C'est par un billet de WataYaga que nous avons appris l'organisation d'un raffut pour les Chibanis, ce samedi 17 janvier. Il s'agit du soutien aux travailleurs immigrés et retraités logés au 73 du Faubourg St. Antoine, à Paris 11ème. Ils risquent l'expulsion depuis qu'à la mi-décembre la Préfecture de Police a pris un arrêté d'interdiction immédiate d'habiter, ce qui signifie qu'ils peuvent être expulsés à tout moment. Il y a actuellement 34 locataires, la plupart des retraités, les «chibanis», en arabe du Maghreb, cela veut dire "vieux, vieil homme ou cheveux blancs".

Le billet de WataYaga donne des éléments sur la situation actuelle [UN RAFFUT POUR LES CHIBANIS SAMEDI 17 JANVIER à 11h] et j'avais pour ma part publié un billet en septembre lors du déclenchement de leur lutte en août/septembre derniers [Les Chibanis du Faubourg St Antoin]
L'argument de l'expulsion préfectorale consiste dans le «risque d'incendie et l'absence de dispositif de sécurité». Ceci n'est pas contesté par les résidents. Mais s'il y a des problèmes de sécurité on pourrait penser que les services de l’État se tourneraient vers le propriétaire des lieux avec l'exigence, sans délai, de la conformité aux normes. On sait que la société immobilière cherche à faire expulser les résidents. On sait aussi que l'élu municipal chargé du logement, Ian Brossat a évoqué la possibilité de transformer cet hôtel insalubre, par son acquisition par la Mairie, dans un ensemble de logements sociaux permettant à ces actuels occupants d'être relogés.
Mais la Préfecture ne le voit pas ainsi et lance son arrêté pour forcer à une expulsion expéditive. Après une semaine d'émotion pour faire face à la barbarie, il est temps de revenir à la «politique sociale» et d'alerter la population et les associations de cette volonté de "nettoyage" des autorités administratives de la capitale.
C'est ainsi que le raffut de ce samedi matin a été une belle occasion pour faire du bruit... mais aussi de la musique dont la «fanfare invisible» était bien présente pour accompagner le rassemblement et animer le petit cortège qui s'est ensuite rendu au 25 rue Morand, toujours dans le 11ème, où les locataires avaient, en 2005, été confrontés à une situation semblable d'expulsion. L'expérience des uns est toujours matière à réflexion pour la réalité des autres. Dans ce sens l'association Droit au logement et le CLAC 12 (Collectif Logement Associatif et Citoyens du 12e), animent et soutiennent leurs revendications.
«L'embourgeoisement» du Faubourg
Cet hôtel fait «tâche» (et on peut imaginer que certains rénovateurs urbains de la capital le pensent), donc la transformation de ce lieu insalubre, qui abrite pourtant certains locataires depuis presque quarante ans, à jour de loyer, en résidence sociale risque de faire baisser le prix du marché spéculatif du quartier.
Lire à ce propos "Paris, quinze promenades sociologiques" (pg129) [Petite Bibliothèque Payot] par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, savoureuse déambulation à faire avec ce précieux guide urbain, aussi bien pour les parisiens que pour les visiteurs soucieux de connaître la ville du dedans!
A titre d'exemple, le 75 du Faubourg est situé entre deux magnifiques cours préservées. D'un côté la Cour de l’Étoile d’or, à découvrir la beauté du lieu, avec un cadran solaire du 18e siècle, qui servait à l’époque à donner l’heure. La porte de cette cour est maintenant fermée, un digicode interdisant aux curieux d'y mettre leur nez. De l'autre c'est la Cour des Shadocks , la plus récente des cours. Construite en 1998, son nom honore Jacques Rouxel, créateur des Shadocks. Comme l'écrivent les Pinçon-Charlot, «Sur les pavés, les tables et les bancs de bois sont des promesses de convivialité... devenue un lieu "tendance", a toutefois épargné un atelier de tapisserie qui travaillait autrefois au capitonnage des sièges pour ses voisins ébénistes».
