C'est le «chemin» pris par chacun, au gré des rencontres, des circonstances, de la détermination, de la solidarité, que ces témoignages nous rappellent comment les réfugiés vivent les conséquences de leur décision de dire Non.
Dans le Portugal des années 60, partir au-delà des Pyrénées, surtout en France mais aussi ailleurs, Luxembourg, Suisse, Belgique... pour les émigrés dits économiques, c'était une nécessité. Les ressortissants portugais, avec d'autres, sont alors devenus les «soutiers» de l'Europe en boum économique. Et parmi eux, beaucoup de jeunes hommes, en âge militaire qui refusaient de partir en Angola, Mozambique ou Guinée Bissau-Cap Vert. Ils n'acceptaient pas l'obligation d'un service militaire de quatre ans et une destinée certaine, l'Afrique en guerre. Le Portugal y exerçait le rôle de gendarme-colonial contre les peuples en lutte pour l'indépendance, soutenues par l'URSS et le monde progressiste.
À ce mouvement viennent s'ajouter les déserteurs et insoumis, dont le refus correspondait à un engagement politique. Ce sont ces parcours dont il s'agit dans Exilios, qui nous instruisent sur les ruptures familiales et sociales, les motivations, les débats, les risques et finalement les multiples solidarités rencontrées.
Livre de témoignages, livre de mémoire
L'idée de ce livre date d'une vingtaine d'années à l'initiative notamment de Fernando Cardoso, aujourd'hui responsable au Portugal, de l'Association des exilés politiques portugais, déserteur en 1970 réfugié à Paris, où il a milité auprès de la communauté immigrée. En France c'est l'association Memoria Viva [Mémoire Vive http://www.memoria-viva.fr/category/actualite/ ] qui diffuse l'ouvrage, ayant participé à sa conception dont Vasco Martins est un des animateurs et un des premiers à s'exiler en France en 1961.
Un projet comme celui-ci met du temps à mûrir, et les mémoires, comme nos vies, a aussi besoin de temps pour faire son chemin.
La question est complexe. Pour le militant politique, déserter de l'armée coloniale, risquer sa vie, considéré traître par l'autorité militaire, c'est aussi déserter du combat politique, en l'occurrence la lutte clandestine, seule opposition organisée dans le Portugal fasciste. Il s'agissait alors du combat contre la plus vieille dictature en Europe, dans ce petit pays coincé entre l'Espagne franquiste et la mer, qui autrefois lui avait permis de découvrir le monde...
Déserter, de la guerre coloniale et du combat politique?
Au début de la guerre coloniale, en 1961 en Angola, le Parti Communiste Portugais (clandestin) appelait à la désertion. Le mot d'ordre s'est modifié en 1966 pour ses militants, qui avaient la consigne d'infiltrer l'armée pour fomenter des mouvements de désertion et de révolte à l'intérieur de l'armée. Cette position a été très controversée. Plus tard un mouvement, des partisans de la rupture dans le conflit sino-soviétique, appelaient les militants à déserter avec «leur arme», dans la perspective d'affaiblir le dispositif militaire mais aussi de constituer un stock d'armes «ça pourrait toujours servir»...
Nous avons été nombreux à faire face à cette contradiction entre le refus de la guerre coloniale et la «désertion» du combat politique à l'intérieur du pays. J'y ai directement été confronté ayant quitté Porto en juin 1966.
Dans ce livre, il est souvent question de la mauvaise presse, encore aujourd’hui, qui se véhicule au Portugal sur les jeunes des années 60/70, qui auraient choisi le confort et la facilité en quittant le pays. Ce livre donne à voir, fait connaître ce à quoi chacun a du s'adapter. Certes, ce sont des chemins singuliers, par des voies qui, à leur manière, ont participé à ce que le pays est devenu avec le 25 avril 1974. Il y est question de certaines désertions collectives, au Portugal ou sur le terrain de bataille comme ce fut le cas en Guinée Bissau. Après l'indépendance de l'Algérie un certain nombre de militaires déserteurs en Afrique, ont été accueillis à Alger, avant de rejoindre l'Europe.
L'éthique de l'anti-fasciste
L'armée coloniale portugaise a du répondre à ces deux mouvements à l'intérieur du pays, le départ «a salto» de beaucoup de jeunes hommes avant d'être appelés et qui a fragilisé le dispositif militaire par la baisse d’effectifs et d'un autre côté «les jeunes officiers, sortis de l'Université politisée de l'époque, qui ont aidé à accélérer le mécontentement au sein des Forces Armées», écrit Irène Pimentel, dans la postface de ce livre. Elle souligne la question éthique qui se posait à tout militant antifasciste portugais, refuser de prendre des armes contre les peuples africains dont on disait soutenir le mouvement d'indépendance.
Certains témoignages retracent des belles rencontres et des cocasses situations qui, après toutes ces années, réjouissent la mémoire des protagonistes et des lecteurs. À souligner qu'un certain nombre de déserteurs portugais ont bénéficié du réseau très dynamique à l'époque (formé de hollandais, allemands et danois), faisant lien entre la Hollande et la Suède, utilisé également par les déserteurs américains de la guerre du Vietnam.
C'est donc le livre de ces récits-mémoires qui contribuent aussi pour l'histoire et pour la recherche. Ils apportent sans doute une force pour les enfants de ces déserteurs qui, dans les différents pays qui ont accueilli leurs parents, sont le symbole de ce qui veut dire accueillir des réfugiés. Sujet d'actualité si on observe la façon dont l'Europe des États répond, aujourd'hui, aux migrants et notamment aux réfugiés syriens.
Présentation publique à Lusofolie's
Le livre Exilios sera présenté dans l'espace Lusofolie's (57 avenue Daumesnil Paris, métro Gare de Lyon), par Victor Pereira, historien à l'Université de Pau.
Après la présentation, ce samedi 21 mai à 16 heures, il y aura de la musique et des chansons engagées de cette époque. Rui Meireles, déserteur d'Angola, chantera des chansons du poète et compositeur angolais, Rui Mingas. Également Arnaldo Franco, déserteur qui a participé au Teatro Operario (Théâtre Ouvrier) des années 70, et Pedro Fidalgo, jeune cinéaste qui chantera des chansons des «anciens» et de lui. Grândola (chanson de la révolution des œillets) ne sera sûrement pas très loin...
Il y aura aussi une voix française qui a marqué la chanson de mai 68, Dominique Grange présente, chantera quelques chansons de son répertoire. Les moins jeunes se souviennent, "à bas l’État policier" ou "Nous sommes les nouveaux partisans", pas étrangères à l'actualité française d'aujourd'hui... Des mémoires multiples qui se retrouvent et qui transmettent.
Le livre
Vingt-deux témoignages, dont un en chansons, celui de Tino Flores, chanteur populaire engagé dans la lutte politique de l'immigration du début des années 70. Un concert 'en live' à Malmö en Suède en septembre 1973. Une volumineuse et précieuse iconographie complète l'intérêt de cette édition. Presque intégralement écrit en portugais, avec un texte de Rui Bebiano traduit en français et en anglais, intitulé Expérience et mémoire de la désertion et de l'exile. [ Édition AEP61-74, 160 pgs. 2016 * http//aep61-74.org * geral@aep61-74.org]
