Il y a 20 minutes, ma femme est partie voir une amie avec un sac rempli de provisions. Il y a encore deux mois, cette amie habitait un mobil-home dans un camping. Elle a emménagé depuis dans un petit appartement mais sa situation ne s'est pas beaucoup améliorée. Chez elle, pas de frigo, pas de cuisinière, juste un micro-ondes. Elle n'a plus trop de quoi mettre de l'essence dans son réservoir.
C'est la première fois depuis longtemps qu'un proche ose ainsi nous appeler à l'aide.
Une autre amie, enseignante, me disait en juillet son soulagement que l'année scolaire se termine. Jamais eu autant de parents d'élèves en situation difficile, déprimés, en dépression, faisant des tentatives de suicides, certaines malheureusement réussies. « Quand un parent perd son emploi, les enfants n'ont pas besoin de le dire, explique-t-elle. Ça se voit immédiatement à leur comportement qui change : moins concentrés, plus agressifs. Ce n'est pas qu'ils n'ont pas ou plus de capacités, c'est qu'on ne peut pas apprendre à la maison quand ses parents sont au chômage. »
Je lis la presse locale. J'écoute les élus locaux. On ne parle pas de ces difficultés qui s'aggravent dans le pays de Ploërmel comme ailleurs. Ça ne fait pas vendre et ça ne fait pas réélire. Tout le monde regarde ailleurs.
Je rêve d'un pays où le chômage, au lieu de conduire les gens à se renfermer sur eux-mêmes et à devenir invisibles, les pousserait à rallier d'autres pour exiger des emplois. Peut-être que dans ce pays, ceux qui ont un emploi seraient eux aussi différents et qu'ils regarderaient moins les premiers comme des incapables, responsables de leur situation.
En même temps, je relisais les articles du journal d'ATD Quart Monde de mai 2009 consacré à la crise économique, mesurant une nouvelle fois que, comme le dit une fonctionnaire territoriale dans ce numéro, « les idées neuves, il faut aller les chercher en se confrontant, en allant au-devant de ce qui ne nous ressemble pas » (je vous invite en particulier à lire l'article « Crise économique, que nous enseigne la résistance des plus démunis ? »).
Depuis la parution de ce numéro en 2009, des idées neuves ont été mises en œuvre avec ces personnes qui, à force de résister tous les jours à une grande précarité, en connaissent un rayon en matière de lutte contre la pauvreté. Trois exemples parmi d'autres, qui profitent non seulement aux plus en difficulté, mais aussi à tous : les espaces parents qui rapprochent l'école et les familles en précarité, la mutuelle Accès Santé qui permet à des millions de personnes de reprendre des soins, les « territoires zéro chômeur de longue durée » qui commencent à construire ce pays où les chômeurs, au lieu de devenir invisibles, sont le fer de lance de la création d'emplois.
Il y a une semaine, l'État a supprimé les contrats aidés CUI-CAE dans notre région. Sans prévenir, sans concertation, sans évaluation, sans annonce. Des dizaines de chercheurs d'emplois et d'employeurs du secteur non lucratif (associations, collectivités, écoles, maisons de retraite…) vont se retrouver en grande difficulté dans nos communes du pays de Ploërmel où le chômage fait déjà des ravages. Ces aides sont trop coûteuses, dit la ministre de l'Emploi. C'est faux, ce sont parmi les moins coûteuses et les plus efficaces. Un CUI coûte à l'État environ 15 000 € par an et par emploi. Le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) coûte environ 120 000 € par emploi et par an. Lui, il est maintenu. Encore une vieille idée fausse (que les réductions d'impôts créent de l'emploi en période de stagnation économique) qui a la peau dure.
Fin juillet, l'État supprimait des dotations aux collectivités qui sont utiles pour réduire les inégalités et renforcer le lien social...
Ne laissons pas les politiques seuls aux manettes. Ils ont besoin des citoyens de tous bords pour trouver des idées neuves.
jean-christophe.sarrot@atd-quartmonde.org