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Billet de blog 15 septembre 2015

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La cérémonie

J'ai eu l'occasion, dans l'espace de quelques jours, d'assister à deux cérémonies sous le sceau de la République. La première au ministère de l’intérieur, plus précisément dans le bureau des naturalisations de la Préfecture de Police de Paris, rue des Ursins, dans l'île de la Cité.

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J'ai eu l'occasion, dans l'espace de quelques jours, d'assister à deux cérémonies sous le sceau de la République. La première au ministère de l’intérieur, plus précisément dans le bureau des naturalisations de la Préfecture de Police de Paris, rue des Ursins, dans l'île de la Cité.

La naturalisation

Une famille algérienne, en France depuis presque quinze ans dont treize sans papiers. Ils avaient du quitter leur pays lors de la «guerre sans nom» autour des années 2001/2002. Je les ai connu en 2006, dans le cadre du soutien aux sans papiers, avec le Comité de Vigilance de Paris 12 pour les droits des étrangers. Avec ma compagne nous sommes devenus marraine et parrain Républicains avec le soutien de la Mairie d'arrondissement et, en l'occurrence, Sandrine Mazetier, élue du 12ème.

Pour des « sans papiers » ils en avaient, des papiers, qu'il a fallu rassembler, classer pour instruire un dossier pour qu'ils puissent obtenir les papiers pour eux et leurs deux enfants. Après des multiples démarches, des heures dans les files d'attente de la Préfecture, des Commissariats, les réunions du samedi matin à la Mairie, passage au Tribunal Administratif de la rue de Jouy (c'est le nom de la rue) et finalement, ils ont obtenu les papiers, d'abord provisoires, leur permettant d'avoir une existence légale dans ce pays au bout de presque treize ans de clandestinité. Ils ont ensuite constitué un dossier de demande de naturalisation, un recours a du être présenté suite à un premier refus et ce jeudi 10 septembre ils ont été conviés à la cérémonie de naturalisation à la Préfecture de Police.

Environ deux à quatre cérémonies hebdomadaires, réunissant chacune entre 50 et 60 futurs naturalisés par décret. C'est dans la salle Marianne, au 2ème étage, que nous avons été réunis.

Un court film sur le sens de «devenir Français» est projeté. Explication par le Chef de service du livret d'accueil distribué à chacun, avec le décret et un nouveau extrait d'acte de naissance. La troisième étape de la cérémonie c'est le discours de bienvenue, par une des Directrices de la Police Générale au nom du Préfet de Police «...Soyez fiers d’être désormais Français, comme nous sommes heureux de vous recevoir parmi nous».

Les services ont pris la précaution de distribuer la lettre de la Marseillaise avec trois couplets et le refrain et la cérémonie se termine par ce moment de partage à capella de tous les présents, jusqu'à alors concentrés sur leur chaise. Des photos autour du buste de Marianne, concluent ainsi le souvenir d'une date marquante pour le devenir de chaque nouveau citoyen.

Pour la famille dont nous nous sentions plus proches, ça été un moment riche en émotion et de joie comme l'aboutissement d'une persévérance devant l'épreuve. Administrative certes, mais épreuve dans le sens qu'ils avaient du quitter leur pays en catastrophe, s'accrocher comme ils pouvaient à ce qui leur arrivait, assurer la subsistance et le devenir de leurs enfants, assumer la précarité, le dénouement que leur choix de partir pour sauver leur vie leur imposait et qu'ils ont fait vivre à leurs enfants.

Instituée par une loi de juillet 2006 et appliquée à partir d'une circulaire de février 2007, nous avons été heureux d'accompagner à la cérémonie, cette famille, qui est devenue aussi un peu la nôtre, dans cette manifestation démontrant qu'après tant et tant de papiers et de péripéties, leur démarche aujourd'hui n'était pas qu'administrative mais un choix de vie important.

La Légion d'honneur

De toute une autre nature mais non moins symbolique la cérémonie de ce lundi 14 septembre. Elle s'est déroulée dans une dépendance du ministère de la Justice, à la PJJ, Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Il s'agissait de remettre à Bernard Ollivier, journaliste, écrivain, les insignes de la Légion d'Honneur. Les raisons de cette distinction se trouvent dans le fait qu'il a crée et fait grandir l'Association SEUIL, consacrée à l'aide à des jeunes mineurs en difficulté ou délinquants incarcérés, utilisant la marche comme médiateur éducatif et de réinsertion sociale.

Je n'ai pas connu Bernard Ollivier comme candidat aux honneurs officiels ou aux médailles, mais cette reconnaissance de son abnégation et de sa détermination, est un facteur de soutien au projet qu'il a construit et qu'il a su partager avec l'équipe qui l'accompagne, pour bon nombre toujours présents et actifs au bout de quinze ans.

C'était en présence de Catherine Sultan, qui fut Juge des Enfants et aujourd'hui Directrice de la PJJ, que Mme Dunoyer de Segonzac, déléguée générale de l'Association l'enfant@l'hôpital, a remis cette décoration, rappelant le parcours de Bernard Ollivier et faisant son éloge. En citant le discours de Camus à l'Hôtel de Ville de Stockholm, lors de la remise du prix Nobel, en décembre 1957, elle rappelait qu'il considérait qu'il y avait «deux sortes d'intelligence, l'intelligence intelligente et l'intelligence bête». Bernard Ollivier a mis toute son intelligence à cette forme intelligente de considérer l'Autre, les jeunes, les respecter, les soutenir, leur faire confiance dans la force dont ils sont porteurs si on s'attarde un peu pour les accompagner.

C'est d'ailleurs ainsi que Bernard Ollivier a répondu, commençant par ce clin d’œil à la vie et à l'origine dont il est issu et qu'il honore «que le fils d'un ouvrier granitier et d'une lavandière, puisse être ainsi honoré, montre que l'ascenseur social fonctionne encore». Et c'est peut-être là qu'on trouve et qu'on perçoit les valeurs et la démarche engageante de Bernard Ollivier à poursuivre son idée d'aider, de soutenir, d'être à l'écoute et d'être force de proposition pour des jeunes dont l'histoire et la vie ont mis sur le bord de la route.

Bernard Ollivier a raconté avec les mots simples qui lui sont propres et captivent toujours les auditoires, l'aventure de Seuil, le compagnonnage d'une petite poignée que dès le début l'ont soutenu car ils ont compris toute sa dimension humaniste et originale de faire en sorte que par la marche, la «performance» physique, des jeunes loin de toute pensée, se mettent à réfléchir, à faire des efforts, à se chercher en marchant et peut-être un jour, plus tard, quand ils seront prêts à se retrouver.

En aparté, Mme Sultan soulignant l'humilité de Bernard Ollivier dans son propos, me disait «en fait il n'a pas parlé de lui, il n'a parlé que de l'association Seuil». C'est peut-être la raison pour laquelle il a accepté de figurer sur le "palmarès de la Légion..." pour renforcer les bases de SEUIL.

 Deux cérémonies bien distinctes, l'une m'apprend pour l'autre, chacune me confortant dans cette conviction que même dans les temps ou les périodes moins joyeuses ou moins engageantes, nous savons partager le respect et la confiance dans l'Autre.

Il me vient à l'idée, forcément, cette phrase de Fernando Pessoa dans un de ses poèmes sur la Mer Portugaise: «Tout vaut la peine quand l'âme n'est pas petite...».

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