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Billet de blog 13 août 2025

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L’art pour tous ou l’art pour quelques-uns ?

Derrière les vitrines dorées de l’Art déco, une réalité bien moins reluisante : celle d’un pays où l’art devient un privilège de classe. Pendant que l’élite culturelle parade, les quartiers populaires voient disparaître jusqu’aux médiateurs. On parle de « démocratisation », mais c’est l’exclusion qu’on organise.

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L’art pour tous ou l’art pour quelques-uns ?

À la rentrée, le Musée des Arts décoratifs ouvrira « 1925-2025. Cent ans d’Art déco ».
Une exposition somptueuse : l’Orient Express en majesté, les laques de Dunand, les robes de Lanvin, les bijoux Cartier. Des pièces à couper le souffle. Du rêve. Du patrimoine. Du raffinement à la française.

Mais derrière la vitrine, une autre réalité se dessine. Celle d’un pays qui, sous couvert de démocratisation culturelle, abandonne méthodiquement les classes populaires. Là où l'art devrait relier, il isole. Là où il devrait questionner, il conforte les dominants.

La vitrine et l’arrière-boutique

Ce genre d’expo, on en raffole. Mais soyons lucides : le prix du billet, les horaires, l’emplacement, tout est calibré pour un public déjà conquis.
On parle de transmission, mais sans budget pour emmener les élèves de zones rurales, les familles qui comptent chaque euro. Les subventions baissent, les médiations disparaissent, les musées rognent sur tout sauf sur les cocktails de vernissage.

Pendant ce temps, l’État taille dans les budgets culturels : 64 millions d’euros en moins pour la « démocratisation » culturelle, comme si le mot lui-même était devenu suspect. On préfère désormais « rationaliser », « optimiser », « cibler les publics ». Traduction : renforcer les barrières sociales en prétendant les effacer.

L’art comme privilège, pas comme droit

Aujourd’hui, ce n’est pas le contenu des expositions qui divise, c’est leur accessibilité. Ce n’est pas un problème de goût, mais de conditions matérielles.
Les expositions majeures sont concentrées dans les centres bourgeois, les prix grimpent, le transport coûte cher, et le temps libre devient un luxe. Pendant ce temps, on ferme des lieux culturels de proximité, on réduit les horaires de bibliothèque, on transforme les centres sociaux en salles d’attente sans âme.

Et ce n’est pas un hasard : notre politique culturelle est toujours fondée sur cette vieille idée verticale — apporter la culture au peuple — sans jamais penser que la culture puisse émaner du peuple. On célèbre l’Art déco, mais qui finance les arts populaires, les ateliers de quartier, les formes collectives hors marché ?

Paris n’est plus la capitale du monde… mais elle croit encore l’être

Le marché français de la peinture a connu son heure de gloire. Il représentait encore 80 % du marché mondial en 1950.
Aujourd’hui, il pèse à peine 7 %, loin derrière les États-Unis ou la Chine. Et pourtant, on continue d’organiser les grandes messes culturelles comme si Paris restait le centre du monde artistique, pendant que les galeries de province ferment les unes après les autres.
Ce recul n’est pas seulement une affaire de finance ou de géopolitique : il traduit un renoncement collectif à défendre une vision culturelle fondée sur l’accès, la diversité, la justice sociale.

L’hypocrisie des élites culturelles

Les ministres enchaînent les discours sur « l’accès pour tous », pendant qu’ils déroulent le tapis rouge aux sponsors privés.
Les fondations de luxe dictent la programmation, les grandes maisons font la pluie et le beau temps. Et les institutions publiques, complices, se taisent.
On prétend que « la culture n’a pas de prix », mais elle en a un — et il est chaque jour plus élevé. Et si vous n’avez pas les moyens, on vous offrira une journée gratuite par an. Histoire de cocher la case inclusion.

Changer de boussole

Oui, cette exposition Art déco est magnifique. Oui, elle raconte un siècle d’élégance et de création.
Mais non, elle ne suffit pas à faire de la France une nation culturelle.
Parce que l’art, ce n’est pas seulement un patrimoine figé, c’est un processus vivant. Un outil d’émancipation, pas une vitrine pour les élites.

Ce qu’il faut, ce n’est pas plus de grandes expositions dans les beaux quartiers, c’est une révolution culturelle du quotidien.
Des médiateurs dans les écoles. Des transports gratuits pour aller au musée. Des résidences d’artistes dans les zones rurales. Des ateliers populaires, hors marché. Des lieux vivants, pas des mausolées.

Sinon, l’art restera un privilège. Et les expositions comme celle-ci, aussi sublimes soient-elles, ne feront que poser une fine dorure sur une exclusion bien française.

Sources : Artprice, Ministère de la Culture, The Art Avenue, Madparis

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