L’inflation a atteint 7.1% en cette fin d’année et le pic d’inflation est à venir. Mais l’inflation subie est bien supérieure pour les ménages les plus modestes : leur alimentation représente un poste de dépenses particulièrement important. Or, la hausse des prix alimentaires atteint plus de 12% en cette fin d’année, et encore davantage pour les marques à petit prix. Une hausse qui va s’accentuer début 2023 puisque les prix sont en cours de négociation - à la hausse - entre distributeurs et fournisseurs.
Face aux prix qui s’envolent, le salaire moyen n’a été rehaussé que de 2,7%. Pour les ménages modestes, les difficultés pour faire face aux dépenses de base, alimentation, logement, chauffage…, s’aggravent nettement. D’ores et déjà, les auditions menées ont dévoilé des conséquences désastreuses : une augmentation très nette des personnes qui doivent désormais recourir à l’aide alimentaire (+9% en un an selon les Banques alimentaires) ; des répercussions sur la qualité des aliments : moins de fruits et légumes frais consommés (les prix des légumes frais ayant augmenté de 34% !), moins de produits frais, bios, locaux, labellisés.
Je regrette, de même que mon co-rapporteur, que n’ait pas été encore créés de chèques alimentaires, destinés aux plus modestes et ciblés sur des produits de qualité, bios, locaux. Une telle mesure soutiendrait également les agriculteurs engagés dans des productions de qualité. De même, il est urgent de soutenir bien davantage les associations d’aide alimentaire ; les 40 millions d'euros dégagés il y a quelques semaines sont dérisoires au regard de leurs nouveaux besoins.
Pour autant un tel chèque n’est pas suffisant. Un contrôle des prix alimentaires et des marges réalisées par chaque échelon de la filière s’avère nécessaire. À ce propos, le rapport de l’Inspection générale des finances publié le mois dernier, qui conclut qu'aucune marge indue n'est à constater, mérite une sérieuse remise en cause : en modifiant un peu les dates utilisées pour calculer l’évolution des profits des acteurs de la chaîne de valeur alimentaire, on se rend compte que le ces profits ont augmenté en moyenne entre 2018 et 2022, que ce soit pour l’industrie agro-alimentaire ou le commerce - même s'il existe des situations très différentes suivant les entreprises -. Ce sont donc bien les consommateurs et les salariés qui supportent avant tout les répercussions de l’inflation.
Certaines pratiques d'entreprises ont par ailleurs été amplifiées avec l’inflation et doivent être bien davantage régulées : par exemple une diminution du volume du produit sans en changer l’apparence ni le prix… et sans en informer, bien évidemment le consommateur. Ce qui demande de réguler bien davantage certaines pratiques commerciales, amplifiées avec l’inflation.
La hausse des prix alimentaires a également des répercussions sur la restauration collective (plus de 10 millions de repas par jour). Le coût moyen des repas augmenterait de 13%. Là aussi, pour faire des économies, les repas sont de moins en moins bios et de qualité, à rebours des objectifs de la loi Egalim. La moitié des communes aurait augmenté ses tarifs. Et je suis certaine que dans nombres de circonscriptions, les familles sont de plus en plus nombreuses qui ne peuvent plus payer la cantine. Un soutien ciblé des collectivités locales est là aussi nécessaire face à cette urgence sociale.
Plus largement, les collectivités locales peinent à assurer leurs missions face à l’envolée de leurs dépenses de fonctionnement liée à l’inflation : +5% environ, ce qui est inédit depuis 15 ans. Rappelons qu’elles ne bénéficient plus du tarif réglementé du gaz, ni de l’électricité quand elles emploient plus de 10 salariés. Les deux rapporteurs regrettent que la hausse du point d’indice de la fonction publique et celle du RSA, qui incombe aux départements, n’aient pas été entièrement compensées. Leur capacité d’investissement, pour le sport, la culture, la transition énergétique… s’en trouvent déjà affectées. Les communes, et surtout, les petites communes, sont particulièrement touchées par la hausse des dépenses.
La hausse des coûts de l’énergie frappe durement les ménages et la situation va s’aggraver : +15% des prix de l’électricité et du gaz dès le 1er janvier, fin du bouclier tarifaire du gaz au 30 juin. Et c’est sans compter toutes les collectivités locales, entreprises, copropriétés… qui ne peuvent bénéficier du tarif réglementé et a fortiori, du bouclier tarifaire. Avec une hausse moyenne de 120% des tarifs.
Nous avons auditionné beaucoup d'acteurs de la restauration, du bâtiment, de l'industrie... et même s’il importe d'examiner avec précaution certaines de leurs demandes et revendications, il en ressort une grande inquiétude et beaucoup de tensions, qui se ressentiront nécessairement sur l'emploi et les économies locales. La hausse des coûts de l’énergie profite grandement aux entreprises du secteur de l’énergie, mais pèse considérablement sur les secteurs fortement consommateurs (chimie, métallurgie… et plus globalement l’industrie). La situation des petites entreprises est particulièrement inquiétante, elles dont les trésoreries ont été affectées à la fois par la crise Covid puis par cette crise. D’où le besoin d’aides aux entreprises plus ciblées vers les petites.
Dans le secteur agricole, les situations des entreprises sont là encore très inégales face à l’inflation : quand les céréaliers bénéficient de hausses de prix de 78% (en plus d’aides substantielles de la Politique agricole commune), les maraîchers subissent une baisse de 9%. Il est indispensable de bien mieux réguler les prix payés aux producteurs, en fonction de leurs coûts de production.
Pour faire face à toutes ces difficultés, le gouvernement multiplie les chèques et compensations : ils pèsent sur les contribuables (40 milliards en 2022) et se révèlent insuffisants et mal ciblés. Deux mesures, certes d’une toute autre ambition, permettraient d’y remédier : un plafonnement, sans attendre, des prix d'achat du gaz, et un même tarif réglementé de l’énergie pour toutes les entreprises, collectivités, ménages…
Force est de constater qu'en l'état, le gouvernement laisse payer l'inflation avant tout par les salariés, les collectivités locales et certaines entreprises. La ré-indexation des salaires sur l’inflation, au moins pour les bas salaires, empêcherait les salaires réels de s’effondrer et permettrait aux ménages modestes de subvenir à leurs besoins essentiels. Et cette demande populaire soutenue augmenterait le carnet de commandes des entreprises, évitant la récession que la Banque de France prévoit elle-même pour 2023.
L'Institut La Boétie consacre demain une soirée à débattre des causes et des réponses à l'inflation. J'y serai, aux côtés de Michel-Edouard Leclerc, Agnès Benassy-Quéré, Eric Berr, Cédric Durand, François Geerolf !