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Par Aurélie Trouvé et Mathilde Hignet
Depuis des semaines, l’agrobusiness fait monter la pression pour revenir sur les interdictions récentes de pesticides.
Il peut compter sur le soutien actif du gouvernement. Le ministre de l’agriculture est allé jusqu’à remettre en cause l’indépendance et la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Celle-ci voulait interdire les principaux usages du S-métolachlore, herbicide classé « cancérogène suspecté » et dont les composés de dégradation se retrouvent dans les nappes phréatiques. Le Président de la République lui-même, depuis le Salon de l’agriculture, invitait l’ANSES à travailler plus étroitement avec différents acteurs « sous l’autorité du ministre [de l’Agriculture] ».
L’offensive se poursuit cette semaine à l’Assemblée nationale à travers la résolution portée par le groupe Renaissance et ses alliés, qui vise à lutter contre les sur-transpositions “en matière agricole”.
Son ambition est claire : l’alignement des règles françaises sur le socle minimal défini par l’Union européenne, en particulier concernant les produits phytosanitaires.
Ce texte part pourtant d’un constat juste : certains pesticides sont interdits uniquement en France. Dans un marché ouvert, les producteurs français se retrouvent dans une situation de concurrence insoutenable dès lors que leurs homologues des Etats membres de l’UE ne sont pas soumis aux mêmes normes.
Mais les promoteurs du texte fabriquent un dilemme insurmontable : la santé et l’environnement, ou bien les agriculteurs. Chacun est sommé de choisir son camp.
Pourtant nous pouvons et devons protéger les deux. L’agriculture n’a pas toujours été abandonnée à la concurrence féroce du libre-marché, et cette compétition implacable n’est pas le simple produit de la malchance : elle résulte de décennies de destruction des outils de régulation des marchés, de la part des mêmes qui freinent aujourd’hui la sortie des pesticides… au nom de la compétition implacable.
Le démantèlement des prix garantis et des quotas dans la PAC, ou encore des droits de douane à coups d'accord de libre-échange, a conduit à des prix extrêmement volatiles et souvent bien en dessous des coûts de production. Les lois nationales comme Egalim n'ont réglé en rien le problème et beaucoup d'agriculteurs ont arrêté leur exploitation ou peinent à la maintenir.
Dans le même temps, nous sommes témoins de l’effondrement de la biodiversité, de l’expansion des cancers et des maladies neuro-dégénératives. L’interdiction des pesticides les plus dangereux est impérative, et tout doit être mis en œuvre pour débarrasser l’agriculture de la chimie. Dans ce contexte, l’indépendance de l’ANSES doit être préservée, et même renforcée.
Nous n’ignorons pas l’effort que devront consentir les agriculteurs, c’est pourquoi la contrepartie que nous leur proposons est simple : un revenu réellement rémunérateur.
Dans l’urgence, des outils existent déjà pour protéger les producteurs lorsqu’une molécule est interdite en France alors qu’elle reste autorisée en Europe ; la clause de sauvegarde de l’OMC permet la suspension des importations de produits traités avec une substance interdite dans le pays, et ce pendant quatre années, comme ce fut le cas du diméthoate, insecticide utilisé sur les cerises de bouche. Mais c’est une parade provisoire : des évolutions structurelles sont nécessaires.
Certains acteurs, dont les promoteurs de la résolution, défendent le maintien de la concurrence internationale, assortie de “clauses miroirs”, interdisant l’importation de produits traités avec des molécules prohibées en France. Mais c’est impossible à droit constant : l’OMC interdit la différenciation de produits sur la base des procédés de production et seul importe que toute trace de pesticide ait disparu dans le produit final. Il faut donc repenser tout le droit du commerce des produits agricoles !
Le vivant s’effondre, nos campagnes se vident, l’existence des personnes exposées se trouve brisée par les maladies chroniques. Sortir des pesticides est économiquement bénéfique, moralement urgent et politiquement possible.
L’alimentation, bien essentiel, doit être protégée de la concurrence par la puissance publique. Réactivons des outils de régulation des volumes qui ont fait leurs preuves : quotas de production, prix minimum d’entrée pour certaines filières en difficulté comme les fruits et légumes. Mobilisons pleinement le levier de la commande publique et interdisons par la loi l’achat en dessous du prix de revient.
Les agriculteurs n’auront alors plus à choisir entre la chimie et la survie.
Aurélie Trouvé et Mathilde Hignet sont députées de la France Insoumise, toutes deux spécialistes des questions agricoles.