avalverde (avatar)

avalverde

Rédacteur pour différents médias, chef d'entreprise

Abonné·e de Mediapart

17 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 septembre 2025

avalverde (avatar)

avalverde

Rédacteur pour différents médias, chef d'entreprise

Abonné·e de Mediapart

Caroline, directrice suicidée, victime d’un système qu’elle servait

Caroline Grandjean s’est suicidée le jour de la rentrée. Harcelée par sa hiérarchie, ignorée par l’Éducation nationale, elle est morte dans le silence institutionnel. Ce n’est pas un drame isolé, c’est un symptôme. Et tant que les responsables seront couverts, d’autres suivront.

avalverde (avatar)

avalverde

Rédacteur pour différents médias, chef d'entreprise

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce matin, j’ai lu l’histoire de Caroline Grandjean dans le journal. Une directrice d’école dans le Cantal, retrouvée morte le jour de la rentrée. Elle s’est suicidée.

Il m’a fallu plusieurs minutes avant de pouvoir continuer à lire. Et maintenant, il me faut écrire. Parce que ce n’est pas un fait divers. C’est un fait politique.

Je viens d’une famille d’enseignants. Mon père, mon grand-père, ma grand-mère étaient profs ou instituteurs. J’ai grandi en entendant parler de classes surchargées, de réformes absurdes, d’enfants cabossés, de collègues qui craquent, de hiérarchies qui couvrent.

Ce que je lis aujourd’hui dans les colonnes des journaux — harcèlement, placardisation, mépris institutionnel — je l’ai déjà entendu, vécu de loin.

Sauf que cette fois, une femme est morte. Et tout le monde s’apprête à passer à autre chose.

Je refuse.

Une machine à broyer

Le suicide de Caroline Grandjean n’est pas une "tragédie personnelle", comme le disent les communiqués bien huilés. C’est un produit systémique. Une sortie de route rendue inévitable par une institution devenue toxique, verticale, déshumanisée. Une machine à broyer qui transforme des vocations en souffrance, des pédagogues en variables d’ajustement, des humains en chiffres de dotation.

Elle avait alerté.
Elle avait écrit à la hiérarchie.
Elle avait nommé les responsables.

Et que s’est-il passé ?
Silence. Inaction. Pire : des sanctions. Une procédure disciplinaire. Des pressions. Du mépris.

Elle n’est pas morte de solitude. Elle est morte d’abandon.

La hiérarchie qui harcèle

Combien faudra-t-il encore de lettres d’adieu envoyées à la DASEN, au rectorat, à la direction d’académie ?
Combien de témoignages ignorés, de signalements étouffés, de violences psychologiques camouflées derrière des sigles abscons ?
Caroline Grandjean avait été ciblée par une IEN (inspectrice de l'Éducation nationale) visiblement intouchable. Une figure de pouvoir, dont les méthodes semblent connues de longue date. Mais comme souvent dans l’administration, l’impunité est la règle dès lors qu’on est dans la bonne case. Inspectrice, c’est au-dessus. Directrice, c’est en bas. C’est remplaçable.

Cette hiérarchie-là ne protège pas. Elle déserte. Elle couvre. Elle punit.

Et quand un drame survient, elle convoque les psys.

Les “valeurs de la République”, vraiment ?

On nous parle sans cesse des fameuses “valeurs de la République” que l’école est censée incarner. On oublie de dire que ces valeurs sont piétinées chaque jour par ceux qui dirigent l’institution. Où est la fraternité, quand on isole une collègue ? Où est la justice, quand une dénonciation de harcèlement aboutit à une sanction contre la victime ? Où est l’égalité, quand les enseignants sont considérés comme des pions corvéables ?

Caroline Grandjean n’a pas été écoutée.
Elle a été suspectée. Punie. Éteinte.

Et ce ne sont pas des mots en l’air : la responsabilité de l’État est écrasante. La justice devra s’en saisir. Mais au-delà, c’est notre société qui devrait avoir honte de laisser crever ses enseignants les uns après les autres, en murmurant que c’est “triste”.

Bayrou, le sommet de l’indécence

Cerise sur le cercueil : les mots de François Bayrou, président du Conseil supérieur des programmes.
Ceux qui défendent l’école devraient peser leurs mots. Mais lui, non. Il trouve “regrettable” que des syndicats aient utilisé le drame à des fins politiques. Il déplore les polémiques. Il voudrait qu’on pleure en silence.

Mais taisez-vous, M. Bayrou. Taisez-vous, vous qui n’avez jamais connu un lundi matin en maternelle avec 29 élèves et une ATSEM absente. Vous qui n’avez jamais dû remplir des tableaux d’auto-évaluation pendant vos vacances. Vous qui n’avez jamais pleuré en salle des maîtres.

Ce n’est pas une polémique. C’est une colère.
Et elle est légitime.

Ne pas laisser faire

Ce modeste billet est écrit pour ne pas oublier. Pour ne pas normaliser. Pour ne pas laisser les mots des ministres recouvrir la violence crue de ce qui s’est passé : une directrice a demandé de l’aide. Elle a tendu la main. Et on l’a laissée mourir.

Combien de temps allons-nous encore tolérer ce silence organisé ?
Combien de collègues, de personnels, de vies fracassées faut-il pour qu’un électrochoc ait lieu ?

Caroline Grandjean est morte, et rien ne la ramènera.
Mais notre devoir, à nous, c’est de refuser que sa mort soit utile à personne.
Pas aux carriéristes de la hiérarchie.
Pas aux communicants du ministère.
Pas aux gestionnaires de l’oubli.

Ne regardons plus ailleurs.
N’attendons pas la prochaine victime pour ouvrir les yeux.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.