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Billet de blog 16 décembre 2025

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Publication du Manifeste pour une démocratie du travail

Ce Manifeste défend une idée simple : c’est à partir de ce que nous faisons au travail que nous pouvons refonder la démocratie. Nous montrons comment, à partir d’enquêtes-actions, de luttes et alternatives partant de notre travail vivant, on peut renforcer la puissance démocratique du syndicalisme et construire un nouveau projet politique pour l’émancipation humaine et la défense du vivant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce Manifeste, rédigé par l’équipe des Ateliers Travail et Démocratie, défend une idée simple : si nous le décidons, ce que nous faisons ensemble au travail peut devenir la source d’énergie sociale qui nous manque aujourd’hui pour refonder la démocratie.

Le samedi 31 janvier après-midi, nous en discuterons avec des syndicalistes, des chercheur.es, des citoyen.nes (programme à venir). Vous pouvez déjà vous inscrire ici, le Manifeste sera en librairie le 17 avril 2026, publié par La Dispute.

Nous le montrons dans ce livre, notre travail réel va bien au-delà des ordres et des consignes : c’est nous qui, par nos bricolages, nos inventions, notre dévouement, maintenons chaque jour à bout de bras la société en dépit des logiques financières et productivistes. Par des enquêtes, des luttes et des alternatives, c’est en partant de notre travail vivant qu’on pourra renforcer la puissance démocratique du syndicalisme, construire de nouvelles alliances et trouver les voies d’un nouveau projet politique pour l’émancipation de tou·tes et la défense du vivant. 

Voici la conclusion du Manifeste :

Dernière en date des utopies mortifères que produit inlassablement le capitalisme, l’intelligence artificielle générative prétend libérer l’humanité des tâches fastidieuses. On nous répète que l’IA va alléger le travail en supprimant les tâches répétitives et en laissant les humains se concentrer sur les activités créatives. En réalité, mise en œuvre au service du capital, elle appauvrit le travail[1]. Des armées de micro-travailleurs, précaires et invisibles, sont nécessaires pour entraîner, corriger et modérer ces systèmes dits « autonomes ». Dans les entreprises et administrations, le plus souvent, les algorithmes ne sont pas conçus pour alléger les tâches mais pour diminuer les effectifs et réduire les travailleur·ses à de simples auxiliaires de l’IA. Celle-ci ne remplace pas le travail humain : elle le fragmente, le délocalise, le dévalorise.

Son impact écologique est lui aussi insoutenable : data centers énergivores, chaînes d’approvisionnement minières, flux de données massifs … Elle qui prétend nous libérer du travail, aggrave en réalité la surexploitation du vivant — humains compris[2].

Face à la dégradation de la qualité du travail et des collectifs, la gauche peine à trouver des réponses. D’un côté, la tentation du « droit à la paresse », le refus du travail : la revendication d’un temps libéré, d’une vie soustraite à la productivité. De l’autre, la réhabilitation de la “valeur travail”, qui glorifie l’effort voire la souffrance au travail comme socle moral de la société. Ces deux positions, pourtant opposées, partagent une même impasse : elles continuent à penser le travail seulement comme un sacrifice, qu’il s’agisse de s’en extraire ou de l’exalter. Dans les deux cas, le travail n’est ni pensé ni transformé : il est soit rejeté, soit sanctifié.

Le capitalisme a fait du travail le lieu de la souffrance et de l’exploitation, mais il ne peut pas se passer du travail réel ni éradiquer le travail vivant. C’est à partir de ce dernier qu’il est possible de réinventer des formes de coopération, de soin, de production du commun. Changer le travail suppose de sortir de la logique extractiviste qui abuse des ressources naturelles et du temps, de l’attention, des pulsions humaines, pour alimenter une croissance supposée infinie. À l’opposé de cette logique, une autre conception politique du travail émerge : celle du « prendre soin », qui ne vise pas à extraire, mais à entretenir, réparer, accompagner, relier.

On la trouve par exemple dans la psychiatrie institutionnelle, née de la critique de l’enfermement[3]. Plutôt que de traiter le malade comme un objet de soin, elle propose de transformer l’institution elle-même en espace de travail collectif, où chaque geste — du nettoyage à la parole — participe du soin. Le travail y devient un processus d’attention mutuelle, une manière d’habiter ensemble un monde fragile. De même l’agroécologie rompt avec la logique prédatrice de l’agro-industrie : elle ne vise pas à dominer la terre, mais à coopérer avec elle. Le paysan y devient jardinier du vivant ; non plus rouage d’une machine à profit, mais gardien d’équilibres écosystémiques. Là encore, le travail n’est pas aboli : il est redéfini comme une activité de relation, de soin, de responsabilité partagée.

Ces expériences nous montrent qu’il existe une autre manière d’envisager la question du travail, sans le fuir ni se résigner, mais en inventant un travail qui fasse monde, qui prenne soin de la vie plutôt que de l’épuiser. Même dans les lieux où règnent les actuelles logiques gestionnaires, nous avons montré qu’il est possible, en enquêtant sur le travail réel, en donnant la parole aux travailleuses et travailleurs, de renforcer leur pouvoir d’agir individuel et collectif et de contester ces logiques dominantes.

La question du travail est donc aujourd’hui éminemment politique. L’extrême droite prospère sur le désarroi d’une société où le travail ne fait plus lien. Elle promet de « redonner de la dignité » aux travailleurs, tout en désignant des boucs émissaires : les migrants, les assistés, les paresseux. Elle détourne vers la haine ce qui relève en réalité d’une dépossession : la perte du sens du travail, de sa valeur anthropologique.

Reprendre la main sur le travail, c’est donc une urgence antifasciste. C’est refuser que le mépris et la souffrance au travail se transforment en ressentiment identitaire. C’est reconstruire une culture du commun, où le travail ne soit ni contrainte ni instrument de division, mais espace d’expérimentation démocratique.

Face aux logiques d’automatisation, de contrôle et de dépolitisation, il faut rouvrir le débat sur ce que nous faisons, sur ce que nous voulons produire et à quelles conditions. Le travail n’est pas qu’un rapport économique : c’est une manière d’habiter le monde ensemble. C’est là que se joue la possibilité même d’une société démocratique.

Ceci n’est pas une conclusion, mais un appel.

À enquêter sur nos propres pratiques de travail : que faisons-nous vraiment, comment, avec qui, et pour quoi ? Comment pourrions-nous travailler autrement ?

À inventer des formes collectives de partage des savoirs, des gestes, des expériences.

À organiser des formations populaires, des ateliers de recherche-action, des événements qui fassent du travail un terrain de création et de résistance.

À relier les mondes du soin, de l’éducation, de la culture, de la terre, du numérique, pour penser ensemble un travail qui prenne soin plutôt qu’il n’épuise.

 Reprendre la main sur le travail, ce n’est pas rêver d’un retour au passé ni d’une disparition du travail, mais ouvrir la voie à un autre horizon : celui d’une activité humaine réconciliée avec la vie.

[1] Juan Sebastián Carbonell. Un taylorisme augmenté. Amsterdam, 2025 

[2] Célia Izoard. « L’esprit qui dévorait la matière. L’IA, une technologie insatiable ». Écologie & Politique, 69(2), 2024.

[3] Pascale Molinier (dir.). François Tosquelles et le travail. Editions D’une, 2018.

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