Pour Bardela ‘‘une décision des juges, [qui] ont décidé d’éliminer purement et simplement [Marine Le Pen] de la course à la prochaine présidentielle’’.
Eric Ciotti, inscrit au Rassemblement national depuis les élections législatives, saisi l'occasion pour tout amalgamer, en se demandant à haute voix, ‘‘si la France était encore une démocratie... associant ‘‘le fait que François Fillon avait été «éliminé» de la course présidentielle en 2017, le non-renouvellement de la fréquence de la chaîne de télévision C8, qui diffusait Touche pas à mon poste, et la condamnation de Marine Le Pen.’’
De son côté, sur le réseau social X, Jean-Luc Mélenchon a renchérit en confirmant les propos de LFI: «La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple.»
Mediapart a consacré de nombreux articles à l’affaire LePen et au détournement de fonds publics sur les emplois fictifs au Parlement européen du Front National (RN). Dans le Club, des billets engagés et souvent instructifs ont aussi enrichi le débat sur l’analyse et les conséquences de cette décision de justice.
«Destituer un élu»... le peuple, la justice ?
Et s’il n’y a pas de doute qu’en démocratie la décision de ‘‘destituer un élu’’ revient aux électeurs. Il me paraît aussi évident qu’un.une élu.e, ayant commis des actes contrevenant à la loi (corruption, abus de confiance, violences, détournement de fonds, trafic d'influence, maltraitance familiale...) et condamné.e serait en incapacité de se présenter à une élection politique, nationale ou locale.
Dans cette affaire les juges ont appliqué des lois votées au parlement, notamment depuis l’adoption de la loi Sapin 2 en 2016, qui en a fait la règle en matière d’incrimination pour détournement de fonds publics. Le texte a été voté avec une large majorité, c’est vrai que cela faisait suite à l’affaire Cahuzac.
La controverse soulevée est surtout en référence au fait que la condamnation est assortie de cinq ans d’inéligibilité d’application immédiate. Autrement dit en l’état et dès maintenant Mme LePen ne pourra pas se présenter à une élection politique.
Rappelons que depuis une semaine on ne parle que de l’hypothèse d’une candidature de Mme LePen aux présidentielles de 2027 et pas ou très peu du détournement de plus de 2,9 millions d'euros, "pendant onze ans sur trois législatures".
Le FN-RN s’agite dans tous les sens pour crier au procès politique et ainsi éluder le fond (la corruption) et ne retenir que la forme qu’impose l’inéligibilité d’une prévenue (certes celle qui a le plus à perdre...). Même si Marine LePen ne s’y attendait pas, elle et ses comparses ont su saisir l’occasion pour se victimiser et crier à une justice partielle.
Un appel a été interjeté et, chose rare, la Cour s’est engagée sur une date (été 2026...). Est-ce que ça veut dire que la Justice quand elle veut, elle peut réduire le temps d’attente ou c'est une preuve supplémentaire sur l’inégalité de certains.es devant les Tribunaux ?
Qui veut ‘‘l’inéligibilité à vie’’ ?
Mme LePen en 2013, sur la chêne Public Sénat se/nous questionnait : «Quand allons-nous mettre en place l’inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été condamnés pour des faits commis à l’occasion de leur mandat ?». C’est dire sa détermination à ‘‘se servir de la justice’’ contre les autres et à exiger un traitement à part quand cela la concerne.
Le ‘‘trouble’’ de M Bayrou est aussi significatif à cet égard. Outre la surprise qu’un premier-ministre commente ainsi une décision de justice, il exprime par là sa crainte personnelle, d’autant que l’affaire des assistants parlementaires de son propre parti, le Modem, n’est pas encore terminé.
Cette situation va durer longtemps, les débats vont être vifs, les confrontations nombreuses et on peut craindre que les éventuels affrontements soient violents. L’extrême-droite nationale et certains personnages politiques de la droite dite de gouvernement s'en chargent d'agiter l’épouvantail inspirés et animés par cette nouvelle internationale "brune" qui prend de l’ampleur dans le monde (de Trump à Orbán en passant par Milei et Netanyahu). Tout ceci réconforte et mobilise les aficionados LePen!
Pour un "casier judiciaire vierge"...
Nous ne sommes pas encore là (pour Marine LePen) mais, si la condamnation est confirmée, la question de l’éligibilité dans l’action politique est posée (et se pose déjà pour un certain nombre d’élus dont le nombre de ‘‘casseroles’’ n’a jamais empêché de se représenter au suffrage des électeurs). En quelque sorte la situation actuelle suggère une réflexion sur l’exigence d’un casier judiciaire vierge pour se présenter à une élection politique, nationale ou locale.
