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Billet de blog 17 juillet 2025

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Le greenwashing du bien-être : quand nos loisirs polluent plus qu’ils ne réparent

Derrière l’image apaisante du bien-être se cache une réalité bien moins vertueuse. Yoga, fitness, beauté « naturelle », alimentation bio… Sous couvert d’écologie, ces industries alimentent pollution, greenwashing et exploitation sociale. Un secteur qui pollue plus qu’il ne répare.

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Le secteur du bien-être – du yoga à la cosmétique « naturelle » en passant par le bio et le végan – se pare volontiers de vert. Il nous promet une harmonie avec la nature, une consommation éthique, un mode de vie sain pour soi et pour la planète. Pourtant, derrière les slogans et postures zen, la réalité est bien moins reluisante. Nos loisirs et produits « bien-être » cachent souvent une empreinte écologique et sociale lourde. Au nom du marketing, ils greenwashent leurs pratiques pour nous faire croire qu’en achetant tel tapis de yoga ou telle crème bio, on « répare » le monde – alors qu’en vérité, on continue d’alimenter pollution et injustices. Tour d’horizon d’un bien-être en trompe-l’œil.

Yoga & fitness : posture zen, coulisses toxiques

Le yoga incarne la quête d’équilibre naturel… mais son équipement, lui, est tout sauf naturel. Prenons le tapis de yoga : cet accessoire emblématique est bien souvent fabriqué en PVC, un plastique hautement polluant du berceau à la tombe. Près de 48 % des tapis vendus dans le monde seraient en PVC, un matériau qualifié de « plus toxique, on ne fait pas » (dioxines, phtalates, métaux lourds, etc.), et quasiment non biodégradable. Pire, certaines marques surfent sur la vague écolo en rebaptisant le PVC “PER” (Polymer Environmental Resin) pour le faire passer pour un “caoutchouc écolo” – une tromperie avérée selon une étude de 2019 : sous l’étiquette PER soi-disant « éco-friendly », on a retrouvé du vinyle PVC classique camouflé par du marketing vert. « Il n’y a pas un yogi capable de se tordre assez pour justifier qu’un produit PVC soit écologique. C’est toxique de la production à l’élimination », ironisait un expert de Greenpeace face à cette absurdité. La pratique du lotus sur un tapis en plastique douteux illustre bien le grand écart entre le discours et la réalité.

Le textile sportif n’est pas plus vertueux. La majorité des vêtements de sport (leggings, tops de yoga, tenues de running) sont tissés de polyester, nylon et autres fibres synthétiques issues du pétrole. Ces matières relâchent des microplastiques à chaque lavage et même à l’usage, qui terminent dans les océans et la chaîne alimentaire. On estime que 500 000 tonnes de microfibres plastiques sont déversées chaque année dans les eaux du globe rien qu’à cause de nos vêtements. L’industrie textile est d’ailleurs la deuxième source de pollution microplastique mondiale, juste après l’usure des pneus et routes. Ainsi, le sportif écolo en apparence, avec sa garde-robe « technique » dernier cri, contribue sans le savoir à un océan de plastique. Ironiquement, celui qui cherche à se rapprocher de la nature en jogging pourrait bien empoisonner la faune marine à chaque passage en machine.

Il y a aussi la folie des retreats exotiques. Quoi de plus « pur » en théorie qu’une retraite de yoga à Bali ou un stage de méditation en Inde ? Sauf que pour s’y rendre, on s’envole à l’autre bout du monde en brûlant du kérosène par tonnes. Un aller-retour Paris–Bali représente autour de 5 tonnes de CO₂ émises – soit plus du double de l’empreinte carbone annuelle qu’il faudrait viser par personne pour le climat. Le tourisme « bien-être » alourdit la facture climatique : globalement, le tourisme génère environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (l’avion étant de loin le principal coupable). Un comble pour des séjours censés nous reconnecter à la Terre-mère… Ce paradoxe carbone révèle l’angle mort d’un bien-être individualiste : on cherche à se ressourcer, tout en épuisant les ressources de la planète par nos voyages lointains.

