
Jimmy P, est un "honnête névrosé", c'est ainsi que le réalisateur, Arnaud Desplechin définit son "personnage" dans un entretien au Monde lors de la sortie de son film. Nous découvrons cet Américain, vétéran des troupes alliées, qu'à la suite d'un accident en France a du être opéré au cerveau et garde des séquelles qui le conduisent à une nouvelle hospitalisation.
Et c'est dans cet hôpital militaire, à Topeka dans le Kansas, que Jimmy Picard, caporal de l'armée américaine, va bénéficier d'un traitement singulier. Le médecin-directeur a fait appel à Georges Devereux, anthropologue français d'orientation psychanalytique, d'origine roumaine, installé alors aux États Unis. C'est le déroulement de ce travail clinique que Devereux publiera en 1951, Psychothérapie d'un indien des plaines, à partir duquel Desplechin construit le film sur Jimmy P.
Nous sommes saisis par le brio de l'interprétation des deux principaux acteurs, Mathieu Amalric pour le docteur français Devereux et, pour l'Indien, le soldat, Benicio Del Toro, acteur porto-ricain, naturalisé Espagnol. Ils jouent de façon poignante et on sent bien le travail d'appropriation de leurs respectifs personnages. Leur rencontre, improbable comme on dit maintenant, met face à face deux "métèques", chacun venant d'un ailleurs, aussi bien géographique que social.
L'appel au psychologue-psychanalyste français est un choix novateur et le jeu cinématographique de l'équipe constituée autour du médecin-directeur, rend bien cette recherche collective pour diagnostiquer et traiter ce malade pas comme les autres.
Et c'est, à mon avis, une des réussites de ce film, d'accompagner le spectateur dans la progression de la mise en place d'une relation thérapeutique qui devient une relation entre deux êtres humains, hors le cadre formel de l'hôpital. La particularité de l'intervention de Devereux, c'est la recherche des clés culturelles pour une meilleure compréhension de la problématique. Le docteur Français ouvre cette relation et, au fil des échanges, des séances quotidiennes, c'est bien des traumatismes, des peurs, des désirs de tout être humain que Desplechin nous aide à percevoir, dans un "beau suspens" clinique... C'est comme ça que je comprends l'honnête névrosé!
Il a ainsi inauguré, en quelque sorte, la clinique de l'ethno-psychanalyse, bien utile aujourd'hui quand on sait les traumatismes liés à l'exil et à certains phénomènes de l'immigration.
La mise en perspective du passé, qui aide à comprendre les maux de tête de Jimmy, me paraît dans le montage de ce film, d'une grande finesse, d'une grande discrétion, et d'un apport essentiel pour ce parcours vers le dénouement de la relation Devereux-Jimmy P.
Le travail sur les rêves de Jimmy, font de lui un conteur avec un public de choix, Devereux, qui l'aide à aller plus profond, en associant parfois comme dans un écho à soi-même, presque dans une réciprocité "tu me soignes, je te soigne"! C'est en quelque sorte un trio, Amalric-Del Toro-Desplechin, déplacés de leurs lieux d'origine, qui se trouve en analyse, sur les terres d'Amérique! Chacun donnant à voir sa recherche pour aller mieux.
La présence de Madeleine, interprétée par l'actrice anglaise Gina McKee, sa maîtresse (il aimait beaucoup les femmes), venue le voir pour quelque temps dans son logement de fonction, donne cet autre aspect du mode de relation de Devereux, fulgurant, enthousiaste et apaisant!