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Billet de blog 28 septembre 2015

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Desplechin choisi le Père

C'est une première pour Arnaud Desplechin et c'est aussi l'ouverture de la saison à la Comédie Française. Invité par le nouveau directeur de la maison de Molière, Eric Ruf, le réalisateur de cinéma devient metteur en scène et a choisi Père de Auguste Strindberg. Déjà au répertoire de la Comédie Française, Desplechin l'avait vu il y a plus de vingt ans qui, sans l'avoir inspiré lui a tout de même suggéré de rester dans une scène très classique et c'est un superbe spectacle qui nous est offert.

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C'est une première pour Arnaud Desplechin et c'est aussi l'ouverture de la saison à la Comédie Française.

Invité par le nouveau directeur de la maison de Molière, Eric Ruf, le réalisateur de cinéma devient metteur en scène et a choisi Père de Auguste Strindberg. Déjà au répertoire de la Comédie Française, Desplechin l'avait vu il y a plus de vingt ans qui, sans l'avoir inspiré lui a tout de même suggéré de rester dans une scène très classique et c'est un superbe spectacle qui nous est offert. Souvenons-nous de l'histoire, en forme de scènes de la vie conjugale (Bergman n'est pas loin... et il lui est ainsi rendu hommage). Le conflit de couple se cristallise autour de l'éducation de leur fille, Berthe. Le Père veut la faire partir à la ville, connaître d'autres milieux, étudier, devenir institutrice, avoir les moyens de son indépendance. La Mère ne peut pas envisager son éloignement, veut la garder près d'elle, lui faire apprendre la peinture, lui permettre de s'épanouir, la rendre autonome dans ses goûts.

En réalité, se plaint le Père, cette maison est un «repère» de femmes, la belle-mère, la vieille nourrice, la gouvernante, la Mère qui, avec maîtrise, régule tout cela. Et le Capitaine se débat en permanence contre le «feu (qui) a gagné toute la maison et, entre nous, de ce côté-là on peut s'attendre aux coups les plus bas».

On le sait, et Strindberg s'en approprie, c'est la mère qui nomme le père. Et la question de la filiation, de la paternité sera ainsi posée : «est-il sûr d'être le père pour s'autoriser à éloigner la fille de sa mère?».

La lutte verbale est sans merci, violente, destructrice, désespérante, c'est la ruse et la manipulation qui sortent gagnantes. Strindberg y inscrit beaucoup de son propre vécu. Diabolique, machiavélique, pourrait-on le penser pendant que ce Père se perd vivant littéralement pour sa fille.

Le rôle «séparateur» du père devient insupportable pour la Mère, comme devient insupportable pour le Père le soupçon sur la paternité. L'issue est forcément dramatique et c'est un des plus beaux moments du jeu théâtral voulu par Desplechin.

Arnaud Desplechin  avec  Anne Kessler et Michel Vuillermoz

C'est en costume d'époque (pièce écrite en 1887), dans un décor autant sobre que solide, posant bien l'essentiel des séquences qui se jouent autour du Capitaine avec une profondeur d'espace qui suggère plus qu'elle ne montre. Mais on n'a pas besoin davantage, la lumière accompagnant délicatement la progression de l'affrontement.

Le Père, athée, veut élever sa fille dans une forme de laïcité en l'ouvrant au monde. La Mère, avec ses convictions religieuses, veut lui transmettre ses valeurs, tout en l'enfermant dans le confort domestique. Desplechin les respect et sa mise en scène nous les donne à voir et à ressentir, les expose, les fait jouer, avec une infinie attention pour les acteurs-personnages, comme s'il nous disait, voilà ce que ça donne, faites votre idée!

Il connaît bien Michel Vuillermoz, l'ayant fait jouer dans un de ses films (Comment je me suis disputé...), qui accompli une excellente interprétation du Capitaine bien en phase avec le personnage crée par Strindberg. Mais aussi Anne Kessler, Laura la Mère, qui évolue dans son rôle comme dans le salon, toujours à l'affût, toujours là où elle peut exercer sa maîtrise, calme, mesurée, sans faille, même si au "poulailler" on a parfois du mal à l'entendre... En vrai un travail d'équipe réussi pour l'entrée, à mon avis également réussie, de Desplechin au Français.

A la sortie ma voisine se tournait vers moi me disant à propos de l'auteur «il a eu quand même une vie amoureuse bien tourmentée...». Sans doute, sa biographie nous la décrit. Il nous dit quelque chose sur sa vision de l'Amour, mais beaucoup sur les rapports humains, sur l'institution du mariage, sur le contexte qui lui est propre et surtout sur ce que éducation et transmission peuvent bien vouloir dire!

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