Last but not least, le scandale social se cache aussi derrière le tapis de yoga. Le business du fitness et du zen est souvent complice d’une exploitation humaine bien peu spirituelle. Un exemple saisissant : Lululemon, marque canadienne chouchoute des adeptes de yoga aisés, vend des leggings 100 € pièce en prônant la « positivité » et la zen-attitude. On apprenait en 2019 que ses fournisseurs au Bangladesh faisaient travailler des ouvrières dans des conditions déplorables : payées 85 € par mois (même pas le prix d’un legging) et régulièrement frappées et insultées par les chefs. Le cynisme atteint son pic quand on sait que Lululemon lançait au même moment un programme de bien-être mental pour ses employés occidentaux – pendant que des jeunes femmes à l’usine se faisaient traiter de « salope » pour oser quitter le travail malade. Derrière l’image lisse et chic du yoga globalisé se cache une réalité de sueur et de larmes dans le Sud. Un karma bien lourd pour une simple paire de collants « éthiques ».

Cosmétiques « naturels » : du vert en tube, pas dans la formule

Huiles essentielles, crèmes bio, shampooings « sans parabène »… Le secteur de la beauté naturelle explose, mais là encore gare aux illusions. Beaucoup de grandes marques surfent sur l’envie de produits sains en repeignant leurs packagings en vert et en y collant des feuilles, sans changer grand-chose à leurs compositions. Un pot de crème arborera fièrement « à l’aloe vera bio » sur l’étiquette, alors qu’il ne contient qu’une goutte d’aloe perdue dans une soupe de silicones et de conservateurs synthétiques. Ce tour de passe-passe est courant : on met en avant un ingrédient végétal vedette, et on cache la cohorte de composés polluants qui l’accompagnent. Par exemple, la marque Organix (OGX) s’est fait épingler car, malgré son nom suggérant le « bio » et son slogan « la beauté pure et simple », elle « cache une cohorte d’ingrédients polluants et/ou nocifs » dans ses flacons. Un cas d’école de greenwashing cosmétique : rien de très naturel hormis le marketing.

Le consommateur soucieux de bien-être se retrouve ainsi dupé par des promesses creuses. Le terme « naturel » n’étant pas réglementé strictement, il est utilisé à toutes les sauces. Résultat, on voit fleurir dans les supermarchés des rayons beauté qui paraissent écolos – laits corporel pur, lignes bio par-ci, gammes green par-là – mais où, au final, seule la couleur de l’emballage a changé. « Un contenant vert ne garantit pas que le contenu l’est aussi ! », rappelle malicieusement une enquête de l’UFC Que Choisir. Certaines enseignes jouent carrément sur la confusion : la vieille marque Bioderma, par exemple, profite de son préfixe « bio » pour repeindre ses pubs en vert alors que ce n’est pas du bio du tout. Même stratégie chez d’autres : des gammes Nature chez Lovéa qui mêlent un peu d’ingrédients naturels à des molécules synthétiques pas très nettes, ou des marques à l’image « verte » (Lush, The Body Shop, Yves Rocher…) qui continuent d’utiliser des substances problématiques en coulisses. Ce flou artistique trompe le public et pénalise les vrais petits acteurs engagés, qui eux investissent dans des compositions clean et des certifications écologiques strictes.

