En fait il "revient" au Grand Palais car trois de ses tableaux dont Avant la Corrida, y figuraient au Salon d'Automne en 1912. Ce retour au Grand Palais (du 20 avril au 18 juillet 2016) est la plus grande rétrospective des œuvres d'Amadeo de Souza Cardoso, (1887-1918) ce peintre portugais, disparu très jeune, à l'âge de trente ans, qu'on dit inclassable. Issu d'une famille d'agriculteurs bien installés de Manhufe, petit village dans la région de Douro (près d'Amarante, capital du vin vert...).
Intéressé et doué pour le dessin, il a réussi, avec l'aide de son oncle Francisco, à pouvoir suivre plutôt architecture que droit, comme le souhaitait son père. Étudiant à Lisbonne en 1905, il part un an après, le jour de ses 19 ans, à Paris. Pour approfondir l'architecture mais en fait, son talent de caricaturiste, la qualité de ses dessins et son envie de faire d'autres découvertes changeront son projet. Installé à la Cité Falguière, (Paris 15), il y fera connaissance avec d'autres artistes. Ce sera le cas avec un autre Amedeo, Modigliani qui a eu un rôle important pour Souza Cardoso, à la fois une amitié et une complicité artistique. Ils exposeront ensemble dans son nouveau atelier.
«J'ai plus de phases que la lune»
Rapidement sa recherche l'amène à couvrir des nouvelles formes, à courir différents styles et diverses techniques, comme dans une urgence, une sorte de passion de vivre et de peindre, comme s'il pressentait que sa vie serait courte. En recherche permanente, dans la volonté d'être toujours en mouvement, il se reconnaît dans ses variations: «J’ai plus de phases que la lune».
De son œuvre, qui chercherait à la classer, l'inscrire dans telle ou telle courant, c'est comme si on l'enfermait. Il était le contraire de tout cela et comme l'écrit dans une analyse fine, Leonor de Oliveira, dans l'album de l'exposition, «Amadeo prône une attitude exemplaire de la modernité en assumant une identité multiple, qui échappe pour cette raison à toute catégorisation». Elle éclaire le parcours créatif de "l'artiste pluriel", «impressionniste, cubiste, futuriste, abstractionniste ? Un peu de tout».
C'est, me semble-t-il cette richesse d'invention et d'imagination qui pourrait situer Amadeo de Souza Cardoso au même niveau que les noms les plus connus du milieu artistique parisien de l'époque. Pas parce qu'il y aurait la compétition du "meilleur artiste portugais" qui a peu d'intérêt en soi, mais parce que sa contribution est significative par sa qualité et son implication que les 200 peintures et très nombreux dessins et aquarelles, révèlent dans cette exposition. Cette volonté permanente d'aller plus loin, sans jamais s’accommoder de ces réussites: «Il me semble intelligent celui qui, quand il aime intensément une œuvre d’art, se garde d’autant plus de l’imiter»!
Une vie et une œuvre en liberté!
Et c'est surtout une œuvre de liberté. S'il en a pris du cubisme, il y a apporté sa touche personnelle, et si on découvre chez lui "le futurisme" c'est dans sa singularité qu'il va se manifester. Si on résumait, il a construit son chemin en le faisant, en prenant ce qui l'entourait, en se l'appropriant pour exprimer sa propre compréhension de l'art et la faire partager, avec notre liberté du spectateur, du visiteur.
Mais il savait aussi regarder en arrière, en s'inspirant pour la copie de l’œuvre de Flaubert, La Légende de saint Julien l’Hospitalier, qu'il entame pendant l’été 1912, en Bretagne. Intéressé par les peintres primitifs, il participe ainsi avec son originalité à cette recherche du rapport écriture et peinture. Ce qu'on retrouvera plus tard dans certains de ces travaux après son retour au Portugal en 1914.
