Il est significatif que ce ministre de la République, "pourfendeur" de toutes les lignes jaunes notamment celle de la fidélité à une conviction, vienne sur les ondes radiophoniques d'Europe 1, déclarer que ce rappel de la situation des étrangers et de l'action des bénévoles aujourd'hui à Calais l'associant à celle des juifs et des justes qui les aidaient lui est « inacceptable, désagréable, insupportable ».
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Dans cette ville dont la fermeture du Centre de Sangatte en 2002 a contribué davantage aux difficiles conditions d'existence de cette population, le maire madame Natacha Bouchard, n'hésite pas, selon la Voix du Nord, à rajouter des propos disqualifiants et méprisants envers ces étrangers : « Notre population se sent lésée, car elle est en plus grande difficulté que les migrants. J'en ai croisé aujourd'hui, ils sont bien habillés, ils ont le téléphone, ils ont quatre repas. Et je rappelle qu'ils sont là volontairement, c'est leur choix de vivre dans la rue. »
La municipalité précédente, communiste, ne semble pas avoir pris la mesure de la situation et, hormis le discours son action était inopérante. Aujourd'hui, l'actuelle équipe a eu quelques initiatives ponctuelles là où il faudrait une action humaine et concertée. On peut rapprocher les intentions des déclarations de madame le Maire de celles du ministre : Besson-Bouchard, même combat!
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Dans le journal Le Monde daté du 11 mars, Jean-Claude Lenoir, président d'une association d'aide aux migrants, Salam http://www.associationsalam.org/ (Soutenons Aidons Luttons Agissons pour les Migrants et les Pays en difficulté) , fait un commentaire sur le film que madame le Maire dit ne pas avoir envie de voir:
« Ce que montre le film est la triste vérité. Matraquage, gazage, sont le lot quotidien de ces migrants, y compris les femmes enceintes et les enfants. Même si ces derniers temps ça s'est un peu calmé, ce qu'on a vu ici depuis six ans est inimaginable. Des voitures de police qui avancent à fond la caisse, qui font marche arrière les portes ouvertes... On est dans un autre monde, très peu relayé par les médias. » Il est par ailleurs poursuivi pour « outrages envers des représentants de l'autorité publique, les CRS »
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Mis en cause par le ministre, le réalisateur dans une lettre ouverte publiée par Le Monde (11 mars) rappelle sa conception du rôle du citoyen :
«Dans toute société en situation de crise, face à l'injustice, chaque citoyen se trouve un jour placé devant ses responsabilités. Georges Brassens a parfaitement illustré le choix de cet engagement dans sa Chanson pour l'Auvergnat. A mon époque, la nôtre, je fais de même avec mon film. Sachez qu'en l'occurrence, je ne mets pas en parallèle la traque des juifs et la Shoah, avec les persécutions dont sont victimes les migrants du Calaisis et les bénévoles qui tentent de leur venir en aide, mais les mécanismes répressifs qui y ressemblent étrangement ainsi que les comportements d'hommes et de femmes face à cette répression. »
Et Philippe Lioret, conclue « Il y a quelques jours encore, près de Béthune, une femme a été mise en garde à vue pour avoir simplement rechargé des téléphones portables de migrants. Welcome ne fait qu'illustrer ce genre de fait divers.
La réalité, dit-on, dépasse souvent la fiction. Votre réalité, Monsieur Besson, se contente de l'égaler et c'est déjà suffisant pour être affligeant, pour confirmer qu'aujourd'hui, dans notre pays, de simples valeurs humaines ne sont pas respectées. C'est cela que vous devriez trouver "inacceptable." »
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J'avais dans un récent billet fait référence au film espagnol « 14 kilomètres » sur le parcours de trois jeunes Africains pour atteindre «el dorado ». Ce nouveau film, toujours une fiction, c'est un peu ce qui les attend et la difficulté pour les citoyens d'avoir des « gestes humains » sans courir le risque de répression.
Il n'y a pas d'amalgame entre aujourd'hui et l'époque de Vichy. Il y a cependant des signes sur l'état d'esprit répressif, les caractéristiques qui mènent à la délation et un climat qui autorise un élu à dire que ces déracinés « sont bien habillés, ils ont le téléphone, ils ont quatre repas », comme si tout ceci était de trop pour des être humains.
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La séquence représsive récente sur des collégiens à la gare de Montparnasse montre bien que la ligne jaune est largement franchie, à Calais et ailleurs, par monsieur Besson et ce qu'il représente.