Au-delà de la formule, il y a aussi la question du contenant. Paradoxe : votre shampoing vegan sans sulfate est sans doute emballé… dans du plastique à usage unique. Pots, flacons, tubes – la filière bien-être génère des tonnes de déchets d’emballage, souvent non recyclables, surtout avec la multiplication des échantillons et mini-doses « nomades ». Même les produits bio en supermarché sont souvent sur-emballés : barquette, cellophane, étiquettes, etc. Un tour dans le rayon hygiène d’un magasin prétendument vert, et on se croirait « entré par mégarde dans un magasin de jardinage » tant tout est vert en apparence… et pourtant on croule sous le plastique. En théorie, les labels bio prônent le moindre emballage possible, mais en pratique le plastique reste omniprésent « pour des raisons d’hygiène et de marketing ». On en arrive à l’absurde où acheter un savon artisanal sans emballage demande parfois plus d’effort que d’acheter son gel douche bio enveloppé de cellophane. Le suremballage plastique du secteur bien-être illustre à quel point le green se limite souvent à la façade. On vend au consommateur un idéal naturel, tout en perpétuant la bonne vieille logique du jetable polluant.

Alimentation bio et vegan : contradictions au menu

Le bien-être passe aussi par l’assiette : manger bio, vegan, sans gluten, consommer des « super-aliments » exotiques aux mille vertus… Ces tendances lourdes sont présentées comme meilleures pour la santé et pour la planète. Il est vrai que réduire la viande ou choisir des légumes sans pesticides peut avoir un impact positif. Cependant, là encore, l’industriel et le marketing ont vite fait de détourner ces pratiques à leur profit, quitte à en occulter les effets pervers écologiques et sociaux.

Le succès de certains aliments healthy se révèle être un double tranchant. Prenez le quinoa, petite graine andine riche en protéines devenue chouchoute des régimes vegan en Occident. Sa popularité a explosé, enrichissant au passage de nombreux producteurs en Bolivie et au Pérou… mais ce boom a aussi provoqué une envolée des prix telle que la graine sacrée est devenue quasi inabordable pour les populations locales qui la cultivaient traditionnellement. Entre 2006 et 2011, le prix du quinoa a été multiplié par trois, et la consommation en Bolivie a chuté de 34 % – privant les Boliviens de leur aliment de base désormais trop cher. Plus grave, dans les régions productrices, la malnutrition infantile chronique a même augmenté, alors qu’elle reculait ailleurs dans le pays. Le quinoa bio estampillé « commerce équitable » que nous achetons la conscience tranquille a donc un revers amer : il nourrit mieux les marchés mondiaux que les enfants locaux. De surcroît, la monoculture intensive pour l’export a dégradé les sols fragiles de l’Altiplano (érosion, perte de fertilité) et attise des conflits fonciers entre communautés autrefois paisibles. Voilà comment un aliment présenté comme écologique et éthique peut, sous la pression de la demande globale, engendrer des dégâts écologiques et des injustices sociales là où il pousse.

Autre icône des régimes bien-être, l’avocat. Tartiné sur du pain complet ou mixé en smoothie vert, il symbolise la healthy food par excellence. Mais l’avocat « vert » n’a que la couleur : son bilan écologique est désastreux. Sa culture intensive au Mexique, premier producteur mondial, provoque une déforestation massive – environ 25 000 hectares de forêts rasés par an rien que dans l’État du Michoacán pour planter des avocatiers. Cette région, surnommée ironiquement la « ceinture d’or vert », voit disparaître ses pins et sa biodiversité (des espèces menacées comme le jaguar en pâtissent) au profit de monocultures d’avocats exportés vers les États-Unis et l’Europe. En prime, l’avocat est une plante extrêmement gourmande en eau : environ 1 000 litres d’eau nécessaires pour un kilo d’avocats. Or ces plantations se situent souvent dans des zones déjà frappées par la sécheresse. Au Mexique, l’irrigation massive des avocatiers assèche les réserves et prive les habitants d’un accès équitable à l’eau, au point que certaines communautés, excédées, ont fini par interdire les cultures d’avocat chez elles pour protéger leur environnement et leur sécurité face aux cartels qui contrôlent ce commerce. On est loin de l’image d’Épinal du petit fruit sain. Derrière notre toast à l’avocat du brunch dominical se cachent des forêts abattues, des rivières asséchées et même des violences liées au contrôle de ce juteux marché (« or vert » qui attise corruption et crime organisé dans certaines régions).