Car il y a aussi cette période de la guerre, où il retrouve son Manhufe, la nature qu'il sait regarder et qui l'inspire tant, «les montagnes ont une silhouette qui donne envie de leur passer la main sur l'échine». Ce sont les montagnes qu'il observe de son village natal, qui l'entourent et qu'il peindra, ayant su continuer à vivre et apprécier le terroir dont l'attachement qu'il porte à Paris n'a pas éloigné. Et pendant la guerre il accueillera certains de ses amis peintres connus en France dont le couple Delaunay qui s'installera pour deux ans, à Vila do Conde, proche de Porto. Sonia Delaunay, notamment sera très attirée par la culture populaire de la région de Minho dont un de ses tableaux figure dans l'exposition.
On découvre avec bonheur son album XX Dessins, vingt originaux à l'encre de chine (1911-12) , expressément réalisés pour cette publication. Les matrices originales sont également exposées, ainsi que l'avant propos de Jérôme Doucet, où il souligne «la poésie et le talent sauvage» d'Amadeo.
De même que Guillaume Apollinaire (le 9 novembre 1918), qu'il a également fréquenté, Amadeo de Souza Cardoso succombe à la grippe espagnole le 25 octobre 1918. Laissant une œuvre importante, diverse, créative, dans une singularité qu'il a su exprimer, refusant écoles mais ouverte à une volonté et urgence pour laisser trace et marquer des voies.
Pourquoi si peu connu, voire inconnu? Il y a sans doute des multiples raisons. Son refus des écoles, souligné par Helena de Freitas, historienne et commissaire de l'exposition, «Amadeo n’appartient à aucune école, il les détestait. Il est toujours en fuite, “pluriel comme l’univers” selon les mots de son compagnon futuriste, le poète Fernando Pessoa. C’est cette pluralité qui fait sa singularité et le rend inclassable dans le même temps».
Le retour au Portugal et le début de la guerre de 14-18, qui l'aura éloigné du cœur artistique de Paris,sa mort prématurée, le peu d'intérêt qu'ultérieurement l’État portugais révèle pour un artiste de la modernité et, sous la dictature, un pays "'hostile" au monde. Ainsi Amadeo ne se trouvait pas sur le chemin des historiens de l'art.
Cette fois-ci, l'événement est peut-être le début d'une reconnaissance et de l'attribution d'une place méritée parmi les artistes du début du vingtième siècle. Pour Laurent Salomé, directeur scientifique du Grand Palais, qui a beaucoup œuvré pour que l'exposition puisse se avoir lieu et contribuer ainsi à sortir de l'oubli un peintre, dont il salue le talent. «Ses inventions paraissent anticiper celles d'artistes bien plus célèbres. Sa fascination pour le monde rural, l'idéal noble, mélangés avec sa passion pour la modernité forment un univers unique. […] C'est un très rare plaisir de jeter un œil complètement neuf sur des œuvres d'une telle intensité».
Le Portugal est à la mode, dit mon voisin. Après le Portugais travailleur, le bon maçon, la gardienne d'immeuble, le "pastel de nata", la Cage dorée, voilà qu'il rentre par la porte principale du Grand Palais. Les intellectuels soulignent trois références culturelles portugaises en France, Pessoa pour la littérature, de Oliveira pour le cinéma et Amadeo de Souza Cardoso pour la peinture. Parfois on y ajoute Siza dans l’architecture et Maria Joâo Pires, pianiste, qui a été applaudie récemment à la nouvelle Philharmonie.
En tout cas, un mouvement d'empathie, qui vient reconnaître la pluralité et la participation d'une population immigrée, venue massivement en France dans les années 60 qui, a sa façon, a apporté la diversité de ses savoirs, compétences et dons toute en faisant alors l'apprentissage de la démocratie. Une façon d'être présent au monde et vraisemblablement ouvert aux Autres!
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L'exposition s'insère dans la commémoration des 50 ans de la délégation en France de la Fondation Calouste Gulbenkian [voir information dans les commentaires].
A propos de Manuel Cargaleiro, brève référence dans les commentaires.
http://www.grandpalais.fr/pdf/Printemps_culturel_portugais.pdf