Ce matin la macronie nous propose, à nous députés de la commission affaires économiques, une visite au salon de l’agriculture. Avec un lobby tour de l’agro-industrie préparé aux petits oignons. Et un parrainage le plus vertueux qui soit : la plus grande multinationale mondiale de production laitière, détenue par une famille richissime, mise en examen dans un scandale sanitaire et qui pratique une pression terrible à la baisse des prix du lait.
Bienvenue chez Lactalis ! Bienvenue en macronie !
Mais quel plus beau symbole que Lactalis pour résumer les deux grands piliers de la politique d’Emmanuel Macron, néolibéralisme économique et productivisme ? Le salon de l’agriculture bat son plein et deux fléaux nous touchent : flambée des prix alimentaires ; sécheresse inédite. Et la macronie répond : laissons les prix fluctuer au gré des marchés internationaux. Laissons le système agricole consommer bien trop d’eau, laissons-le souffrir de sa vulnérabilité aux conditions climatiques.
Ils sont loin, les objectifs fondateurs que la France avait adoptés en 1957 avec le Traité de Rome. « Assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole », « stabiliser les marchés », « assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ». L’alimentation coûte de plus en plus cher depuis 2 ans, les prix ont augmenté de 14,5% en février sur un an, de plus en plus de gens ne peuvent plus se nourrir de façon suffisante et saine, les queues devant les banques alimentaires ne cessent de grandir et les ménages consomment de moins en moins de fruits et légumes frais, de produits bios, locaux, labellisés, parce qu’ils n’en ont plus les moyens.
Et les agriculteurs dans tout ça ?
Certes les revenus agricoles ont globalement augmenté depuis 1 an. Mais ça ne résout pas en rien les deux principaux problèmes : des prix et revenus agricoles extrêmement volatiles, qui empêchent les agriculteurs de prévoir l’avenir et donc de se lancer dans des investissements et les nécessaires transitions agroécologiques ; des inégalités de revenus particulièrement fortes entre agriculteurs, qui s’accentuent.
En 2021, les revenus augmentent encore pour certains grands céréaliers, c’est nettement moins le cas pour l’élevage, et ils diminuent même pour le maraîchage ou la production de porc. Et le secteur agricole subit toujours un taux de pauvreté bien supérieur à la moyenne française. Ce qui amène de très nombreuses exploitations et agriculteurs à cesser leur activité et à ne pas transmettre : le nombre d’exploitations ne cesse de baisser (près de la moitié en 20 ans).
En cause, la dérégulation des marchés agricoles européens et l’alignement sur des cours internationaux qui n’ont plus rien à voir avec les coûts de production. Pendant que la macronie se félicite de lois tout à fait inefficaces comme celles d’Egalim, elle entérine des accords de libre-échange comme celui avec la Nouvelle-Zélande, qui va encore fragiliser nos éleveurs, subissant la concurrence déloyale de pays aux coûts de production et normes inférieures. Elle ment sur les marges engrangées par l’aval. Contrairement à ce qu’elle tente de faire croire, les profits de la transformation et de la distribution n’ont pas diminué : ces entreprises ont bel et bien, en moyenne, augmenté leur taux de marge entre 2018 et 2022, sur le dos des consommateurs.
À quand une régulation publique des marges ? À quand un blocage des prix de produits alimentaires de première nécessité ? À quand une garantie pour tous les agriculteurs de prix rémunérateurs en fonction de leurs coûts de production ?
Ce ne sera faisable que par une rupture franche avec le système néolibéral, et avec les règles européennes et celles du droit commercial qui le forgent.
Mais reste l’autre pilier de la politique d’Emmanuel Macron : le productivisme, c’est-à-dire l’augmentation à tout prix de la production par hectare, par animal, par travailleur, quelles que soient les limites physiques de la planète.
C’est ainsi que pour augmenter la production, le maïs couplé au soja a remplacé peu à peu l’herbe et d’autres céréales pour nourrir les vaches. Au détriment des prairies et avec une consommation d’eau insoutenable. C’est ainsi qu’ont été développées des rotations, des espèces et variétés végétales aux rendements plus élevés mais avec une résilience à la sécheresse bien plus faible.
C’est ainsi que les exploitations agricoles ont été de plus en plus dépendantes de l’achat de leur alimentation animale ou de phytosanitaires, dont les prix flambent actuellement. Il est temps de bifurquer. Il est temps, au plus vite, de s’engager dans l’agroécologie et de la planifier. Avec une profonde redistribution des soutiens agricoles.
Mais faut-il rappeler ici que les députés sont empêchés de décider des 8 milliards d’aides agricoles (celles de la PAC) distribués chaque année aux agriculteurs ? Seul le gouvernement décide de leur orientation. Pratique pour Emmanuel Macron, qui peut ainsi s’enferrer tranquillement dans le productivisme, incapable de faire face aux nouveaux enjeux écologiques et sociaux.
Au problèmes écologiques et de la sécheresse, il répond développement des bassines et tient le cap de son plan de relance agricole : numérique, génétique, robotique. A l’opposé de l’immense défi d’une agriculture plus économe, plus autonome, face aux banques, à l’agro-fourniture, aux aléas climatiques. Ainsi apprend-on que l’État ne fixera même plus d’objectif de réduction des produits phytosanitaires pour le nouveau plan Ecophyto 2030. Alors que sur 15 ans, leur utilisation s’est considérablement accrue, très loin de l’objectif de réduction de 50% qui avait été fixé en 2008.
Quant à l’agriculture biologique, la part des surfaces plafonne à 10%, très loin des 15% fixés pour 2022. Et le rythme de conversion des exploitations s’effondre : logique, quand on sait que les aides au maintien en bio ont été supprimées par la macronie.
« Pourquoi demander à nos agriculteurs des efforts que nos voisins n’ont pas à faire ? » : cette interrogation d’Emmanuel Macron au salon résume toute l’impasse de sa pensée. Pourquoi, M. Macron ? Parce que la pollution de nos milieux et le réchauffement du climat sont alarmants. Parce que la France devrait avoir l’ambition de faire mieux que ses voisins. Encore faut-il avoir le courage de rompre avec la libre concurrence européenne et les pressions des lobbys agro-industriels.