Je suis né à côté la gare principale d'une grande ville, où il n'y avait pas de jardins. Ainsi la salle des pas perdus était parfois une sorte de terrain de jeux. Par ailleurs, je l'ai découvert plus tard, elle est très belle avec des azulejos qui racontent un peu l'histoire du pays. Très jeune j'y allais attendre le train du soir qui apportait les journaux de la capital, que je prenais pour mon grand-père. C'est dire si les chemins de fer m'ont vu grandir et accompagné dans mes premières sorties.
Je n'ai pas réussi à travailler comme cheminot, je n'ai fait qu'une courte incursion, il y a environ quinze ans, dans le service social de l'entreprise (côté médiation familiale) et j'ai eu à connaître quelques une des difficultés des agents. Identiques à celles des non cheminots, avec une aggravation des conflits ou séparations familiales fréquentes du fait des horaires. Ma non appartenance à la famille cheminote, a été compensée par les lectures d'Henri Vincenot ou La vie du Rail, longtemps abonné.
Je considère que le chemin de fer peut être un levier important pour le développement d'un pays, une source d'économie du coût consacré aux transports, un moyen efficace pour réduire les nuisances du tout voiture ou poids-lourds sur la route. Bref, un moyen de transport qui va dans le sens de l'intérêt général. Ceci n'est nullement anti-voiture, car ou camions car je pense que c'est l'articulation harmonieuse entre ces moyens de déplacement qui faciliteront la vie des personnes et rendront le territoire accessible au plus grand nombre.
Tout ça pour dire que les discours que j'entends contre le chemin de fer me hérissent le poil. Je dois l'admettre, c'est souvent un peu épidermique, ce qui n'a jamais enrichi un argumentaire...

Dessin d’Ajubel, paru dans El Mundo, Madrid.
Et c'est là que je veux en venir. Usager régulier du train dans la région parisienne, mais aussi pour les grandes lignes, ce qui se déroule devant nous actuellement est désastreux pour l'avenir du chemin de fer et, si la direction ou les responsables des transports avaient l'intention de «faire disparaître le train», la riposte telle qu'elle est exercée ne fait que leur servir car pour défendre le service public ce n'est pas, me semble-t-il en radicalisant une lutte (qui devient minoritaire) qu'on s'en sortira mais en mobilisant les énergies pour associer les usagers à cette volonté. Ce ne sont pas les «patrons» qui sont pénalisés mais tous ceux pour qui le train c'est le moyen de gagner ou de chercher à gagner son pain quotidien comme c'est leur gagne pain pour les cheminots.
Je ne rentre pas dans les détails de l'enjeu (aussi bien les modalités énoncées par le gouvernement qui prolonge ainsi le déroulé de la délicate situation de l'entreprise qui ne date pas de mai 2012, ou par la représentativité du mouvement avec les nuances à l’œuvre des organisations syndicales et de ce qui se joue à l'interne, ou les positions des élus, notamment de la droite où les uns s'opposent pour faire mieux que Copé (Chatel) ou soutiennent pour imposer d'autres virages de la Sarkozie en préparation). Dans les pages de Mediapart des multiples prises de position se sont exprimées et chacun peut y trouver de quoi nourrir sa réflexion et son éventuel engagement.
L'ouverture à l'Europe du chemin de fer est inéluctable et plutôt les avancées seront mises en route, même imparfaites, on sera mieux armé le moment venu. Le devenir des génération futures n'est pas le train de l'hexagone, c'est la continuité du service public vers le sud la péninsule ibérique, vers l'est... C'est aussi l'aménagement du territoire et l'évolution des moyens et des modes de communication (le courriel/le courrier pour la Poste, les transports collectifs/le covoiturage pour les transports en commun). Je me demande parfois si nous ne sommes pas en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
L’Europe que nous construisons (par ceux à qui les populations ont donné la majorité) ne nous convient pas, ce n'est pas celle qui nous semble la plus juste. Il me semble que ce n'est pas en s'y opposant que nous réussirons à la faire changer, et nous avons eu la preuve le 25 mai: ceux qui s'opposent à l'Europe sont sortis vainqueurs (le FN est passé de 3 à 24 élus jusqu'en 2019) et la gauche n'a pas bénéficié des atermoiements du trio Hollande-Valls-Désir, qui se sert de l'Europe. Le PS étant depuis un certain temps hors des rails!
Si on a fréquenté les gares de St Lazare, du Nord ou de Villepinte ces jours derniers on ne peut que constater le désarroi, la violence, le cumul des "précaritées" vécues par les usagers.
Et cette difficulté est aussi exprimée dans nos échanges, nos commentaires. Dans l’entretien du sociologue Marnix Dressen (assez intéressant dans l'ensemble de son contenu, surprenant parfois dans certaines séquences où il botte en touche notamment sur le rapport de la Cour des Comptes ou le salaire des polytechniciens, "Comparons ce que gagne un polytechnicien qui a décidé de faire carrière dans le transport ferroviaire avec les revenus de ses camarades de promotion qui ont opté pour l’industrie pétrolière… Comparons aussi les dix plus hauts salaires de la SNCF avec celui de leurs homologues des banques…" Vu sur cet angle on ne peut que saluer les énarques qui ont choisi la famille des cheminots...!

