À l'annonce des résultats du premier tour, un mouvement de contestation étudiante s'est fait entendre, en occupant notamment la Sorbonne. La réaction administrative, d'abord localisée au centre de la Sorbonne, puis généralisée à l'ensemble des centres de Paris est de forcer le passage en distanciel pour l'ensemble des cours, dépeuplant ainsi l'université de ses étudiants pour éviter tout risque de contagion des contestations. Confondre contagion épidémique dans le cas du Covid, et contagion d'un retour du débat politique au sein des universités est une grave erreur, qui transforme une mesure de protection contre un virus en une répression sans discernement des étudiant·e·s.
En réaction à cette semaine de cours en distanciel injustifiée, qui acte le dévoiement des cours en distanciel, il est crucial de dénoncer les erreurs sur lesquelles se fondent une telle décision. En espérant qu'il soit encore temps de lutter contre la banalisation de cette mesure répressive, pour que le passage impromptu en distanciel ne complémente pas la répression policière et ne devienne pas un nouveau levier de la précarisation des étudiant·e·s.
Croire que le passage en distanciel est sans conséquence, c'est croire que les MOOC (massive online open courses) offrent la même qualité d'enseignement que les cours. Les MOOC sont même généralement faits dans de meilleures conditions que les cours à distances, puisque que malgré la durée de la pandémie, on se retrouve toujours généralement sur des zooms sous dimensionnées, dépendant de la qualité du micro de l'ordinateur personnel de celui qui enseigne. Si cette idée de pouvoir tout résoudre par la technologie, et donc de remplacer les enseignant·e·s par des vidéos est séduisante pour certains, elle se fracasse face à la réalité des deux dernières années.
En effet, on ne peut croire un tel remplacement indolore qu'en ayant en tête une transmission complètement verticale de la connaissance. Or, l'étudiant n'est pas un seau, dans lequel le professeur deverserait peu à peu le Savoir établi pour le remplir, mais un être pensant qui doit s'approprier le contenu et donc interagir avec les autres, y compris pour remettre en cause la pertinence de ce Savoir. Croire que remplacer des interactions multiples entre étudiant·e·s et professeur·e·s, mais aussi entre étudiant·e·s par l'unilatéralité de la visioconférence se fait sans perte pour l'acquisition des connaissances est une offense pour la qualité du travail pédagogique, qui s'adapte année après année aux ambiances des groupes et ajuste en fonction de la salle le cours. Faire cours en visioconférence, où les retours des étudiant·e·s sont souvent parcellaires et différés est un casse-tête permanent.
Par ailleurs, croire que la plus-value de l'université se limite aux cours dispensés est une méconnaissance crasse de la valeur des interactions humaines dans la formation d'un individu. Monter les étudiant·e·s les uns contre les autres, en transformant ceux qui proposent de faire revenir le débat politique dans l'université en responsables d'un passage à un enseignement de mauvaise qualité est un jeu dangereux, qui encourage les initiatives violentes au sein de l'université. On a d'ailleurs pu voir que la Cocarde, association étudiante d'extrême droite s'est senti d'autant plus légitime pour s'en prendre aux autres étudiant·e·s. Qu'est-ce qui fait la force d'une université ? Ce sont ses élèves. Le reste : professeur·e·s, prestiges, classements, ce ne sont que des conséquences. Ce qui vous forme à l'université, ce sont d'abord les interactions avec vos pairs, ce sont ces femmes et ces hommes qui rencontrent les mêmes difficultés que vous, qui trouvent des solutions, construisent des amitiés, des projets, et qui rendent l'université exceptionnelle.
Il est vrai que le blocage de la semaine passée a pu être décevant, avec des revendications qui ont été simplifiées - clairement on ne va pas empêcher un second tour pour 100 "babos" sorbonnards, se gaussent les petits malins - mais cet amateurisme n'est qu'une preuve supplémentaire de l'importance de refaire vivre la mobilisation étudiante au sein de l'université. C'est aussi la preuve de la perte de compétences organisationnelles et politiques dues au Covid : il est urgent d'y remédier, en encourageant au contraire la tenue de grand évènements étudiants, en facilitant la mise à disposition de salles pour permettre l'éclosion d'un débat politique serein et constructif. Pour le L1 inquiet pour son avenir s'il privilégie une AG à un amphi bondé : savoir gérer dans le calme une AG est sincèrement un savoir faire bien plus professionnalisant que bien des cours. Comprendre les arguments des autres, gestion des temps de parole, faire avancer les différents points de vue sans tourner en rond, ni décourager les participants, rencontrer des gens dont on trouve les idées intéressantes ou surprenantes...
Peut-être qu'un peu plus d'assiduité en AG des décideurs du passage en distanciel aurait permis de développer un peu plus d'esprit critique, et de ne pas prendre une mesure aussi désastreuse. Car il est quand même paradoxal de déplorer l'abstention des jeunes et leur supposé manque de convictions politiques, tout en les gazant et les dispersant quand ils essaient enfin de se réunir pour forger leurs convictions politiques. Pire, il est ridicule de vouloir compenser les problèmes de santé mentale dues principalement au manque d'interactions sociales et à la peur de l'avenir par des chèques psy inutilisables, plutôt que de laisser les étudiants tisser des liens entre eux et discuter ensemble de leur avenir.
Il est donc nécessaire dès maintenant:
- en tant que professeur·e de refuser de participer au muselement des protestations étudiantes en ne donnant pas cours en distanciel pour des raisons politiques,
- en tant qu'étudiant·e de ne pas souscrire à cette mascarade en ne se connectant pas à de tels cours mais en essayant au contraire de rejoindre ou soutenir les initiatives étudiantes,
- en tant que politique de donner la parole à ces mouvements étudiants qui sont le vivier des politiques et citoyens de demain, et non des adversaires à mater.