C'est à l'occasion de la 7ème édition du Ciné Regards Africains, – Films en Festival En Val de Bièvre (Val de Marne) que deux films Angolais ont été présentés le 17 novembre. Ce cinéma rare, qui ne trouve pas de distributeur même quand il est de qualité et parfois primé. Le grand Kilapy et Por aqui tudo bem : qui nous racontent, pour l'un un Angolais des dernières années de la colonisation, pour l'autre l'éveil à la vie de deux sœurs, jeunes adolescentes, envoyées à Lisbonne pour fuir la guerre civile.
* Le grand Kilapy
Réalisé par Zézé Gamboa (en 2010), c'est l'histoire d'un jeune étudiant Angolais, futur ingénieur qui poursuit ses études à Lisbonne, la capitale de «l'empire colonial portugais» (Il était logé na Casa dos Estudantes do Império -Maison des étudiants de l'empire- crée sous la dictature de Salazar pour soutenir et contrôler les étudiants venus des colonies). Fils d'un fonctionnaire de la banque du Portugal à Luanda (capital d'Angola), il est plus conquérant qu'étudiant et parmi ses "proies" féminines, ce sont surtout les femmes blanches qui l'attirent (à l'époque c'était un sauf-conduit pour un accès aux classes supérieures de la bourgeoisie portugaise) il compte même la fille d'un ministre de Salazar. Le film se déroule dans les années 60 jusqu'à la révolution des œillets en avril 1974, les capitaines d'avril!
Beau parleur, fanfaron, manipulateur, fidèle en amitié, jamais en amour. Il aidera sans compter ses amis, pas économe de plaisir pour ses «femmes», il sera confronté plusieurs fois à la persécution de la police politique portugaise, la PIDE, moins pour ses activités subversives ou supposés telles, mais beaucoup par l'intolérable d'un noir qui "la ramène".
Parmi les amis, il réussit davantage par amitié que par conviction de résistance, à la désertion d'un opposant qui faisait ses classes à Penamacor (région de Castelo Branco, au centre du pays proche de la frontière espagnole), centre d'entraînement militaire où étaient envoyés les jeunes opposants avant de partir sur le front de la guérilla en Guiné-Bissau, Angola ou Mozambique pour quatre ans. A la suite de cette initiative, il est renvoyé chez son père à Luanda qui était intervenu auparavant auprès de la Pide en Angola.
Dans un premier temps il se tient tranquille mais rapidement il reprend ses habitudes et son train de vie, surtout quand il est affecté aux finances, où un double cahier de reçus lui permet une générosité sans compter, pour son plaisir tout en aidant son vieux camarade d'école, qui lui est dans la clandestinité politique. C'est l'histoire de Joao Fraga (o Joaozinho), récit de fiction d'un fait divers de l'époque. Le nom kilapy, signifiant dans la langue angolaise kimbundun, arnaque ou escroquerie. Outre la politique , il est alors soupçonné de trafics de diamants dans la région de Marange (aujourd'hui très convoitée par l'homme d'affaires israélien Lev Leviev, en "partenariat" avec la famille présidentielle...).
Le choix de Gamboa de montrer avec ironie et une grande qualité photographique, les aventures d'un "escroc", au risque de le rendre sympathique a été critiqué ici ou là. Il me semble toutefois que par un film léger il nous rend compte, sous couvert de belle vie estudiantine, du climat très juste du soupçon et de l'activité de la police politique dans les années soixante à Lisbonne. Les quelques scènes de torture ou la préparation militaire dans un cadre disciplinaire complètent cet aperçu. Les provocations de la police, à l'intérieur même de la maison des étudiants sont véridiques, d'autant que dans cette maison avaient vécu et milité bon nombre des leaders africains de la lutte de libération des colonies portugaises (Amilcar Cabral pour la Ginée Bissau, Agostinho Neto pour l'Angola ou Marcelino dos Santos pour le Mozambique).
