François Bayrou est à Matignon, mais il gouverne comme un directeur d’école qui aurait oublié que la classe s’est vidée. Il parle encore, comme si sa voix portait. Il brandit des mots usés comme "responsabilité", "vérité", "avenir des jeunes", avec cette lenteur professorale qui n’a d’effet que sur les micros des chaînes d’info en continu. La France, elle, ne l’écoute plus. Elle est ailleurs, prise entre colère sèche et fatigue glacée.
La dette, dit-il, est un fléau générationnel. Et nous voilà pris en otage par une rhétorique de parent inquiet, dans un pays qui crève d’être gouverné comme une maison en déséquilibre. "Aucune famille ne ferait ça", balance-t-il. Mais quelle famille vivrait en demandant à ses enfants de renoncer à deux jours de repos, pendant que les aînés gardent leurs niches fiscales et leurs assurances-vie ? Quelle famille, en vérité, accepterait de maintenir un vieux patriarche en bout de table, à ressasser les mêmes sermons pendant que la maison brûle ?
Le management par la dette
Bayrou n’a pas de politique. Il a un PowerPoint. 44 milliards d’euros d’économies, comme une ligne budgétaire tracée sur le dos des vivants. Pas d’audace fiscale, pas de remise en cause des privilèges. Juste des coups de rabot. Des suppressions de jours fériés, comme si l’on pouvait résoudre une crise d’imaginaire politique avec des congés payés en moins.
Le cynisme suinte de chaque déclaration : la jeunesse serait la grande sacrifiée ? Mais par qui ? Par ce même pouvoir qui répète, avec des trémolos de bon père de famille, qu’il faut sauver la France d’elle-même ? Ce n’est pas un sursaut républicain que Bayrou tente. C’est un hold-up affectif. Il parle aux jeunes, pour que les vieux applaudissent.
L’impasse comme programme
Ce gouvernement, s’il en est encore un, ne propose plus rien. Il agite la peur pour combler le vide. Le chaos, dit Bayrou, serait l’alternative à son maintien. Mais le désordre, c’est déjà lui. Ce chaos rampant, froid, technocratique, qui infantilise les citoyens, distribue des leçons comme des coups de règle, et vide le politique de toute densité.
Il convoque les partis à Matignon, comme s’il était encore temps de négocier. Mais tout le monde sait que ces réunions sont des enterrements de première classe. Les Insoumis refusent de venir. Les Écologistes aussi. Le PS joue son tour de chauffe pour Matignon. Et pendant ce temps, Bayrou continue de plaider pour une politique d’efforts qui ne touche jamais les forts.
Les masques sont tombés
Ce qu’on voit, à travers cette crise, c’est la nudité du pouvoir. Non pas un scandale tonitruant, non. Un effondrement lent, glacial, comme une pièce de théâtre qui se joue sans public. Les mots tombent, ne résonnent plus. Il n’y a plus de pacte, plus d’écoute, plus même de jeu.
Et pourtant, il persiste. Il veut la confiance. La confiance de qui ? De députés en quête de deals pour la suite ? De partis en sursis ? Des Français, qui n’ont pas voté pour lui mais pour d’autres, déjà balayés ? Bayrou sait que le pouvoir qu’il incarne est sans socle. Il tient encore parce que le système n’a pas de clause de rupture. Mais il est vide.
Un vieux monde en faillite
Les pauvres, eux, comptent les centimes, les jours fériés, les heures de sommeil. Ils n’ont plus de patience pour les sermons. Ils n'ont plus de rêve pour ces élites qui vivent dans la rhétorique du sacrifice partagé pendant qu’ils planquent les profits dans les niches. Le peuple a compris. Il sait que ce n’est pas une dette publique qui le tue. C’est la dette démocratique.
Bayrou n’a pas été renversé. Il est en train de s’effondrer, tout seul. Lentement. Comme un vieux bâtiment qu’on n’ose pas dynamiter, de peur d’avouer qu’il n’a plus aucun usage.
Ce qui vient
Ce moment politique n’appelle pas une alternance molle, un casting renouvelé, ou une réforme des règles du jeu. Il appelle une rupture de style, de méthode, de regard. Une politique qui parte des gens, pas des marchés. Une démocratie qui tremble, qui doute, mais qui écoute, qui change. Une politique qui assume enfin que les boomers n’ont pas le monopole de la raison ni de la mémoire.
Ce qui se joue, ce n’est pas le sort d’un homme. C’est celui d’un système à bout de souffle, qui n’a plus que la dette comme récit et la peur comme gouvernail. Le 10 septembre, on bloque peut-être. Mais ce qui est déjà bloqué, c’est cette vieille mécanique du pouvoir vertical. Ce qui est en train de se débloquer, c’est une parole, une rage, un désir de rupture.
Le dernier mot n’appartient plus à Bayrou. Il appartient à celles et ceux qui, en silence, ont cessé d’attendre qu’on leur parle.