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Billet de blog 19 août 2025

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Mort de Jean Pormanove : le crime d’une société qui laisse faire

La mort de Jean Pormanove n’est pas un fait divers : c’est le symptôme d’une société qui tolère, finance et applaudit la cruauté. Un business de la violence s’est installé sous nos yeux, avec la complicité des plateformes, l’inaction des pouvoirs publics et la passivité d’un public devenu voyeur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne comptais écrire qu’un commentaire sous l’article de Mathilde Goanec et Youmni Kezzouf. Et puis, à force de lire les réactions, de replonger dans les faits, j’ai senti monter une colère que je n’ai plus envie de contenir. Parce qu’il ne s’agit pas ici d’un simple fait divers morbide, mais bien d’un révélateur. Un miroir — sale, obscène — tendu à notre époque. Et dans ce miroir, c’est nous que l’on voit.

Illustration 1

Une mort programmée, pas un accident

Raphaël Graven, connu sous le nom de Jean Pormanove, n’est pas mort en direct. Il est mort à petit feu, sous nos yeux, dans un système où l’humiliation rapporte, où la violence se consomme en livestream, où la douleur devient un business model. Ce n’est pas un drame isolé. C’est un engrenage.

Il y a eu des alertes, des enquêtes, des témoignages. Mediapart lui-même avait documenté cette chaîne abjecte, ses violences, ses provocations. L’affaire était connue, mais rien n’a été fait. Pire : la chaîne a repris, le show a continué, les vues ont grimpé. Ce n’est pas un échec de vigilance. C’est un abandon.

Une plateforme complice, des spectateurs impliqués

Kick, la plateforme qui hébergeait ces horreurs, ne se contente pas d’ignorer. Elle valorise. Elle attire précisément ce genre de contenu sous couvert de « liberté » ou de « modération minimale ». On sait très bien ce que cela signifie : du sang, des cris, du trash, du cul — tant que ça clique, tant que ça paie.

Et puis il y a les spectateurs. Ceux qui regardaient. Ceux qui payaient pour chaque claque. Ceux qui commentaient, ricanant ou encourageant. Ne les déresponsabilisons pas sous prétexte qu’ils « ne savaient pas ». Ils savaient. Ils ont vu. Ils ont payé pour voir plus.

On ne peut plus dire que c’est « le numérique » qui dérape. C’est nous. Une partie d’entre nous. Une société qui, saturée de contenus, cherche toujours plus de sensations, quitte à enjamber la dignité humaine.

Responsables mais jamais coupables : où est l’État ?

Que fait la justice ? Où sont les pouvoirs publics ? Peut-on laisser des plateformes héberger des snuff streams, en pleine France, sans que personne ne réagisse autrement qu’après la mort d’un homme ? Et encore — il faudra voir combien de temps durera l’indignation.

Les responsables doivent être identifiés, poursuivis, condamnés. Pas seulement les bourreaux visibles, mais aussi ceux qui ont organisé, diffusé, monétisé, rendu cela possible. Et si la loi ne suffit pas, alors qu’elle change. Il est encore temps.

Ce qu’on pourrait faire — vraiment

Parce qu’il ne suffit pas de s’indigner. Alors voilà ce que, au minimum, il faudrait :

  • Une régulation spécifique des plateformes de livestream, avec une responsabilité pénale en cas de diffusion de violences réelles.
  • Une commission parlementaire sur les dérives du streaming extrême, avec sanctions à la clé pour les entreprises concernées.
  • Une responsabilité élargie aux utilisateurs financeurs, dès lors que des dons sont associés à des actes de violence.
  • Une prise en charge systématique des victimes de violences numériques, y compris quand elles sont volontaires ou vulnérables, dans des contextes d’exploitation.
  • Une éducation aux usages numériques, certes, mais aussi une éducation de ceux qui conçoivent, financent et protègent ces plateformes. Parce qu’on ne pourra pas éternellement tout mettre sur le dos de « l’internaute mal informé ».

Jusqu’où faudra-t-il aller ?

Il y a quelques années, Black Mirror semblait exagérer. Aujourd’hui, nous y sommes. Et peut-être même au-delà. Ce n’est plus de la fiction, c’est une réalité filmée à 60 images par seconde.

Jean Pormanove est mort. Et non, ce n’est pas juste un jeune un peu paumé qui a mal tourné. C’est une victime. Une victime d’un système qui, à force de « tolérer », de « relativiser », de « ne pas censurer », finit par encourager. Et par tuer.

Alors, oui, j’ai parlé de courage dans mon commentaire. Pas celui de s’indigner. Celui d’agir. De réguler. D’interdire. D’affronter. Parce que sans ça, la prochaine fois — et il y aura une prochaine fois — ce ne sera plus seulement une vie. Ce sera une société qui, peu à peu, cesse d’en être une.

Ne regardons plus ailleurs. N’attendons pas la prochaine victime pour ouvrir les yeux. Ce soir je pense à sa famille avec tristesse. Et je pense à ces gamins qui ont rigolé devant ce spectacle et j'ai peur.

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