Raconter l'histoire de son grand-frère c'est dire quelque chose de ses parents, se libérer de son propre parcours, comment on est arrivé là, ce qui fait son acte d'écriture. C'est aussi « ajuster » des comptes, solde positif ou négatif! À plus forte raison quand il s'agit du grand-frère modèle.
C'est à cela qu'il nous convie Alain Baroin avec son livre « Michel Baroin, mon frère... » (éd. L'Harmattan.2008). En quelques lignes son parcours officiel, Michel Baroin (docteur en droit) ancien de Sciences Po, commissaire de police, devient sous-préfet à Nogent-sur-Seine (dans l'Aube) où il gardera des liens et sera élu Maire en 1983. Chef de cabinet de deux présidents de l'Assemblée Nationale il sera nommé à la présidence de la GMF et en 1984 à celle de la FNAC après son rachat par l'assureur mutualiste. Entre 1977 et 78 en tant que grand maître il a assumé la destinée du Grand Orient de France. Choisi en décembre 1986, en temps de cohabitation, par le président Mitterrand et le premier-ministre Chirac, pour présider les commémorations du bicentenaire de la Révolution Française, il est décédé dans un accident le 5 février 1987, son avion s'étant écrasé au Cameroun.
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Entre Michel et Alain il y a dix-sept ans de différence et quand il arrive en 1947, le grand-frère est fier de promener le petit-frère jusqu'au lac de Vincennes, dans le douzième arrondissement qui sera un des points d'ancrage de leur histoire commune dont le collège-lycée Paul Valéry qui a accueilli et marqué le jeune frère.
Le livre commence par le récit de ces quelques jours qui suivent la terrible nouvelle de l'accident fatal (rappelant un autre drame vécu par la famille moins d'un an auparavant, en avril 1986, avec la disparition dans un accident de voiture de Véronique, la fille aînée de Michel Baroin). Il y est noté l'attention et le respect qui, de tous bords, sont venus s'incliner devant l'homme, l'humaniste. Notamment la présence du premier ministre d'alors Jacques Chirac et d'un de ses condisciples Michel Rocard.
Il est significatif que pour cet homme de dialogue et d'ouverture, le dernier acte public le concernant ait posé question car l'évêché refusait la cérémonie religieuse du fait de son obédience maçonnique. C'est le curé de Saint François de Sales à Paris qui a du batailler ferme, et a proféré une émouvante homélie « remplie de fraternité »
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Les pages consacrées au grand-frère nous plongent dans cette grande admiration qu'il lui portait à la fois devant son engagement et sa stature, ces deux postures qui traversent tout le livre. La description du quartier, des amitiés, des liens familiaux pour ce jeune frère en devenir situent bien l'exemple de l'aîné qui va « orienter » les pas du benjamin. Ce ne sont pas les injonctions de l'aîné, de celui qui « commande », ce sont celles de celui qui « guide », qui laisse faire pour instruire, qui par sa bienveillance autorise. Et on comprend bien dans ces pages une histoire, un « roman familial » dont les acteurs sont maîtres de leur destinée, car ils sont libres et assument ainsi la réalité de ce qui leur arrive. C'est un lien fraternel dans la liberté, en tout cas celle du grand-frère qui s'est toujours manifestée ainsi.
Et dans ce « roman familial » chacun suivra très précisément, les pas des parents. Leur père, provenant du Morvan entre dans la police en 1925, sera affecté au commissariat du 7ème arrondissement et participera à des actes de résistance dans le réseau de la police. Plus tard c'est en tant que Commissaire de Police que son fils Michel débutera sa carrière de fonctionnaire. [Il est à noter que le petit-fils (fils de Michel) François Baroin sera ministre de la police, dans les deux derniers mois du gouvernement Villepin, en 2007, remplaçant le futur président qui s'engageait alors dans sa campagne présidentielle.]
