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Billet de blog 11 octobre 2015

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Les fils de la terre, une tragédie rurale

Cela commence comme un conte, l'histoire de Sébastien, un paysan du Sud de la France, on saura plus tard que c'est à Figeac, pas loin de Cahors. Une voix off nous le décrit, nous prépare à faire sa connaissance, découvrir sa ferme, son travail et cet héritage, on est paysan de père en fils et on prend les terres, les bêtes et les dettes.

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Cela commence comme un conte, l'histoire de Sébastien, un paysan du Sud de la France, on saura plus tard que c'est à Figeac, pas loin de Cahors. Une voix off nous le décrit, nous prépare à faire sa connaissance, découvrir sa ferme, son travail et cet héritage, on est paysan de père en fils et on prend les terres, les bêtes et les dettes. Surtout les dettes et la première séquence se passe devant le Juge: avant une solution liquidative qui entraînerait de mettre la ferme aux enchères pour payer les créanciers, le magistrat lui accorde six mois, pour essayer de s'en sortir, conseillé par un juriste-accompagnateur -cher- mais agrée par la Justice.

Et ce conte, histoire de vie, celle de  Sébastien c'est comme du théâtre-documentaire. Une histoire du monde rural parmi tant d'autres et pourtant celle-ci est singulière, comme toutes les autres d'ailleurs. C'est un coup de cœur pour un documentaire, vu par hasard à la télé, qu'Élise Noiraud a adapté au théâtre et mis en scène. Son auteur, Édouard Bergeon, a réalisé pour France2 Les fils de la terre. En faisant connaissance avec  Sébastien et son combat pour survivre dans le monde paysan, il a fait des liens avec sa propre histoire. Quinze ans plutôt il avait vécu le suicide de son propre père, venu s’écrouler sur son lit après avoir ingéré des pesticides. Il avait 45 ans.


Vincent Remoissenet le fils,  Sébastien

Ce sont ces six mois de répit accordé par la justice qu’Élise Noiraud a su nous restituer dans la vie de Sébastien, ses parents, sa jeune compagne qui donnera vie à une petite Zoé. Et il y a l'Ami, qui est le narrateur, le conteur, le confident, le recours, l'exemple dont le père-pas-commode saluera à chaque fois en disqualifiant en même temps son fils qui ne fait pas assez, ne sera jamais à la hauteur. La maltraitance parentale est ici intergénérationnelle, cette pression que le père du père a exercée et qu'il transmet à son tour. Ce n'est pas la crise, les quotas laitiers, pour le père c'est le travail qui compte, travailler sans arrêt... C'est que son Sébastien a goûté à la liberté de la ville, il ne sera jamais un paysan. Alors que nous, dira le père « on a été esclaves toute notre vie ».

La jeune troupe qu’Élise Noiraud a mis sur pied restitue bien ce monde exigeant, implacable des tâches de la ferme, du besoin de travailler chaque fois plus, de répondre aux exigences de production, de commercialisation pour faire face. On ne voit pas les requins des pesticides, des banques, mais ils sont là, diffus, entre les lignes. Le droit du travail et du repos n'est jamais évoqué. Après tout c'est une entreprise familiale, ça dépend d'eux. Peu importe que la mère ait besoin de travailler avec un masque du fait des poussières du travail avec les vaches provocant des problèmes pulmonaires, il faut que ça tienne et qu'il puisse faire bonne figure devant le Juge dans six mois. Pour  Sébastien c'est dur, son père n’accepte pas d'excuses quand son réveil n'a pas marché, il n'a qu'à bosser, un point c'est tout. Lui, n'a jamais eu besoin de réveil! C'est ainsi que son propre père a construit ce patrimoine. Ces mises à l'épreuve sont au-dessus des forces de Sébastien, il a la responsabilité, il ne peut pas abandonner mais cela devient insupportable et par nature, l'insupportable c'est ce qu'on ne peut plus porter. Sans le préméditer une solution se présente, une corde autour du cou, dans la cave là où personne n'ira. Il ne voulait pas mourir mais simplement se reposer pour que tout cela s'arrête.

Et toute ceci se joue dans la belle scène du Théâtre 13. Trois espaces distinctes où, par un jeu de lumière créatif, chaque lieu nous est restitué. L'un nous décrit les corvées incessantes, répétitives, les gestes automatiques, parfois pleins de violence du père et du fils. Les deux autres nous montrent les lieux de vie des deux générations, le salon de l'appartement de Sébastien, la longue table qu'on devine dans la cuisine de ses parents, où tout se joue et tout se dit dans ce qui est possible d’exprimer chez les taiseux. Et parfois il n'y a plus de paroles il reste les coups ou ce qui leur ressemble. Progressivement, ces lieux se défont comme la vie qui se déroule sur le chemin de Sébastien. L'interprétation est très juste à la hauteur de l'enjeu. Le père (François Brunet) et l'ami (Benjamin Brenière) font corps avec leur rôle dont ils se sont appropriés avec aisance. Mais il serait injuste de ne pas souligner le collectif des acteurs, sa qualité à la hauteur de ce généreux spectacle. Le tableau qui ouvre le spectacle de la manipulation du foin, interprété par Vincent Remoissenet nous introduit d’emblée dans la thématique du travail, de l'effort, de la rudesse des tâches de la terre. Le travail sonore accompagne bien ces différents moments de labeur (là c'est le transistor...), de drame et finalement de vie car l'espoir renaît de ce que  Sébastien a pu prendre sur lui et le dépasser.

Ils ont obtenu le Prix Théâtre 13, jeunes metteurs en scène 2015, prix du Jury et prix du public. Ils l'ont mérité et nous, les spectateurs, en profitons bien!

Adaptation et mise en scène d'Élise Noiraud

En scène depuis le 8 octobre, pour deux semaines jusqu'au 18. Il reste peu de temps, mais si vous êtes dans les parages, allez-y. C'est au 38 rue du Chevaleret, Pais 13ème * http://www.theatre13.com/

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Le documentaire d’ Édouard Bergeon : après la séance du dimanche 11 octobre, le Théâtre 13 invitait les spectateurs à la projection du documentaire qui est à l'origine de ce spectacle. J’insère une référence dans les commentaires.

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