux d'ornement à des particuliers : paons, émeuts, serpents et chèvres naines. Okwari (22 ans) cocher, travaille avec les chevaux. Tous deux voient régulièrement leur père mais ont très peu de contact avec leur mère «On ne rattrape pas le temps perdu… D'ailleurs ce n'était pas du tout perdu», souligne Okwari…». Les deux garçons ont des prénoms de consonance indienne, et Shahi Yena a déclaré à l'Express en 2010 : «Le père je l'aime. Il nous a préservés de notre mère qui voulait nous imposer une vie de merde et de béton… Mais les trois dernières années ont été très dures».