On comprends avec tout ça, que les promoteurs n'aient «rien à cirer» des chibanis ou d'autres possibles usagers d'une résidence sociale, prônant par son existence même un brassage de population qui n'est pas du goût des nouveaux commerces du Faubourg qui relie la Bastille à la Nation. Lors de la marche de dimanche je me suis trouvé coincé au croisement de la rue du Faubourg et de la rue Ledru Rollin, M Valls est passé à pied pas loin, mais il n'a pas vu sur sa droite l'hôtel des chibanis. N'était pas le jour, espérons que le raffut de samedi matin arrive aux oreilles de ses Services!
Une belle rencontre
Au cours de cette joyeuse manifestation, j'ai échangé un moment avec un chibani, pas résident mais, habitant de l'autre côté (c'est à dire dans le douzième proche du marché d'Aligre). Il est passé et s'est arrêté un peu en signe de solidarité et parce qu'il avait déjà entendu parler. D'origine marocaine, il a travaillé chez Renault à partir des années 64, 65, d'abord à l'Usine O, Pt de St Cloud et ensuite dans l'Ile Seguin. Il s'est marié avec une Algérienne, a eu des enfants dont un garçon qui a été difficile à canaliser pendant son adolescence. Lui-même est devenu père et son fils, âgé de dix-neuf ans est aujourd'hui «perdu avec les barbus». Et il me racontait ça pour m'expliquer que les crimes commis la semaine dernière n'étaient pas le fait d'étrangers mais de «nos enfants, que nous n'avons pas su mener au bon chemin», embrigadés par des fondamentalistes qui auraient décimé des familles dans le bled de sa femme en Algérie proche de Daouda Marine.
Et quand il me parlait du chemin de son petit-fils, avec des tremblements dans la voix, il voulait me dire que finalement les difficultés qu'il a eu avec son fils, dans le cadre scolaire, au lieu de l'aider et de l'orienter pour voir comment il pourrait rattraper son retard, il a été expulsé plusieurs fois du collège et ensuite de la formation professionnelle, ces embarras se sont aggravées avec son petit-fils.
Le lieu ne permettait pas d'aller plus loin, mais il semblait bien en peine avec le devenir de son petit-fils qu'il ne sait pas si, à un moment ou un autre il ne deviendra pas aussi incontrôlé que les tueurs de Charlie et de Vincennes. Son petit-fils a été un moment placé dans des foyers éducatifs, a été suivi par des éducateurs avec un Juge, mais «c'est de la mauvaise graine, alors qu'il part de moi».
Invisibles, pièce de théâtre de Nasser Djemaï qui rend hommage aux chibanis
Nous étions là pour les chibanis du Faubourg, la fanfare animait la rue et rendait joyeux les participants et parfois les passants ou les automobilistes, et cet homme exprimait spontanément, ce qui m'a surpris, la douleur qu'il ressentait à la fois pour ce qui vient de se passer et la destinée de son petit-fils. Musulman pratiquant, si j'ai bien compris avec modération (le ramadan toujours, «c'est aussi bon pour la santé, la mosquée de temps en temps, la prière souvent»). Je n'ai pas eu l'impression qu'il avait honte, il montrait surtout combien cela l'accablait, les crimes commis venant confirmer «son désarroi» et cette façon passive devant la fatalité de subir, inch'Allah!
Souvent décrits comme «invisibles», ce cheveux-blancs, par cette rencontre me fait penser à toutes ces histoires d'hommes et de femmes dont les conditions de vie, le peu de considération qui leur est portée, font d'eux et de leur descendance des citoyens d'en bas, dont les générations futures semblent vouloir prendre une revanche par la violence et leur propre destruction.
Pour un «raffut» ce fut un sacré raffut pour moi d'entendre ces paroles, qui questionnent sur le rôle de l'institution sociale, scolaire, de la justice, de la santé dont cette génération de français semble exclue. «Nous sommes des Français de papier», s'exclamait à la radio, dimanche pendant la marche, une maman camerounaise, récemment naturalisée, en disant que la carte d'identité ne changeait rien dans la condition qui leur était faite, pour elle et sa petite fille qu'elle élève seule.
La «guerre» vient peut-être de l'extérieur, en argent, en armes et en ordres. Mais les fantassins sont bien de l'intérieur et c'est nous qui les avons élevés!