Il a quitté Praia, dans l'île de Santiago au Cap Vert à l'âge de trois ans, a vécu à Lisbonne jusqu'à l'âge de dix-huit ans et est à Paris depuis presque vingt ans. Et aujourd'hui il nous parle, nous montre avec force l'Afrique où il a à peine vécu, mais qui est en lui, par sa filiation, par son entourage, par sa recherche, sa volonté d'aller plus loin et au fond des choses.
Jeune artiste capverdien, Nelson Gomes Teixeira inaugure ainsi la cinquième exposition de Lusopholie's, au Viaduc des Arts, à Paris 12ème (*), qu'il nomme «Empreinte du Cap».

Et quand nous arrivons devant la vitrine du 57 avenue Daumesnil, y est exposé peut-être son tableau le plus accompli, celui qu'il a appelé précisément Vitrine, où on devine des corps enlacés, entremêlés, des traces d'un corps-à-corps ouvert, avec la vigueur d'une confrontation qui deviendrait affrontement. On peut rester longtemps, à découvrir ses différents méandres, comme s'il nous montrait ce qui allait suivre, notamment cette tête, un long visage au coin droit inférieur du tableau, que nous retrouverons ensuite dans d'autres... une sorte de signature.
Et à l'intérieur, avant même la galerie il est partout le travail de Nelson. Un autre grand tableau, «Pour de faux» nous saisi par les visages et la posture des soldats, un corps expéditionnaire qui suggère ou évoque cette lutte qu'il y a quarante ans à libéré l'archipel de la présence Portugaise. Nelson n'était pas né, mais son père a participé à cette guerre et, sans se rendre compte, sans jamais avoir parlé avec lui de sa période militaire, les fusils y sont, côtoyant un roi inversé!
Lusofolie's est un lieu consacré à la culture d'expression portugaise (dans toutes ses variantes, des livres, des arts, du fado, des bolinhos de bacalhau, des pastéis de Belém ou du vin vert...), même si d'autres horizons et d'autres langues peuvent s'y exprimer et le font déjà. Avec Nelson il y a ce florilège avec son regard d'une Afrique davantage intuitive que vécue, qu'il exprime avec la force (c'est le mot qui me viendra souvent devant ses travaux); d'un entre deux qui est le passage par le Portugal et sa recherche actuelle qui se concrétise, ou mieux poursuit son élaboration dans le pays qu'il a adopté.
Et c'est cette diversité qui nous touche et nous attrape comme ce tableau des Massaï, une peinture du collectif, avec Rite, ces guerriers qui laissent percevoir l'énergie, la vitalité que l'artiste imprime dans ces peintures, nous renvoyant à un autre questionnement avec son tableau «de la tête au pied», comme si l'inversion laissait libre cours à l'imagination voire l'émotion que son harmonie et rudesse suscitent, travaux forcés, jeu de califourchon, enfant sur les épaules?...
Et comme vaisseau-amiral, le tableau-maître, «Il était une fois», fusain sur papier, qui est effectivement comme un conte avec plusieurs couches de temps et d'écoles différentes (Judith et la tête de Holophorne, Gabrielle d'Estrées et une de ses sœurs, fameux tableau de l'école de Fontainebleu). Et en face, la statuette en bois d'une femme africaine, honorée d'une couronne découpée grossièrement de boîtes de conserve et dont les fils suspendus d'une pelote de laine la relient aux divers espaces du tableau, comme un tricotage de l'histoire voire l'accomplissement de diverses temporalités et messages. En haut, deux figures, un couple de blancs, enfants ou jeunes adultes qui observent immobiles ces manèges, cette interaction que l'artiste suggère nous laissant la liberté du regard que chacun veut y apporter.
On ne peut pas parler de tout, de la beauté de lucioles ou l'harmonie de "exposition", le rituel d'un espace joyeux. Plusieurs "têtes" dont certaines sembleraient inachevées, comme si on appréciait le chemin que Nelson est en train de parcourir depuis ses débuts d'enfant et d'adolescent.

Nelson avec un aperçu au fond de "Il était une fois"
En effet, à l'âge d'onze ans, Nelson expose à Lisbonne avec d'autres élèves mais aussi de grands peintres portugais (dont Julio Pomar), un collectif pour une manifestation de solidarité. C'est qu'il avait rencontré à l’école primaire, son institutrice, Dona Graça, une éducatrice, qui l'incite à continuer à dessiner. En le reconnaissant, elle va lui donner le goût et surtout lui permettra de continuer à dessiner et à peindre. Et en septembre 97 une exposition à Carnide, un des arrondissements (freguesia) du nord de Lisboa où il vivait parmi la communauté africaine, dans les "barracas". Et de même qu'une institutrice à Lisbonne perçoit ses potentialités, c'est un enseignant de français, à Paris, qu'à dix-huit ans le soutient pour qu'il reste en France, quand son père hésitait à le faire rentrer au Pays. Pas le sien, mais celui de l'ex-colonisateur où est resté sa mère et sa fratrie à Lisbonne.
On comprend l'importance que Nelson accorde aux rencontres, c'est qu'il suscite cet élan, comme une envie de suivre son empreinte, faite de fulgurances qui interpellent et de variantes qui donnent à voir sa disponibilité de se confronter à d'autres pistes.
Pour cette première exposition d'un peintre de l'Afrique ex-portugaise, Lusofolie's inscrit dans son palmarès les débuts, en le confirmant, d'un artiste qui donne envie d'apprendre le monde de son art. Belle rencontre à notre tour!

"EMPREINTE DU CAP"
Accompagné de Barkatz Quartet le jour du vernissage (au fond le tableau "pour de faux")
(*) Espace Lusofolie's * 57 avenue Daumesnil * 75012 Paris * métro gare de Lyon * jusqu'au 21 mars 2015.