Le réalisateur israélien, Avi Mograbi, est du genre à "donner de sa personne", dans le sens où il se met en scène pour mieux exposer ou défendre son récit, on pourrait penser à Nanni Moretti. Lors de la soirée Doc & Doc, présentée par Documentaire sur grand écran au Forum des Images, deux de ses films ont été présentés, son premier (1997) et son dernier (2013) où il s'expose, se confronte, se fait accompagnateur.
Comment j'ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon
C'est en 1996 qu'Avi Mograbi, décide de suivre Ariel Sharon, au moment où débute la campagne électorale qui amènera au pouvoir pour la première fois Benyamin Netanyahou. Il nous montre alors les préparatifs, sa recherche pour entrer en contact avec Sharon et l'évolution de son projet de film. Se souvenant du massacre de Sabra et Chatila, il veut montrer les dessous du monstre... [en septembre 82, après cette violence, la responsabilité personnelle de Sharon (alors ministre de la défense) est évoquée par la Cour Suprême l'obligeant à démissionner et à se retirer -temporairement- de la vie politique].
Et c'est là que progressivement le réalisateur-reporter va faire connaissance avec l'homme qui conduit une campagne sans relief, avec des discours convenus et sans nouveauté, appelant à voter pour Bibi (Netanyahou). Ce contact, cette entrée dans une intimité -mesurée tout de même- va faire qu'il finit par trouver l'homme gentil, presque comme tout le monde. Et alors que la femme de Mograbi le soutenait pour réaliser ce film, décide de se séparer de lui, compte tenu du "volte face" de l'homme de gauche qu'il a toujours été. En fait Mograbi se présentait comme quelqu'un sans idée politique, autrement il aurait été jetée par les gardes du corps. En effet, il a participé en 1982 au mouvement de jeunes étudiants qui s'opposaient à l'intervention au Liban.
Dans un plan toujours très serré, Avi Mograbi donne à entendre face à la camera cette réflexion intérieur, à voix haute, commentant la succession des meetings, rencontres, échanges Ariel-Avi, jusqu'à cette dernière séquence d'une fête-meeting ratée, avec musique et danse et très peu de monde à cause du dernier débat électoral à la télé.
Et d'un film où l'auteur voulait montrer, dénoncer le type de personnage qu'il déteste, devient un film sur "le réalisateur qui veut faire un film sur Sharon". Le documentaire engagé, se transforme dans un docu-fiction. Avi Mograbi montre bien ce basculement et nous sommes à ce moment-là pris par le côté dérisoire et superficiel des apparitions très calculées du personnage.
Au delà de la personnalité de Sharon, avec humour et impertinence Avi Mograbi nous donne aussi à réfléchir sur l'attrait, la façon dont on risque de succomber parfois à l'objet d'étude ou d'observation.
Dans un jardin je suis entré
"Mon premier film était sur l'antagonisme, le dernier est sur l'empathie". C'est ainsi qu'Avi Mograbi définit sa démarche quand il parle de ses films. Né du travail qu'il a fait aux Laboratoires d'Aubervilliers, il y était en résidence, où un Israélien et un Palestinien, assis à une table, face à face, échangeaient par Skype interposé. C’était une conversation avec un cinéaste imaginé … en quelque sorte la communication et la distance intransposable entre deux peuples.
C'est à sa façon qu'il raconte cette liberté d'aller et venir de ce peuple entre ses villes, Beyrouth, Tel Aviv, Damas, que la guerre est venue empêcher et détruire. Le monde est à l'ouverture, à la transfrontalière et voilà que "notre champ est plus réduit et que nos voyages sont toujours sans retour".
Avec son professeur d'arabe et ami Ali al-Azhari, un arabe israélien, ils rêvent et nous donnent à voir un "Moyen-Orient où Juifs et Arabes vivraient en harmonie". Ils nous montrent des films en super 8, des vieilles photos, des enregistrements, le vieil annuaire avant l’État d’Israël... "c'est un cadeau, un lien nostalgique avec le pays disparu de tes ancêtres, et des miens", lui dit Ali. Pour nous expliquer ou plutôt pour se dire que face à un monde qui crée des compartiments étanches, Avi, le juif veut nous monter quelqu'un qui est toujours dans le désir d'un monde ouvert, une sorte de rebelle, à travers Ali le Palestinien.
On découvre aussi les origines libanaises de l'auteur, les Juifs du Liban, ainsi qu'une belle correspondance d'amour, lue par une femme, avec une voix saisissante : "Les Palestiniens ont été expulsés d’une géographie, de leur pays. Nous, les juifs arabes, nous avons été déracinés du temps, nous ne pourrons jamais revenir".
Reste Yasmine, une petite fille de dix ans, fille d'Ali et d'une mère juive, parlant arabe et hébreu, vive, espiègle mais qui prend peur quand elle lit sur la pancarte du jardin, à Saffuriyeh, là où son père a été enfant, "parc réservé aux habitants du moshav - formellement interdit aux étrangers".
Il y a toute une dimension qui peut échapper au spectateur qui ne connaît pas ces terres, mais il reste une immense humanité, et l'espoir que d'autres regards puissent contribuer à cette volonté commune d'une reconnaissance et d'une volonté réciproque à voir grandir toutes les Yasmine du Moyen-Orient. Dans ce sens, le cinéma d'Avi Mograbi est éminemment politique.