Aimé Bille : Quand la vérité dérange
par Aurore Van Opstal
Ancien gendarme belge, Aimé Bille s'est retrouvé au cœur d'une affaire qui a profondément marqué la Belgique : l'enquête sur Marc Dutroux. Chargé de missions délicates, notamment l'examen de transactions bancaires suspectes associées à Dutroux et le meurtre non élucidé de Christine Van Hees (dossier dit de la Champignonnière), il a vite compris que ses découvertes menaçaient des intérêts puissants. Ce constat l'a conduit à vivre un véritable « parcours du combattant » : mise à l'écart de l'enquête, accusations de falsification, diffamation dans la presse et isolement professionnel.

Une enquête sabotée et des pistes ignorées
Aimé Bille explique avoir réuni des preuves solides qui auraient pu relancer l'enquête sur la Champignonnière et révéler les liens financiers suspects entre Marc Dutroux, sa complice Michelle Martin et d'autres réseaux. Mais, selon lui, ces dossiers ont été retardés, sous prétexte selon Van Espen (Juge d’instruction à Bruxelles) ; « d'interférences avec la commission parlementaire ». À ses yeux, de hautes personnalités ont œuvré pour que l'instruction ne progresse pas : il évoque des fausses accusations à sa rencontre et des procès-verbaux truqués visant à l'écarter, lui et son collègue Patriek De Baets.

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Le rapport de 17 pages du procureur général de Bruxelles, daté de mars 2000, qui pointait de prétendues irrégularités chez Aimé Bille et Patriek De Baets, s'est finalement révélé infondé. Pourtant, aucune clarification officielle n’a jamais été publiée. Pour Aimé Bille, ce silence institutionnel a permis de le présenter, à tort, comme un manipulateur, malgré sa réhabilitation judiciaire et disciplinaire en 2000.

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Des témoignages clés discrédités
Un aspect controversé de l'« affaire Dutroux » réside dans les dépositions des « témoins X », notamment Régina Louf (alias X1), qui affirmait l'existence de réseaux pédocriminels impliquant des personnalités influentes. Aimé Bille rappelle que leurs propositions, étayées par des documents concrets, ont systématiquement été discréditées ou tournées en dérision, aussi bien par certains médias que par l'institution judiciaire. D'après lui, ces témoignages étaient jugés trop dérangeants et ont alimenté des campagnes de décrédibilisation contre les enquêteurs.


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Blocages hiérarchiques et pressions internes
Aimé Bille raconte que lui et son équipe ont constaté l'existence de blocages, venus selon lui de hauts gradés tels que Jean-Luc Duterme ou Jean-Marie Brabant. Ils auraient orchestré des rapports hostiles contre Bille et De Baets, produisant des accusations mensongères pour les empêcher de poursuivre leurs enquêtes. Face à l'ampleur de ces pressions, Aimé Bille s'est retrouvé isolé professionnellement et personnellement : voisinage méfiant, moqueries subies par sa fille et dépression reconnue par l'institution.
L'omerta autour de l'enquête
Dans son livre Dutroux, l'enquête assassinée , coécrit avec Anne Espereben, Aimé Bille met en lumière plus de 3 000 pages de documents et de relevés bancaires prouvant la manipulation de l'enquête et l'abandon de pistes majeures. Il évoque des éléments édifiants, comme un dépôt de 200 000 francs belges fait par Dutroux dans les 72 heures suivant la mort de Christine Van Hees. Cette transaction, pourtant cruciale, n'aurait jamais été exploitée, sous prétexte de « ne pas interférer avec la commission parlementaire ».

Malgré leur blanchiment officiel, Aimé Bille et Patriek De Baets n'ont jamais reçu de reconnaissance publique. Les médias qui avaient contribué à leur mise au ban sont restés silencieux une fois les enquêtes disciplinaires closes. Aimé Bille estime qu'il a dû défendre lui-même son honneur, dans l'indifférence générale.
Une presse instrumentalisée
Aujourd'hui, le silence des médias autour de son livre « Dutroux, l'enquête assassinée » illustre selon lui une volonté de maintenir cette omerta. « Mon éditeur et moi avons contacté de nombreuses rédactions, mais nous avons été ignorés. Ce silence est révélateur », affirme Aimé Bille. Cette absence de débat empêche une réévaluation des faits, pourtant cruciale pour comprendre les zones d'ombre de cette affaire.
Un appel à la mobilisation citoyenne
Aujourd'hui, Aimé Bille demeure sceptique quant à la possibilité de rouvrir les dossiers : d'un côté, les délais de prescription limitent les actions en justice ; de l’autre, un manque de volonté politique freine toute nouvelle avancée. Il en appelle cependant à la création d'une commission d'enquête réellement indépendante, afin de faire la lumière sur ce qu'il qualifie de « scandale judiciaire » et redonner de l'espoir aux victimes et à leurs familles.
« La quête de justice ne doit jamais s'arrêter. Nous devons cette vérité aux victimes et à leurs proches », argue-t-il. À travers son livre et ses interventions publiques, Aimé Bille poursuit inlassablement sa mission : offrir une autre version des faits, et montrer que la vérité, même si elle dérange, ne peut être mise sous silence indéfiniment.

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