Depuis novembre 2015, le gouvernement portugais est composé des socialistes PS, avec le soutien du PCP et du Bloco de Esquerda (bloc de gauche, un «mixte» de PSU et Front de gauche). Lors des élections législatives le parti de droite au pouvoir, arrivé en tête ne l'était pas au parlement. Le président de la République d'alors, Cavaco Silva, après avoir tout essayé pour favoriser son ancien parti a du s’incliner et nommer le socialiste Antonio Costa, premier-ministre pour former un gouvernement. Tout ceci se déroulait parallèlement à la préparation des élections présidentielles. Le président sortant ne pouvant pas se présenter ayant accompli deux mandats successifs.
Il s'est donc constitué un gouvernement socialiste (tendance social-démocrate), suite à des discussions avec les communistes, les verts et l'extrême-gauche, qui ne participent pas à l’exécutif mais qui, par un «accord politique», suivent de près l'action gouvernementale. Même si cette séquence est fragile, elle a suscité néanmoins une expression populaire unitaire dans la journée ensoleillée de ce lundi.
Une banderole ouvrait le cortège "Pelo Futuro, Retomar Abril!" (pour l'avenir, reprendre avril) et des mots d'ordre symbolisaient un nouvel élan "avril de nouveau avec la force du peuple" (en portugais cela rime "Abril de novo, com a força do povo"). On entendait quelque chose comme « un nouveau espoir en liberté ».
A Lisbonne, une autre manifestation soulignait le changement opéré au gouvernement mais aussi l'arrivé à la présidence de Marcelo Rebelo de Sousa. Elu en janvier, ayant pris ses fonctions en mars dernier, en poste donc depuis un mois et demi, ce professeur de droit constitutionnel, a dirigé la rédaction de l'hebdomadaire Expresso, devenu également commentateur politique à la radio TSF et ensuite (depuis 2000 jusqu'à l'annonce de sa candidature) à la télévision.
Il a dirigé le parti social-démocrate (avant Barroso -oui, oui, celui de Bruxelles...-) pendant trois ans en 1996/99 et n'a pas accepté, pour sa candidature, de soutien officiel de son ancien parti. Le gouvernement de Passos Coelho qui avait fait mieux que ce que la Troika avait demandé, comptait beaucoup sur le nouveau président pour dissoudre l'Assemblée et ouvrir ainsi à des nouvelles élections. Pour le moment ses attentes ne sont pas satisfaites.
Dans son discours de prise de fonction, martelant qu'il serait le président de tous les Portugais, il a exprimé trois objectifs, la culture, l'économie et la politique. La culture pour le plus grand nombre, une économie au service d'un État social de droit, correcteur d'injustices, a cité deux grands écrivains portugais Lobo Antunes et Miguel Torga. L'accès à la politique pour la population (qu'on peut interpréter comme une référence au nombre important d'abstentions).
Dans la matinée du 25 avril, l'Assemblée de la République a ainsi commémoré ce jour avec plus d'enthousiasme et d'apparat que les années précédentes. Le nouveau président y a fait un discours devant les élus mais aussi les anciens présidents, les chefs de partis, les militaires, aujourd'hui retraités, de l'Association des capitaines d'avril, et beaucoup de monde dans les tribunes. Dans l’hémicycle tout le monde a chanté, au son de la fanfare de la Garde Républicaine, l'hymne National et ensuite, œillet à la main le président a également chanté, avec la chorale des étudiants universitaires, Grândola, village brun, terre de la fraternité...!
Le retour d'avril ?
Dans son discours, Marcelo Rebelo de Sousa a souligné l'importance du 25 avril et de la démocratie (ce que les Portugais entendent toujours comme une rupture avec l’État totalitaire avant 1974). Il avait un ton pédagogique rappelant la légitimité de l'élection directe du président de la République, un mandat plus long qu'à l'Assemblée et le fait de ne pas dépendre des élections en cours de mandat. Le président à salué le fait que pour gouverner il y a «heureusement deux chemins, réunissons nous sur l'essentiel». Appel au consensus, à la négociation ? Cependant une conviction partagée par l'actuel premier-ministre, «parlons-en, ne fermons pas les portes!»
Par ailleurs, il a décoré le capitaine Salgueiro Maia, (aujourd'hui décédé) un des capitaines du 25 avril, celui qui dirigeait les troupes qui ont arrêté Marcelo Caetano, président du Conseil du dernier gouvernement de la dictature. Rappelons qu'actuel président était le filleul de Caetano, d'où son prénom Marcelo.
D'autres personnages publics ont été décorés Antonio Arnaut, un des fondateurs du parti socialiste et « père » de la Sécurité Sociale portugaise, ainsi que Joâo Lobo Antunes, médecin et scientifique très reconnu au Portugal, frère de l'écrivain Antonio Lobo Antunes, publié en France. Ce même jour il a remis le prix de la «Vie Littéraire» à Manuel Alegre, poète et résistante anti-fasciste, auteur entre autres de «Praça da Cançâo», un livre de résistance des années 60, racontant la souffrance et la mort des soldats envoyés dans les colonies et la lutte contre le fascisme.

Ils étaient des jours des années / pour attendre un seul jour. / Bonheurs. Déceptions. / avec leurs risques et leurs dégâts / était la nuit et était le jour / dans l'espoir d'un seul jour. / Manuel Alegre (traduction livre...)
«Comme un nouveau espoir en liberté»
Voilà une journée qui a marqué un virage dans la politique récente du Portugal. Certes, il s'agit d'un jour symbolique, dont le président, le gouvernement mais aussi la population avaient besoin après les dernières années d'austérité et des atteintes aux principes démocratiques instaurés par la Révolution des Œillets. Le gouvernement de gauche s'appuie en quelque sorte sur la nouveauté du Président, constitutionnaliste mais aussi homme de culture et de communication. A son tour, le président bénéficie de ce entre-deux, d'une droite battue qui n'a pas encore trouvée son tempo d'opposition et une gauche, pour le moment cohérente autour de quelques questions essentielles en rupture avec le passé récent.
Il est vraisemblable que la confrontation aux réalités économiques et au système financier européen dont le Portugal est inscrit dans la proximité des intérêts capitalistes, peuvent laisser prévoir des jours moins festifs avant que les œillets ne se fanent. Cet intermezzo peut permettre, néanmoins les prémices pour qu'une prise de conscience s'opère, sur la réalité politique d'un des pays les plus vulnérables du sud de l'Europe.