Les commémorations d'un jour sont parfois dérisoires quand elles célèbrent des bonnes intentions, des vœux, et qu'on sait que l'organisation sociale, les moyens matériels, la volonté politique, sont en deçà des besoins pour faire face aux réalités. Et sur l'enfant, ici et ailleurs il y a beaucoup à faire, tous les jours, au delà du jour dit.
Ce 20 novembre, journée internationale des droits de l'enfant, c'est aussi le 25e Anniversaire de l'adoption de la Convention des droits de l'enfant. Abordant un des aspects de la protection des enfants, l'AIVI, Association Internationale des Victimes de l'Inceste, a organisé une conférence le 19 novembre, journée internationale de la prévention des violences sexuelles sur mineur.
L'agression sexuelle intra-familiale est plus fréquente que ce que les statistiques laissent croire. Crime secret, abus qui culpabilise plus la victime que l'agresseur, drame de l'ombre qui laisse chez l'enfant des traces indélébiles, l'inceste est le révélateur d'un dysfonctionnement familial et c'est autour de la question de la prévention que cette conférence a voulu sensibiliser.

Deux millions de victimes d'inceste
Deux millions de victimes d'inceste en France, selon les chiffres énoncés par l'Association dont sa base militante est constituée par les «survivantes de l'inceste». Sa fondatrice et Présidente, Isabelle Aubry a insisté sur le caractère de ce crime (pas encore inscrit comme un crime spécifique au Code Pénal) contre l'enfant, devenu ainsi l'objet de ceux qui exercent un pouvoir sur lui.
Dans l'enquête conduite par l'Association, une question me paraît devoir d'être soulignée. «Si un enfant vous révèle être victime d'inceste et vous demande le secret, quelle serait votre réponse: 6% gardent le secret; 60% attendraient des preuves; 31% signaleraient et 3% ne se prononcent pas». Ce n'est qu'à titre indicatif que ces chiffres ont été donnés (sur 131 réponses). Ils montrent en tout cas qu'à peine un petit tiers s'engage dans la protection de la victime (ce qui est une obligation légale), en signalant ce qu'on vient d'apprendre. On pourrait peut-être le rapprocher du fait que seulement 2% des médecins font des signalements même s'ils sont au contact direct avec des éventuelles victimes. La question est certes complexe, et on entend parfois dire que "les médecins n'y pensent pas toujours et quand ils y pensent ne savent pas quoi en faire", ce qui pose la question de la formation de tout le personnel de santé.
La conférence a réuni des professionnels pour réfléchir à la prévention de l'inceste, au dépistage et à la protection des mineurs victimes. Une remarquable intervention d'une sage-femme de l'hôpital Bichat (Paris), Estelle Kramer, qui a développé son propos sur la prévention et le dépistage précoce, soulignant l'importance d'écouter et surtout d'entendre les mots et les comportements qui alertent les professionnels, quand ils constatent des difficultés pour des parents à exercer leur parentalité.
Connaissant la culpabilité qui est toujours à l’œuvre dans la soumission de la victime, Mme Kramer a insisté sur l'importance des mots et de l'investigation faite dans les consultations. Il lui paraît toujours important que la formulation des questions posées soit empathique "avez-vous été victime... ", ouvrant vers l'hypothèse que s'il y a eu abus ou agression, c'est bien une victime (l'enfant violenté est souvent culpabilisé par la volonté de l'agresseur). C'est un acte grave et les mots doivent être le reflet de cette gravité.
«Meurtre psychique sur l'enfant»
Faisant référence à divers études, notamment aux États Unis, Estelle Kramer est revenue sur les liens entre le traumatisme de l'enfance et les difficultés à vivre à l'âge adulte, notamment la dépression, les maladies chroniques voire la violence sur les autres ou être victime de celle des autres. Et la sévérité des symptômes augmente également les problèmes de santé, la difficulté d'exprimer ses compétences ou ses émotions.
Entre autres intervenants, Eugénie Izard, pédopsychiatre, responsable du REPPEA (Réseau de Professionnels pour la Protection de l'Enfance et de l’Adolescence) de Toulouse, qui a beaucoup intéressé l'auditoire parlant de ce «meurtre psychique sur l'enfant, cette impasse entre les générations, ce trouble sévère de la parentalité», qui sont les violences sexuelles faites aux enfants et la violence incestueuse.
Mme Izard a décrit le parcours de l'enfant victime, dès lors que l'agression est dévoilée, et qui parfois devient aussi traumatique que l'agression subie. Il a également été question du parent "abuseur" et de la perversion (cette anti-relation), rarement diagnostiquée. Il est fréquent que dans certaines situations d'abus sexuels, l'enfant soit confronté plus tard à ce parent, sous couvert du maintien du lien, parfois imposé par la justice des mineurs et les professionnels psycho-sociaux, venant ainsi discréditer souvent la parole de l'enfant.. Mme Izard parle de confusion entre la vérité-judiciaire et la vérité-clinique, éléments qui nous font réfléchir sur certains postulats de "principe", qui dans leur orthodoxie font fi de la singularité de chaque situation.
Le pouvoir public absent
Son association a fait un sondage auprès de professionnels de la santé (médecins, pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, psychologues) pour recenser les difficultés qu'ils rencontrent dans le cadre de la protection de l'enfance. Les résultats seront publiés sur le site de l'AIVI http://aivi.org/. Voir aussi le site du Réseau, situé à Toulouse http://www.reppea.org/home.
Aujourd'hui, où tout est passé au crible des coûts et du rapport économique, il me paraît indispensable que le lien soit établi entre l’agression sexuelle ou toute forme de maltraitance, et ce que cela entraîne ultérieurement comme dépenses de santé, sociales et surtout humaines.
Il est à noter que la conférence a eu lieu au Ministère de la Santé (salle Laroque le "père" de la Sécurité Sociale). Un représentant du Ministère était attendu pour intervenir, pour exposer la politique en la matière sous le thème "prévention primaire, empêcher le passage à l'acte". Il n'y avait personne et, d'après les organisateurs, aucune excuse n'a été présentée. Comme si la Ministre responsable de la politique de la santé publique ne faisait pas le lien entre les violences faites à l'enfant et les conséquences néfastes sur la santé physique et psychique des victimes. Comme si le silence imposé à l'enfant abusé par l'agresseur, l'était également par l'absence d'une volonté politique.