Zézé Gamboa, a fait plusieurs films documentaires, notamment en 2001, Desassossego (L'intranquillité) de Fernando Pessoa, et un premier long métrage, en 2005, Le héros, l'histoire d'un mutilé de guerre de retour à Luanda (autour de la corruption, du rôle social de la femme, et de la disparition des enfants pendant le conflit). Le grand Kipaly, bien inspiré dans son scénario soulignant, sans discours, les contradictions du processus colonial, le milieu où évoluent les "soutiens" du système et les "banalités" du racisme ordinaire. Cinématographiquement, c'est une réalisation qui s'attarde avec minutie, dans les couleurs et le cadrage, pour nous situer dans les tons de l'époque.
* * Por aqui tudo bem
"Ici tout va bien" c'est ce que les deux sœurs, disent tout le temps au téléphone à leur mère, retenue en Angola dans l'attente du visa, qu'elle n'obtiendra jamais. Pour son premier long métrage, Pocas Pascoal nous raconte l'histoire de deux adolescentes, qui quittent l'Angola en urgence car une d'elles sera enroulée bientôt dans l'armée, en pleine guerre civile. Leur père disparu il y a quatre ans (arrêté sur la route devant elles) n'a plus donné signe de vie. Leur mère les a fait partir à Lisbonne (il était plus facile pour des mineurs de quitter le pays) en attendant de pouvoir les rejoindre, en attendant peut-être qu'une fois la guerre finie leur père se manifeste, en attendant …
C'est bien un des thèmes de ce beau film, l'attente, avec des silences qui nous accrochent à l'espoir, parfois désespoir, de ces jeunes filles qui se figent devant la cabine téléphonique où, une fois par semaine leur mère les appellent ou pas! Des jours, semaines passent, et c'est finalement une tante qui leur dira qu'elle n’appellera plus, tuée par la police il y a quelque temps.
Entre-temps, leur vie d'adolescentes, à la merci d'autres jeunes Angolais ou Cap-verdiens, aussi paumés qu'elles, exploitées par une couturière venue de la haute couture de Luanda, déplacée et déclassée, qui les guide dans un premier temps, pour les faire travailler par la suite, sans salaire et en les humiliant. Mais la grande qualité du récit c'est de nous donner à voir cette violence, ces drames, ce racisme ordinaire du quotidien (les petits blancs qui s'exclament "vous nous avez foutu à la porte et maintenant vous venez nous mendier" ou qui crachent dans le combiné du téléphone public qu'elles cherchent à utiliser...), avec sérénité et apaisement comme pour mieux nous faire ressentir l'angoisse et l’insupportable de la condition qui leur est faite .
Accorder à ces personnages la possibilité de vivre leur jeunesse, périlleuse, remplie de labyrinthes, (magnifique séquence quand elles cherchent une adresse dans le "quartier africain" de l'autre côté du Tage) et au même temps, de s'éclater à écouter de la musique, danser, partager avec les autres réfugiés le goût du son et des odeurs du pays. Pocas Pascoal nous fait aussi partager leurs émois, leur découverte de l'amour, de la sexualité, de la désillusion amoureuse. Les deux filles, Alda et Maria, vont apprendre la vie d'attente, de solitude, de projection sur l'avenir de façon différente. Après la récolte des olives leurs chemins vont se séparer, mais elles vont partir nanties d'une expérience de vie et de volonté de réussir, forgée dans cette précarité et abandon.
C'est une belle démonstration de la perte et de la force de vivre rendues par une excellente photographie et un montage, malgré un budget des plus réduits et économe, (on fait presque toujours des "miracles" quand les moyens matériels manquent), d'un film qui mérite une attention particulière dans les circuits de distribution. Sinon pour le grand public, au moins pour les ressortissants et amoureux de l'Afrique et pour tout ceux qui chercheraient à mieux connaître son côté lusophone!