Leur mère, madame Baroin a travaillé aux PTT dès 1928 et a participé au réseau 'Libération-nord PTT' en 1943 et 44. A son tour, Alain Baroin devient « postier », d'abord comme inspecteur, il réussi le concours de l'école nationale supérieur des PTT, « voie royale » de la promotion interne. Soulignons encore une « coïncidence », c'est Robert Galley, ministre de la Poste et ancien maire de Troyes, qui honorera Madame Baroin au terme de sa carrière. Quelques années plus tard, le petit-fils François Baroin, sera élu Maire de Troyes.
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En 1966, Alain Baroin, à l'initiative de son frère fait un voyage aux Etats-Unis avec les 'cadets, enfants des francs-maçons'. Il découvre alors la franc-maçonnerie et quelques années plus tard cherche à y adhérer. C'est un moment important du livre car il y est inscrite toute la démarche intellectuelle de Michel Baroin et son engagement pour une réflexion éthique et morale, ainsi décrite : « ...Il ne peut s'agir que d'une société de progrès, de liberté, de justice, de solidarité fraternelle et de responsabilité, où chacun pratiquerait la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même et la liberté absolue de conscience. »
Paroles d'autant plus nécessaires aujourd'hui que nous assistons à l'emprise d'un pouvoir qui semble aux antipodes de ce postulat alors que les valeurs énoncées restent des références qu'il me paraît urgent et indispensable de défendre.
C'est dans cet esprit qu'en 1983, Michel Baroin crée la Fondation de l'Homme Citoyen. Et s'il l'a appelé Fondation c'est parce que ce mot contient l'idée des « bâtisseurs […] des fondations inébranlables […] de durabilité […] faire comprendre à la personne humaine qu'elle est l'élément unique en son genre, composante du groupe avec lequel elle vit dans la cité de tous les jours et que cela est source de devoirs et de droits […] La Fondation se veut une institution communicative en mouvement, ouverte sur le monde, afin de créer les conditions d'un grand rassemblement psychologique qui reposera non pas sur des slogans mais sur un accord collectif profond […] ».
Presque quatre ans après, l'accident a brisé une vie, et mis fin à son projet. Pour son petit frère reste l'exemple fraternel, ce qui lui a ouvert sa disponibilité au monde, aux autres, à lui dont le livre contribue vraisemblablement à sortir d'un « deuil par le haut ».
Une partie importante du livre est consacrée à l'engagement et aux responsabilités de Michel Baroin au sein des franc-maçons avec par ailleurs l'adhésion de l'auteur qui précise « Je me rends compte que la franc-maçonnerie, contrairement à des idées répandues couramment, est à l'opposé d'une secte : on y entre difficilement, mais on peut en sortir aisément. Elle est une école de la liberté. »
Des extraits de plusieurs communications y sont publiés, constituant un document qui donne le sens du combat qu'il a voulu mener.
Le récit se termine par « le morvandiau de Paris » en hommage à ce lieu berceau des Baroin. En fermant ce livre plein d'humanité et de dévotion fraternelle quelque chose reste d'une paix et d'une sérénité dans les relations entre les deux frères et la figure d'un personnage qui a laissé aussi une trace d'intégrité et de conviction humaniste.
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A cette occasion j'ai eu envie de reprendre le « frère du précédent » (éd. Gallimard - 2006) dont J.-B. Pontalis nous a livré avec lucidité d'autres récits. Toujours un plaisir de lecture relativisant « bonheurs et malheurs » des relations entre frères.
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Rappelons l'intéressante initiative journalistique, série de quinze portraits, du Monde de l'été -juillet 2008- sur les frères et sœurs, secrets de famille-, plus ou moins connus du grand public comme les Debré (il n'y a eu qu'un qui s'est prêté au jeu), les Portelli, les Decaux, les Flis-Rykiel, les Leclerc…
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Et à propos de deux autres frères, dans la littérature récente ceux-là, dont les rapports étaient empreints de rivalité et de férocité… lire les premières pages savoureuses du livre de Jean-Paul Dubois, « les accommodements raisonnables » racontant la cérémonie de la crémation d'un des frères, l'oncle du héros, et qui décrit avec beaucoup d'humour, tout le long du livre, la revanche du père humilié par son grand-frère. (éditions de l'Olivier).