Ce vendredi 20 juin, Fleur Pellerin organise une réunion de travail sur le marché transatlantique avec des associations, ONG, syndicats et entreprises. Occasion de mettre en lumière quelques-unes des contradictions et impasses de la position du gouvernement et de rappeler nos exigences fondamentales.
Quelques semaines après le terme de la 5ème semaine de négociations du projet de traité transatlantique (TAFTA), à Arlington en Virginie, et après les élections européennes pendant lesquelles les négociations on été dans toutes les bouches, tous les débats et toutes les campagnes politiques, on ne peut que constater que le manque de clarté et de cohérence du gouvernement français et de la Commission européenne.
Fleur Pellerin a donné aux députés français un aperçu des contradictions gouvernementales lors du débat en séance publique de l'Assemblée nationale organisé jeudi 22 mai, lors de l'examen d'une résolution relative aux négociations du TAFTA.
La Secrétaire d’État a répondu aux nombreux doutes exprimés dans l'Hémicycle à l'égard du projet de traité – en particulier concernant les volets « Investisseur-État » et « harmonisation des normes et standards » – par l'habituel catéchisme libre-échangiste, sans jamais parvenir à convaincre de l'ambition réelle du gouvernement français d'influencer le processus de négociation dans le sens des préoccupations citoyennes.
Face à une majorité parlementaire largement critique sur le mécanisme de règlement des différends Investisseur-État, et demandant son abandon, le gouvernement a botté en touche, invoquant la consultation publique en cours à Bruxelles, et rappelant que la France en attendait l'issue.
Dans le domaine de la sûreté alimentaire, la Secrétaire d’État a rappelé les « inacceptables » de la France (viandes traitées chimiquement, aliments génétiquement modifiés et promoteurs de croissance en particulier), mais elle a aussi insisté sur les intérêts offensifs de la France dans le secteur agricole, faisant la promotion d'une agriculture industrielle d'exportation, en matière d'accès aux marchés (droits de douane sur les fromages, ovoproduits, viande par exemple), de simplifications normatives (producteurs français de pommes et poires soumis à des obligations administratives longues et coûteuses) ou de reconnaissance de ses appellations.
Or si, comme les négociateurs le répètent à l'envi, toute négociation est une affaire donnant-donnant, peut-on imaginer les États-Unis accepter la liste intégrale des demandes françaises et européennes sans exiger de renoncements en contrepartie ? Comment être certain que ces contreparties ne concerneront pas des domaines ultra-sensibles pour la santé des consommateurs ou pour la survie des agricultures paysannes ? Comment ne pas craindre que ces dérégulations soient décidées après la signature du traité, dans le cadre notamment du Conseil de coopération réglementaire ? Cette instance pérenne, autonome des institutions démocratiques des Etats, dont un document révélait récemment le projet de création1, aurait pour rôle d'organiser l'harmonisation des normes existantes ou futures de façon à ce qu'elles ne constituent pas des entraves au commerce, quitte à en abolir certaines. Sur tous ces points, le gouvernement reste des plus évasif, refusant d'aller au delà de quelques engagements oraux qui ne sont pas suivis d'effets.
Interrogée sur les demandes de totale libéralisation des échanges et des investissements en matière d'énergie et de ressources naturelles portées par la Commission européenne, selon un document secret révélé le lundi 19 mai, Fleur Pellerin ne les a pas contestées. Le texte encourage pourtant l’exploitation et le commerce transatlantiques des hydrocarbures non conventionnels tout en réduisant considérablement les capacités des États à soutenir le développement des énergies renouvelables. Fleur Pellerin marque ainsi le soutien du gouvernement à des exigences qui anéantiront pourtant toute perspective de politique ambitieuse pour la transition énergétique dans l'UE et ses Etats-membres2, et faisant de la « sécurité énergétique » un instrument de maintien du « business as usual » garantissant un très haut niveau de dépendance aux énergies fossiles, aux importations et aux aléas des marchés mondiaux.
Enfin, le gouvernement refuse de prendre des engagements en matière de divulgation des documents de négociations, se retranchant derrière l'absence d'unanimité des pays-membres de l'UE pour le mandat, et derrière la « nécessaire confidentialité » pour les autres.
Alors que les candidats socialistes aux européennes, aussi bien en meeting que dans la presse3, n'ont cessé d'exprimer leurs critiques, voire leurs plus grandes réserves, en regard de la forme et du contenu des négociations, le gouvernement et la secrétaire d'Etat Fleur Pellerin préfèrent « dédramatiser » et faire œuvre de « pédagogie » pour justifier la volonté de François Hollande « d'aller vite »4.
