O meu 25 de abril / Mon 25 avril 1974
Quarante ans après, le souvenir reste vivace. J'avais presque huit ans de Paris, après vingt ans de Porto.
Les immigrés portugais, politiques ou économiques, sans trop savoir comment, attendaient (et un certain nombre cherchaient à y contribuer) pour que quelque chose se passe dans ce pays, qu'on disait alors la plus ancienne dictature en Europe.
* *
[Un regime fasciste, issu d'un coup d'état militaire en 1926, qui nomme Antonio de Oliveira Salazar aux finances en 1928. Il crée l'Estado Novo en 1932. Suite à un AVC il est écarté, en 1968. Son dauphin, Marcelo Caetano, prend sa place jusqu'au soulèvement du MFA, Mouvement des Forces Armées, (constitué par les jeunes capitaines enroulés dans la guerre colonial en Angola, Mozambique, Guinée-Bissau). C'est le 25 avril 1974, et la démocratie s'installe au Portugal!
"Salazar et Franco"
Il fut un soutien précieux pour Franco (le matériel militaire allemand et italien transitait par le Portugal pour les troupes de Franco et une légion de 12OOO Portugais, qui ont beaucoup compté dans les premiers mois de conflit). Pendant la seconde guerre mondiale, Salazar se dit neutre, maintient des relations commerciales avec les deux camps, tout en fournissant quelques métaux rares au régime nazi. Des militants fascistes portugais deviennent des militaires de la Division Azul qui, avec des soldats franquistes, vont combattre à côté des Allemands sur le front de leste. Le 4 mai 1945, Salazar envoi un télégramme de condoléances à Berlin pour la mort d'Hitler et fait mettre les drapeaux en berne, pour une demi-journée de deuil national, comme pour tout autre chef d’État, entretenant des relations diplomatiques avec le Portugal.
Outre ces faits en politique étrangère, l'économiste admiré par l'ancien premier-ministre Raymond Barre, avait instauré un régime autoritaire, une «dictature catholique de droite extrême» (écrivait Christian Rudel), de parti unique, avec une commission de censure qui s'imposait aux journaux, à la radio, aux livres, films, théâtre à demander l'autorisation devant une commission de censure préalable. Interdiction des syndicats et une police politique, PIDE très présente et «efficace». Sur le plan économique les Portugais sont obligés d'émigrer pour survivre à partir de la fin des années 50. L’Église, soutient le 'régime', bénit les troupes qui partent en Afrique et les émigrés qui partent en Europe].
* *
Paris, gare d'Austerlitz "l'arrivée du Sud-Express du Portugal" photo de Gérald Bloncourt
En 1974, Paris était la «deuxième ville» du Portugal, les déserteurs, réfugiés politiques y militaient, auprès de l'immigration économique portugaise, aussi bien dans le 16ème arrondissement de Paris, que dans la banlieue rouge, les bidonvilles de Champigny sur Marne ou celui de Massy, comme dans d'autres villes voire parfois des grands villages où une communauté portugaise, venue d'une même région du Portugal s'était installée.
Les associations portugaises, les bolinhos de bacalhau, le vin vert, la Sagres (bière) et les tremoços (les lupins), les activités folkloriques ou sportives aidaient à rassembler la communauté portugaise, où l'église restait influente, notamment à travers le journal Presença Portuguesa. D'autres journaux, plus engagés politiquement ont vu le jour, comme O Salto, ou un journal en langue portugaise de la CGT, O Trabalhador. Les dimanches après-midi les chanteurs Portugais exilés, Luis Cilia, José Mario Branco, Francisco Fanhais José Godinho chantaient déjà les chansons de Zeca Afonso.
"les Forces Armées ont pris le pouvoir"
Le 25 avril 74, c'était un jeudi, je faisais un stage professionnel au Blanc Mesnil. Municipalité communiste, une population portugaise y était déjà installée et nous avons fêté spontanément la nouvelle, sans trop savoir -ni comprendre- ce qui nous arrivait et comment ça allait se dérouler. Coup d’État militaire ou révolte démocratique de militaires anti-fascistes? Notre attente était forte et notre espoir immense. Et ça provoquait beaucoup d'émotion en écoutant sur Europe 1 ou RTL la chanson-code qui a déclenché les opérations, Grandola, par José Afonso. Quelques jours après je suis parti au Portugal pour redécouvrir un autre pays. Alvaro Cunhal (PCF), Mario Soares (PS) et beaucoup d'autres étaient déjà rentrés et le processus démocratique, l'apprentissage de la démocratie, s'est alors engagé.
La poésie est dans la rue, de Helena Vieira da Silva
C'est un billet souvenir, un bref témoignage, en quelque sorte un passage de relais, pour laisser ici une trace qui me relie à la fois à la découverte de la France et de la démocratie qui m'a accueillie, en clandestin et réfugié et au Portugal totalitaire, où j'ai acquis les fondamentaux qui m'ont animé dans le choix du pays et la poursuite d'un engagement.
Et s'il ne pourrait y avoir que quatre lecteurs, j'aimerais que ce soient mes enfants, Helder, Marie, Hugo, Mathilde, qui à leur façon construisent leur vie. Avec les croyances et les convictions que nous avons partagés ensemble, les valeurs, l'éthique, d'une expression humaniste, non sans interrogations ou heurts parfois, mais qui nous ont forgés, loin des certitudes définitives mais proches des questionnements sur la complexité et le doute. Nous sommes certains toutefois d'une confiance en l'Autre, qui continuera à s'élaborer dans ce combat permanent, cet espoir qui se nourrit et qui perdure, cette joie qui nous anime qu'ensemble nous pouvons rendre la vie un tout petit mieux pour nous et autour de nous!
(Porto-Paris / 1966-2014)