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Billet de blog 18 décembre 2021

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Le travail pendant et après l'épidémie : mortelle subordination

La crise sanitaire a-t-elle ouvert de nouveaux possibles dans nos activités de travail ? Comment penser une révolution écologique du travail à l'heure de l'épidémie ? Compte-rendu des débats à l'Université d'été des mouvements sociaux, qu'on poursuivra à l'assemblée "Ne lâchons pas le travail" du samedi 15 janvier.

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Dans la crise sanitaire, les questionnements sur l'utilité sociale et écologique du travail ont été étouffés au nom de la relance et de l'emploi. La reconnaissance annoncée des métiers essentiels, ceux du soin des personnes et de la nature, n'a débouché que sur des miettes. Pourtant, ça et là, la désorganisation des hiérarchies a laissé de la place à l'auto-organisation. Des débats, luttes et initiatives se sont emparés de la question du sens du travail. Des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs démissionnent par refus du maltravail. Comment s'appuyer sur ces expériences pour commencer à faire du travail un espace de liberté où l'on prend soin du monde ? Tels étaient les thèmes mis en débat par les Ateliers Travail et Démocratie lors de l'Université d'été des mouvements sociaux, à Nantes le 27 août dernier. On en reparlera le 15 janvier prochain lors de l'assemblée "Ne lâchons pas le travail" à Paris (renseignements et inscriptions ici).

Le travail dans la crise : fermetures ou opportunités ?

A partir de témoignages de syndicalistes, de salarié.es, de travailleur.ses indépendant.es: quelles leçons tirer des expériences et des résistances menées pendant l'épidémie, comment peuvent-elles éclairer les voies d'une reprise en main du travail par les travailleur.ses ? L'échange d'expériences s'est déroulé sous la forme d'un débat mouvant organisé autour de l'affirmation suivante : « le chaos de la crise nous a ouvert des espaces d'autonomie au travail et révélé des possibles ». La trentaine de participant.es s'est répartie en deux groupes d'importance à peu près semblable : les « pour », les « contre », plus quelques indécis.es. Appelé.es à justifier leur positionnement en alternant un.e « pour », un.e « contre » et un.e indécis.e, les participant.es ont rapporté des fragments significatifs de leur expérience durant la crise Covid.

Les témoignages ont montré l'extrême diversité de ces expériences, y compris au sein d'une même profession. Ainsi, un universitaire a vécu une expérience de débrouille individuelle très éprouvante, sans soutien collectif, tandis qu'un autre universitaire faisait état d'initiatives d'auto-organisation des collègues via des outils électroniques. Un salarié d'une association décrit l'émergence d'une réaction collective contre l'autoritarisme de la direction pour imposer des réorganisations pendant la crise sanitaire, et y voit la source possible d'une action collective à venir. En revanche une salariée d'un service social évoque un sentiment d'inutilité et d'abandon suite à la fermeture autoritaire de la structure par la direction alors que les besoins des usagers étaient plus criants encore que d'habitude. Un syndicaliste relate une initiative de transformation du travail syndical (création d'un numéro vert pour assister juridiquement les salarié.es pendant l'épidémie, avec l'aide de nombreux militant.es en chômage partiel), qui a pu répondre à des centaines de demandes et redynamiser l'action syndicale ; mais un autre syndicaliste évoque les très grandes difficultés du travail syndical à distance, la vie collective réduite à peu de choses, le fonctionnement des instances représentatives (CSE...) tournant à vide en visioconférence...

Il ressort du débat que « l'autonomie au travail » évoquée dans l'affirmation initiale a souvent pris la forme d'une autonomie atomisée et dénuée de moyens, ce qui produit un isolement des salarié-es qui ont bien du mal à se débrouiller : l'autonomie sans le collectif est une dégradation du travail. Mais certain.es décrivent aussi vu des situations d'autonomie « équipée » (avec les moyens adéquats) et solidaire, où les collectifs sont sortis plutôt renforcés.

Le télétravail a été peu évoqué dans les expériences relatées lors du débat mouvant, mais la discussion « assise » qui a suivi a bien mis en évidence, là encore, la diversité des situations selon la vivacité des collectifs. Dans beaucoup de cas, l'isolement prévaut, mais un syndicaliste a relaté le cas d'une grande entreprise de services informatiques où les ingénieurs ont mis en place des outils de coordination informelle, ont piraté une réunion de CSE en visio, en faisant irruption à plusieurs centaines dans la réunion, ce qui a planté le réseau et interrompu la réunion. D'une façon générale le travail syndical, les liens collectifs ont toutefois été extrêmement compliqués notamment du fait de réunions d’instances imposées par les Directions en visio... La division sexuelle du travail domestique a sans doute été accentuée par le télétravail, une intervenante évoquant par exemple des conflits familiaux pour l'accès à l'ordinateur.

L'enquête statistique de la Dares (TraCov), représentative au plan national, confirme cette grande diversité de situations, mais aussi l'importance non négligeable, pour un bon tiers des salarié-es, de la prise d'autonomie et du regain de collectif malgré (ou à cause d') une forte intensification du travail ; ce que le sociologue François Dupuy a qualifié de « désobéissance organisationnelle » a marqué un certain nombre de situations de travail durant les confinements, de façon certes temporaire, et sans qu'il soit possible d'en prédire les effets à terme.