La légitimité d'un commentaire
Dans les commentaires à cet article, un des Mediapartiens questionne ce mouvement et fait part de la difficulté dans laquelle il s'est trouvé. «Devant me rendre en Normandie pour un entretien j'avais réservé mes billets en avance le jour j soit le 22 mai vers 6h 30 alors que rien n'avait été indique, le train a été annulé pour cause de mouvement social. tous les voyageurs regard perdu cherchaient desesperemment des informations mais personne». Il fait à ce propos certaines remarques qui manifestent sa colère et une interprétation très personnelle.
Les multiples réponses qui lui ont été faites, dont certaines parfaitement méprisantes l'accusant presque d'être un "agent du Medef" (il a au moins la circonstance atténuante d'être un abonné de Médiapart, comme chacun de nous...) m'ont semblé l'expression même de ce clivage qui confronte mon attachement à la défense du transport ferroviaire. En la matière comme dans le reste d'ailleurs, ce n'est pas dans l'anathème de tous ceux qui ne pensent pas -ou s'expriment pas- comme nous, que nous pourrons construire une gauche ou tout simplement une société plus solidaire et fraternelle. Et s'il est de droite -ce qui est son affaire- notre rejet n'est pas plus glorieux. Par ailleurs ça ne fait pas avancer le schmilblick!
Pour ce qui est de son récit sur un train annulé, une histoire semblable m'était arrivée en février 2012: http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/040212/histoire-de-train. Une amie enseignante à Caen, faisant le trajet régulièrement depuis Paris, est souvent confrontée à ces annulations impromptues.
Plus récemment, fin avril 2014, dans le train de nuit Paris-La Tour de Carol, devant descendre à Foix, la partie qui devait poursuivre le trajet est restée en quai, et ce n'est que par hasard que trois quarts d'heure plus tard, nous sommes trois à pouvoir attraper un TER en partance vers Ax-les-Termes. Les moins chanceux avaient un autre troi quarts d'heure plus tard. L'agent, de façon nonchalante, il était 6 heures et quart du matin, se montrait bien peu empressé d'informer les autres voyageurs. «Ce n'est pas mon boulot, au chef de gare de faire son job!».
Un de mes amis cheminot, syndicaliste basé à Agen, ne cache pas son désappointement avec le manque de motivation -il l'appelle responsabilité professionnelle- qu'il constate au tour de lui. Je le crois vivement et il est vraisemblable que la gestion et la nouvelle appellation de l'organisation et méthodes du marketing du XXIème siècle, qui sévit à la SNCF comme partout ailleurs, contribue aussi bien à cet engagement minimum que chacun de nous a pu constater en tant qu'usager-lambda ou à des problèmes plus graves comme le déraillement de Brétigny.

Au train où vont les choses...
Je pense qu'on peut dire qu'au train où vont les choses il est vraisemblable que celui pour qui nous avons voté majoritairement en mai 2012 déraille pour de bon bientôt. Ce serait peut-être plus clair et plus sain pour la politique et la démocratie. Je ne suis pas sûr, cependant, que les plus démunis, les plus fragilisés, que la majorité de la population sorte gagnante. Je dirais plutôt le contraire et durablement, si notre Président-monarque et co-prince d'Andorre mettait son élection en jeu!
Reste que pour ma petite-fille, qui passe tous les jours à la Gare du Nord, le jour de sa première épreuve du Bac restera dans la mémoire comme celui de la grève des trains. Tout ce que j'aurais pu lui dire sur l'histoire des trains devient bien dérisoire!