Dans le même temps, le Commissaire De Gucht et les services de la Direction Générale (DG) Commerce redoublent d'efforts de communication pour caricaturer les positions critiques à l'égard du projet de traité, qu'elles viennent de l'opposition politique au sein du Parlement européen ou des organisations de la société civile. A grand renforts de fiches thématiques (énonçant non pas les positions de négociation de l'UE mais une présentation édulcorée des enjeux des grands dossiers), de messages twitter et de rencontres avec les « stakeholders », la DG Commerce cherche à neutraliser les détracteurs du caractère opaque et anti-démocratique des négociations.
C'est pourtant au European Business Summit – aux côtés de centaines de grands chefs d'entreprises – que le Commissaire européen passait son après-midi du 15 mai, quand 250 manifestants pacifiques coupables d'avoir seulement demandé la démocratisation du processus attendaient en cellule à Bruxelles5. Les techniciens de la Commission se sont quant à eux montrés vagues et imprécis auprès des organisations de la société civile participant à la réunion de présentation de la consultation publique sur le volet ISDS – le mardi 13 mai dernier –, concernant la réelle suspension des négociations dans ce domaine jusqu'à la fin de la dite consultation, de même qu'à l'égard de l'usage qui serait fait des contributions reçues dans le cadre de celle-ci. La DG Commerce ne fournit toujours aucune information tangible sur le projet de Conseil de coopération réglementaire, se cantonnant au registre du « nous verrons » et « il faut attendre la fin des discussions » comme seules réponses aux questions soulevées par les organisations présentes.
Nos associations ne peuvent se satisfaire d'objections nébuleuses et de promesses de principe.
Plus que jamais :
- La transparence totale doit être assurée par la DG Commerce autant que par les autorités françaises en charge de négociations. Cela suppose notamment la publication de TOUS les documents de négociation, positions, textes d'analyse... ainsi que la publication précise de toutes les réunions et consultations organisées dans le cadre de la négociation.Un débriefing régulier et sincère de toutes les séquences de pourparlers est également indispensable.
- Le retrait définitif de tout mécanisme de type ISDS, dont il faut rappeler qu'il ne présente aucune nécessité au regard du contenu solide du droit communautaire et des droits nationaux, doit être garanti ;
- Le projet de création d'un Conseil pour la coopération réglementaire, qui instituerait une instance responsable de l'harmonisation des normes hors de toute surveillance démocratique, doit être abandonné.
- L'objectif de « réduction substantielle des droits de douane » doit être retiré des négociations. Il doit par contre y être affirmé que toute harmonisation économique, sociale et environnementale ne pourra se faire que dans le sens d'une protection supplémentaire des citoyens.
- La France, qui accueille la Conférence des Nations unies sur le climat en 2015 à Paris, doit explicitement retirer son soutien au volet Énergie/Matières premières des négociations, et exiger notamment le refus de la libéralisation du commerce des hydrocarbures (notamment non-conventionnels) et de l'investissement dans ces secteurs, et la préservation des droits des États à engager des politiques incitatives au développement d'un secteur local des énergies renouvelables.
C'est dans la perspective de renouveler publiquement ces exigences que nous participerons à la rencontre proposée par la Secrétaire d'Etat. La clarté et l'exigence d'un véritable débat démocratique ne sauraient se contenter de nouvelles déclarations évasives et de contradictions manifestes : le gouvernement français ne peut continuer à esquiver et gagner du temps alors que les pressions citoyennes s'accentuent et que les collectivités locales délibèrent sur des déclarations exigeant de mettre fin aux négociations.
Amélie Canonne, co-présidente de l'Aitec
Maxime Combes, membre de Attac France
1http://corporateeurope.org/sites/default/files/ttip-regulatory-coherence-2-12-2013.pdf
2Voir : Avec le TAFTA, l’UE et les États-Unis sabordent le climat et la transition - http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/avec-le-tafta-l-ue-et-les-etats
3Dans une tribune au Monde, les chefs de file PS aux européennes ont pris leur distance avec les négociations (http://mobile.lemonde.fr/idees/article/2014/05/20/un-accord-de-juste-echange-sinon-rien_4422202_3232.html) et Jean-Christophe Cambadélis a déclaré sur Médiapart « « Pour l’instant, c’est non. Parce qu’on ne dit pas “oui” à quelque chose qu’on ne connaît pas. » Puis : « Ce qui nous revient (des négociations tenues secrètes, ndlr), ce n’est pas acceptable. » (http://www.mediapart.fr/journal/international/220514/traite-transatlantique-ps-contre-front-de-gauche-et-ecologistes)
4Déclaration de François Hollande lors de sa visite aux États-Unis en février.
5Voir : http://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/liberation-immediate-des-militants