Travail, écologie et luttes au temps de l’épidémie

Comment les luttes environnementales et les luttes du travail peuvent-elles se rencontrer dans cette nouvelle période ? Comment penser une révolution écologique du travail ? Nous avons abordé ces questions à partir d’exemples concrets : l’agriculture, le travail des livreurs.ses, les luttes en cours suite aux catastrophes de Lubrizol et de Notre-Dame, la lutte des ouvrier.e.s de la Chapelle Darblay...

Le débat mouvant a été mené à partir de la phrase « mener le débat sur ses conséquences écologiques nous permet de reprendre la main sur notre travail ». Là encore les participant.es se sont réparti.es en 3 groupes équivalents : sceptiques, optimistes et indécis.

Les « sceptiques » ont relaté un certain nombre d'expériences où le souci de préserver l'emploi aboutit à un déni de la part des travailleur.ses concernant les conséquences écologiques de leur travail. Ainsi les ouvrier.e.s d'une usine normande de fabrication d'un pesticide (biphényle) interdit dans l'UE mais exporté au Brésil, refusent de se poser la question (« de toute façon, si ce n'est pas nous qui le fabriquons, ce sera les Chinois »). L'affaire Triskalia a montré la force d'une alliance entre syndicats (notamment Solidaires), ONG et scientifiques, mais les salarié.es de l'usine et leurs syndicats sont restés hostiles à la mobilisation, tout comme ceux de Lubrizol. Le mouvement climat lutte contre les grands projets inutiles mais les ouvriers du BTP ont besoin de travailler et regardent les mobilisations de loin. Les dockers CGT du Havre ont démontré la nocivité de l'ouverture des containers mais ne vont pas au bout de leurs revendications sur la sécurité, de crainte de la concurrence d'autres ports. Les syndicalistes mobilisent l'argument écologique à la Chapelle-Darblay, pour sauvegarder l'usine de recyclage de papier, mais certains y voient un argument tactique pour faciliter la recherche d'un repreneur, plus qu'un levier pour développer des alliances de lutte ; le risque est par exemple de fermer les yeux sur les conséquences sociales et écologiques de l'implantation d'Amazon à Grand-Couronne à cause des emplois induits.

Par ailleurs, Véolia peut investir des millions dans les énergies renouvelables et construire des parcs d'éoliennes, cela ne donne en rien du pouvoir à ses salarié.es pour contester leur exploitation et leurs conditions de travail : le capitalisme vert n'est pas moins capitaliste. Il n'y a pas de lien évident entre la finalité écologique du travail et le pouvoir d'agir des travailleur.ses. Pour l'un des « sceptiques », plus que la question de l'environnement, qui peut diviser les travailleur.ses, c'est la question de la santé au travail qui est le levier principal pour contester le monopole patronal sur l'organisation du travail.

À cela les « optimistes » ont opposé d'autres expériences, comme celle de l'usine Éternit d'Albi, où à partir d'une lutte de défense de la santé (contre la production d'amiante), les ouvriers ont pu reprendre la main sur leur travail en développant une intense activité autour du CHSCT. Les éboueurs lyonnais ont mené une grève contre la manipulation imposée de produits radioactifs ou amiantés présents dans les poubelles. Le collectif contre le plomb à Notre-Dame-de-Paris mène une lutte où 30 organisations syndicales et associatives défendent ensemble santé au travail et santé environnementale, en exigeant une cartographie des expositions, un suivi de la plombémie des travailleurs et des riverains, l'interdiction du réemploi de plomb dans la reconstruction de la cathédrale.

Les ouvrier.e.s de Total à Grandpuits, dont un représentant était présent à Nantes, contestent le greenwashing de leur direction et s'allient avec les associations écolos dans Plus jamais ça. A Grandpuits, des associations de riverains contestent le projet syndical de reconversion dans le recyclage des plastiques, par crainte des nuisances liées aux camions. Mais selon la CGT, elles ne prennent pas assez en compte l'impact positif de la préservation des emplois sur la vie des villages environnants. D'où la nécessité de lieux d'information et de délibération entre les parties concernées par les projets, pour créer des compromis dynamiques et des alliances pérennes.

Au final la discussion a surtout opposé une lecture « descriptive » de l'affirmation initiale à une lecture « normative » : tout le monde est d'accord pour dire qu'il est très difficile de soulever la chape de plomb du chantage à l'emploi pour poser les questions écologiques, et que ça ne suffit pas nécessairement à reprendre la main. Mais on s'accorde aussi à dire que s'emparer de la question des finalités du travail, de ses impacts sur la santé des travailleurs et du monde, est un levier majeur pour passer des alliances et reconsidérer le travail comme une réalité sensible et concrète qui affecte son environnement humain et naturel, un enjeu de pouvoir et de démocratie, pas seulement un mauvais moment à passer avant la paie de fin de mois.

Organisation : Aitec, Ateliers travail et démocratie, Atelier pour la refondation du service public hospitalier, CGT, Institut de Recherche FSU, Solidaires

Animation : Michèle Rault (Solidaires), Benoît Martin (CGT), Julien Lusson (Ateliers Travail et Démocratie), Bernard Bouché (Solidaires), Annie Thébaud-Mony (association Henri Pézerat), Thomas Coutrot (Ateliers Travail et Démocratie), Gérald Le Corre (CGT, collectif unitaire Lubrizol).

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