Hier, j'étais présent avec d'autres membres d'ATD Quart Monde aux 30 ans de la Confédération paysanne, à Alloue en Charente. Un beau rassemblement qui n'a duré qu'un week-end et aurait pu se prolonger davantage !

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Parmi les nombreux visiteurs de notre stand, une travailleuse sociale s'est approchée à un moment avec les yeux remplis de curiosité et d'intérêt. Elle en est repartie avec notre livre sur le croisement des savoirs, après une bonne discussion sur la participation des "usagers" aux actions mises en oeuvre à leur intention.
Elle ne conçoit pas d'agir avec des personnes en précarité sans les associer pleinement à la réflexion et à l'action. "Or ce n'est pas vraiment ce que nous, les travailleurs sociaux, faisons." Parce que, même s'ils en ont la volonté, les moyens qui sont à leur disposition sont trop limités. Car il ne suffit pas d'asseoir des personnes autour d'une table pour qu'elles s'expriment librement. Associer l'autre, lui permettre de retrouver les mots, de participer, tout cela nécessite de créer des relations de confiance. Çà demande du temps, un temps dont notre société est de plus en plus avare.
Cela demande à chacun un sacré temps de sortir du sillon dans lequel son histoire personnelle ou des circonstances l'ont déposé. C'est ce que ne cessent de dire des personnes qui ont connu la grande précarité et se sont engagées dans le Mouvement ATD Quart Monde. "Je me suis engagée petit à petit dans l’université populaire Quart Monde de Bretagne. Ça n’a pas été tout de suite. Je me suis posé la question pendant plusieurs années", explique Catherine Legeais, une militante d'ATD Quart Monde en Ille-et-Vilaine. Mais sa ténacité et cet engagement l'ont "sauvée".
Elle poursuit : "un travailleur social m’a demandé un jour : "Vous avez changé, Mme Legeais. Pourquoi ?". Je suis parvenue à dominer ma peur quand je rencontre des travailleurs sociaux, des avocats, des médecins… Le fait d’être dans le Mouvement m’a permis, quand j’essuyais un refus, d’en parler avec d’autres, de me réconforter... Il m’arrive d’aller voir les travailleurs sociaux sans pour autant demander une aide financière, mais pour demander une explication. Quelquefois, ce n’est pas une aide financière dont on a besoin, c’est d’une écoute."
Vône Lancelot, elle aussi membre active d'ATD Quart Monde, raconte à sa manière le temps qui lui a été nécessaire pour reconstruire en profondeur ce qui avait été détruit chez elle : sa confiance dans l'école : "Cela a pris beaucoup de mois. À chaque fois que j’allais déposer mes enfants, j’avais un peu plus de plaisir à y aller. J’ai l’impression qu’avant, personne ne me voyait. Alors, quand quelqu’un a su poser son regard sur moi et me parler, je me suis dit : "C’est bon, je ne suis pas toute seule."... Si je suis ce que je suis devenue, c’est parce qu’il y a eu des êtres humains qui ont fait en sorte que je n’aie plus honte de moi."
Quand on a vécu ça, on sait que c'est possible, et comment c'est possible. On est bien placé pour permettre à d'autres de faire cette expérience. "Il faudrait que d’autres parents vivent la même chose que moi, poursuit Vône Lancelot. Certains parents qui vivent ici ne vont pas de l’avant. Si on ne va pas les chercher chez eux, leur relation à l’école ne changera pas. J’ai aujourd’hui des armes pour pouvoir avancer. Mes armes, c’est surtout de ne pas montrer du doigt le parent qui vit la même chose que ce que j’ai vécu, c’est d’installer une relation de confiance."
Quel travailleur social, quel professionnel, quelle institution, quelle personne a la patience et les moyens (et la créativité et l'énergie, car il ne s'agit pas non plus de rester inactif à espérer que les choses se fassent toutes seules) de faire jaillir et d'entendre les mots justes et d'attendre que la confiance renaisse ? C'est un travail exigeant, invisible et lent, mais qui produit des résultats solides et puissants, ne serait-ce que parce que ceux qui en bénéficient veulent et peuvent à nouveau en faire bénéficier d'autres.
ATD Quart Monde rencontre régulièrement des travailleurs sociaux comme cette femme croisée à Alloue, qui ont conscience de "la nécessité de prendre le temps et d’apprendre à écouter les familles, malgré l’étiquette qui leur est parfois attribuée d’une incapacité à analyser" et qui souffrent de ne pas avoir suffisamment de moyens pour le faire. Certains ont la chance de participer à des co-formations reposant sur la démarche du "croisement des savoirs et des pratiques".
Au sein du Haut conseil du travail social dont il est membre, ATD Quart Monde pousse des propositions visant à faire participer les personnes en précarité à la formation des travailleurs sociaux et à donner à tous, à travers en particulier le travail social collectif, le temps et les moyens nécessaires à la participation des citoyens les plus en difficulté.
jean-christophe.sarrot@atd-quartmonde.org