Alors voilà, depuis 2 semaines, comme tout le monde, je suis confinée. La boule dans la gorge a grossi, et elle est maintenant quasi-permanente: comment vais-je trouver un emploi maintenant que les employeurs vont pouvoir forcer les gens à travailler plus, au lieu d'employer ? J'ai des crises de larmes, de désespoir, de rage aussi. Et je m'en veux de ne pas arriver à faire des compromis parce que pour moi, c'est de la compromission. Je m'en veux de ne pas arriver à faire l'autruche concernant ce que nous avons fait et qui va mener à des situations que je sais peu enviables, et que pourtant nous ne savons pas dessiner. Je me sens oppressée de ne pas savoir dessiner mon propre avenir, de constater que beaucoup de gens veulent et croient qu'après la pandémie, tout redeviendra comme avant. Ils ne font pas le lien entre la pandémie, l'extinction massive du vivant et nos façons de vivre et de croître, toujours croître. Et puis, aussi, je me sens coupable de ne rien faire. De ne pas vouloir retravailler comme infirmière. De ne rien apporter à cette société, même si je la trouve dans l'ensemble peu désirable. Après tout, nous sommes tous dans le même bateau, même si beaucoup trop de gens ne le savent pas et ne veulent pas le voir.
J'ai cousu quelques masques, je les ai proposé au CHU de ma ville. Je n'ai pas reçu de réponse. J'ai donné ceux que j'avais confectionnés au boulanger de mon quartier. Je ne sais même pas s'il vend encore. Il n'y a personne dans le quartier, les squares sont vides. Que la vingtaine de garçons qui traînent ensemble et tristement dehors, pour des raisons qui leur appartiennent. Je suis inscrite sur une liste de la Croix-Rouge comme bénévole, sur le site gouvernemental de réserve civique, sur le site pour aider les agriculteurs. Tous les jours je continue à regarder les annonces sur Pôle Emploi. Il n'y a presque rien, à part les intérims. Je suis tiraillée entre la peur de sortir, la peur de reprendre un travail et de ne pas me sentir bien, la peur de tomber malade, la peur de ne pas trouver de travail après.
Et sinon, je suis seule, je ne peux pas profiter du printemps qui est ma saison préférée, puisque les parcs et les beaux espaces sont fermés. Je suis seule, comme d'habitude. Je tourne en rond, et je n'ai même pas quelqu'un avec qui me disputer, auprès de qui me consoler. J'ai fait des réserves, je me fais à manger. Il y a des jours où je ne m'informe pas, parce que je ressens une forme de lassitude envers YouTube et Médiapart. Je regarde des séries ou des documentaires sur ARTE. Je tiens mon appartement propre, mais pas plus qu'avant. J'ai planté des plantes sur mon balcon, j'ai fait quelques pots de sauge à offrir à des personnes que j'aime. Mais je n'ai presque plus de terre et plus de pots où planter. Je téléphone un peu plus souvent, notamment avec ma famille, mais... je n'ai pas grand-chose à raconter. Et eux non plus. Une amie, célibataire comme moi, me disais qu'elle en avait marre des gens qui ont des enfants et qui se plaignent, car après tout, ils ont choisi d'en avoir. Elle voit ça sur les sites sociaux, ceux que j'ai déserté. Et je comprends que ça ne doit pas être facile de vivre enfermé en famille. Mais qui se soucie de celles et ceux qui sont inutiles, ne servent à rien, sont seul.e.s et n'ont rien à dire d'autre que leur peur et leur désespoir? Ça fait longtemps que je sais que la solitude n'intéresse personne. Parce que c'est surtout du vide, qu'on essaie parfois de remplir comme on peut.