Dans de nombreux métiers, des secteurs les plus divers y compris dans la fonction publique (ou les assistants parlementaires), un casier judiciaire vierge est exigé. Ce n’est pas le cas pour un.une candidat aux élections politiques.
Outre l’équité du même traitement pour tous, il me semble évident que la condamnation de tout citoyen.enne devrait être un motif d'empêchement à se présenter au suffrage des électeurs.
Les réactions et menaces contre des magistrats me semble un signe de refus des décisions prises au nom de la loi, mais qui ébranlent la toute puissance du personnel politique qui s’estime au-dessus de la mêlée...
Que M Macron rappelle que la justice est «indépendante» et que les «magistrats doivent être protégés», c'est bienvenu surtout quand on sait que le premier-ministre a été "troublé". En revanche, on se rappelle qu'on ne l'a pas entendu "couvrir" la justice quand son alter ego Kholer a été mis en examen. Au contraire, il a notamment vilipendé Anticor du fait de son action qui est à l’origine de la mise en examen de Kholer. (Certes on sait que l’ex-secrétaire-général de l’Élysée s’estime au dessus des lois ayant refusé de répondre aux convocations de l’Assemblée et du Sénat -avec l'assentiment de son boss-).
En février 2017 (sous Hollande), l’Assemblée nationale avait adopté, à l’unanimité, une proposition de loi visant à instaurer l’obligation pour les candidats à un mandat électif de présenter un casier judiciaire vierge. Votée en fin de législature, elle a été transmise au Sénat, qui ne l’a jamais examinée.
De son côté, ‘‘Emmanuel Macron s’était engagé à faire passer cette mesure inscrite dans son programme: «la loi de moralisation de la vie publique comprendra (…) l’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection». Il ne l’a pas fait et lors des débats sur la loi relative à la confiance dans la vie politique, le «risque constitutionnel» a servi de prétexte pour écarter cette proposition. Il a été avancé que l’exigence d’un casier judiciaire vierge serait contraire à la constitution sans que le conseil constitutionnel ne soit jamais consulté.
merci Miss Lilou pour ce dessin
... Un combat pour la démocratie
Pour l’association Anticor, contre la corruption et pour l’éthique en politique, ‘‘le risque d’inconstitutionnalité vient du fait que l’inéligibilité est une sanction et que cette sanction doit être spécifiquement prononcée par un juge car la Constitution interdit les peines automatiques. Or, le Conseil constitutionnel n’a jamais eu à se prononcer sur cette question par le passé. D’après Anticor, l’exigence de casier judiciaire vierge est une condition d’aptitude aux mandats électifs politiques comme pour de nombreuses professions (fonctionnaires, avocats…) et non une sanction automatique.’’
La question est complexe et, comme on sait, pour être éligible, il faut être électeur.trice. Ce qui revient à dire que le citoyen français dispose du droit de vote, et de ce fait peut être élu.
Le sénateur de l'Hérault, Henri Cabanel, qui se bat depuis 2016 pour un "casier judiciaire vierge", se questionnait l'été dernier, au moment où il représentait une nouvelle proposition de loi «Comment expliquer aux citoyens qu’un élu n’a pas l’obligation d’un casier vierge, alors que plus de 400 professions l’exigent ?» . Il s'agissait d'empêcher toute candidature aux élections locales de personnes dont le bulletin numéro 2 du casier judiciaire comporterait une condamnation définitive pour manquement au devoir de probité, corruption et trafic d’influence, recel ou de blanchiment ou encore une infraction fiscale.
C’est le «contexte inédit de défiance des citoyens envers les partis traditionnels et les élus en général» qui l’avait conduit à déposer un projet de loi en 2016. Sept ans plus tard, son constat n’a pas changé, il s’est même aggravé. «Que dire aujourd’hui après des records d’abstention aux différentes élections municipales de 2020 et présidentielle de 2022 ?»
L’intégrité et l’éthique dans la vie politique est une des conditions pour que la démocratie puisse s’exercer dans un État de droit. On sait que des personnalités aux premiers postes de l’État ont été condamnées pour détournement de fonds, fraude fiscale, emplois fictifs, corruption, abus de confiance... De Chirac à Cahuzac, Juppé, Fillon, Balkany, Tibéri, Sarkozy un point commun les réunit, se considérant ‘‘innocents et victimes d’une justice politisée’’. L’exigence d’un casier judiciaire vierge n’arrêtera pas le manque de probité ou la corruption mais ça contribuerait à une plus grande exigence d’exemplarité et peut-être même éviterait certaines ‘‘tentations’’ !