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Billet de blog 15 février 2014

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Les œillets à la sauce suisse!

C'était au temps où la radio était importante, très écoutée. La femme du directeur de la Société Suisse de radiodiffusion trouvait que les émissions n'étaient pas suffisamment positives. Qu'à cela ne tiennent, le responsable des programmes -genre carpette- exécute le bon sujet, choisi par le chef et trouve la bonne équipe. C'était en 1974, en Suisse et aujourd'hui c'est un film, Les Grandes Ondes !

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C'était au temps où la radio était importante, très écoutée. La femme du directeur de la Société Suisse de radiodiffusion trouvait que les émissions n'étaient pas suffisamment positives. Qu'à cela ne tiennent, le responsable des programmes -genre carpette- exécute le bon sujet, choisi par le chef et trouve la bonne équipe. C'était en 1974, en Suisse et aujourd'hui c'est un film, Les Grandes Ondes !

Le sujet ciblé «les bonnes actions de La Suisse dans le développement du Portugal». L'équipe, un grand reporter Cauvin (Michel Vuillermoz) sur la pente descendante et une mémoire sélective et défaillante, une jeune journaliste Julie (Valèrie Donzelli), militante féministe, ambitieuse, en bons rapports -dans tous genre- avec son directeur, avec un « physique très bien pour la radio » et un vieux technicien de son Bob (Patrick Lapp) également le chauffeur du mythique vieux Combi, légendaire fourgon Volkswagen, qui lui sert aussi de tente. Le portugais du journaliste chevronné étant plutôt incompréhensible, ils finissent par engager dans un petit village, un jeune interprète, Pelé (Franciso Belard) orphelin, rêvant de Pagnol et de platanes.

Le départ est donné, et les voilà sur les routes du Portugal, pour faire des reportages improbables sur les bien-faits de la générosité suisse (hilarante séquence dans une école, aidée par les capitaux français, allemands, italiens. La participation suisse étant symbolisée par une belle horloge (made in switzerland) et un mélangeur eau froide-eau chaude, au lieu de deux robinets, histoire de dire que c'était l'invention de l'eau tiède.

Avril au Portugal, c’est bien connu , «à deux c'est idéal, là-bas si l'on est fou, le ciel l'est plus que vous, pour un sentimental, l'amour existe t-il, ailleurs qu'au Portugal, en Avril». On se rappelle de la chanson (1947), devenue mélodie touristique des années 60 bien en harmonie avec le "régime" d'alors. Ce n'est pas pour ça qu'ils partent, mais le calendrier fait qu'ils se trouvent en ce mois d'avril 74 au milieu de nulle part dans la nuit du 24 au 25. Et là, une autre chanson, qu'ils n'entendront pas, «Grândola ville brune, Terre de fraternité, Le peuple est celui qui commande le plus, En toi, cité», est le signal de la «révolution des œillets» qu'ils ne découvriront que le lendemain par des confrères belges, envoyés spéciaux, qui leurs rient au nez devant leur ignorance.

Finalement, contre l'avis de leur directeur ils foncent sur Lisbonne et vont participer à cette grande fête-révolutionnaire vue par des suisses. Le jeune réalisateur Lionel Baier, dit «que les Suisses n'ayant pas vécu des événements de ce type ont toujours un regard décalé sur la réalité qu'ils rencontrent». Et, en effet, le regard qu'il porte est à la fois fantasque, inattendu et très salutaire, rien de prémédité, de perçu, tout ce qui vient est bon à prendre. Quelques séquences purement visuelles, d'un humour débridé, de forts éclats de rire et toujours un grand sourire. Entre autres, on y voit une sorte de révolution qui libère les instincts, les désirs et une bien belle «orgie» sympa mêlant expériences hétéro, bi et homosexuelles, d'une révolution des œillets-sexuelle presque chaste pourrait-on l'attendre des représentants suisses.

L'expérience de la révolution des capitaines d'avril est unique et singulière (comme toutes les révolutions d'ailleurs). Il reste que c'est la chute d'une des plus anciennes dictatures en Europe du XXème siècle, l'amorce d'une décolonisation (dramatique par ailleurs) en Afrique d'un des plus vieux pays de colonisation et la découverte de la démocratie par un petit pays de neuf millions d'habitants. Le film Les Grandes Ondes ne traite pas de ça mais donne un aperçu, avec empathie, de la fête avant la longue marche de la démocratie à inventer (et toujours en cours)!

Ils partiront le cœur gros, plein la tête d'une expérience exceptionnelle et surtout un Nagra, bien rempli d'enregistrements qui leur donneront le prix du meilleur reportage. Reste le sympathique interprète, Pelé, qui vint avec eux en France pour poster la lettre à Marcel Pagnol, qu'il admire tant. Manque de peau, sur la devanture d'un kiosque à journaux il lit que Marcel a tiré sa révérence le 18 avril 1974...

Le réalisateur Lionel Baier, un peu métèque, d'origine polonaise, dans un interview sur France Culture, disait que, né à Lausanne (décembre 75), avait fréquenté dans son école, beaucoup de petits camarades Portugais et gardait le souvenir de combien la révolution des œillets était importante pour leurs parents. Avec ce film, sans avoir l'air d'y toucher, il honore en quelque sorte la mémoire de cette camaraderie. Pour le quarantième anniversaire de la Révolution des œillets,  c'est un joyeux hommage!

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