Même les produits bio locaux ne sont pas exempts de reproches lorsqu’ils sont récupérés par la grande distribution. Le label bio garantit l’absence de pesticides de synthèse, certes, mais il ne garantit ni un emballage durable, ni un transport propre, ni une rémunération équitable. Il n’est pas rare de trouver en supermarché des légumes bio suremballés de plastique, simplement pour les différencier des conventionnels – un non-sens dénoncé jusque par les associations de consommateurs. De grandes firmes agroalimentaires proposent désormais des gammes « naturelles » ou vegan, tout en poursuivant par ailleurs des pratiques intensives nuisibles. Le greenwashing alimentaire existe : par exemple, la marque Innocent (censée être un modèle d’entreprise durable avec ses smoothies naturels) s’est fait taper sur les doigts lorsque l’on a découvert que son circuit de production réel contredisait ses jolis engagements environnementaux affichés. En l’occurrence, elle vantait des fruits transportés uniquement par bateau ou train, alors qu’en réalité ses jus faisaient des allers-retours en camion entre usines européennes, augmentant leur empreinte carbone réell. Ce genre de décalage entre le storytelling vert et la logistique réelle est fréquent. La multinationale qui vend du sans gluten d’une main peut exploiter des ouvriers agricoles de l’autre, ou emballer du riz complet bio dans trois couches de plastique. Tant que le profit prime, le bio peut très bien rimer avec bravo la pollution.

Sortir de l’illusion « bien-être » pour un vrai mieux-être

Au final, ce panorama du greenwashing du bien-être révèle une contradiction systémique. Sous le vernis d’« éco-responsabilité » et de « développement personnel », beaucoup de nos loisirs et consommables bien-être restent prisonniers des logiques industrielles polluantes et d’une économie mondiale inégalitaire. Le discours dominant nous incite à acheter notre salut écologique individuel – tel tapis de yoga « recyclable », tel sérum naturel miracle, tel en-cas vegan importé – alors que ces mêmes produits entretiennent les problèmes qu’ils prétendent résoudre. C’est le paradoxe du colibri récupéré par le capitalisme : on nous suggère de sauver la planète en consommant autrement, mais on nous fait surtout consommer tout court. Or, consommer plus (même des produits estampillés green) pèse forcément sur la planète, et bien souvent sur les travailleurs précaires qui, à l’autre bout du monde, produisent notre bien-être à bas coût.

Il ne s’agit pas de jeter le discrédit sur le yoga, les cosmétiques bio ou le véganisme en eux-mêmes – ces pratiques peuvent s’inscrire dans une démarche sincère de respect du vivant. La cible de la critique, ce sont les récupérations cyniques par le marketing et les multinationales, qui transforment de belles idées en arguments commerciaux tout en poursuivant le business as usual. Tant que le bien-être sera un marché juteux, il y aura des yogi en leggings toxiques, des smoothies « naturels » fabriqués à la chaîne, et des labels verts collés sur du faux. La solution passe par une vigilance accrue des consommateurs, mais surtout par une remise en question politique des modes de production. Le mieux-être ne devrait pas se mesurer au nombre de produits « healthy » qu’on achète, mais à l’amélioration réelle des conditions de vie sur la planète. Et cela implique de dégager les logiques de rentabilité à court terme au profit d’une cohérence écologique et sociale à long terme.

Méditons-y la prochaine fois qu’on déroulera notre tapis de yoga : ce n’est pas en consommant du bien-être labellisé qu’on sauvera le monde, mais en démasquant et en changeant en profondeur le système qui récupère tout, même nos quêtes de sens, pour en faire du profit. Un adage yogi dit : « la posture la plus difficile est de mettre en accord ses valeurs et ses actes ». Appliquons-le collectivement à notre société de consommation. Le vrai yoga durable commencera quand l’industrie du bien-être cessera d’être un leurre vert.

Sources : Do Yoga With me; Ecocenter, Mahola Yoga, Lapresse.ca, Sante Magazine, Que Choisir, We Demain

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