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Billet de blog 20 juillet 2025

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Épuisés mais soupçonnés : la France méprise ceux qui tiennent encore debout

Sous prétexte d’austérité, le pouvoir continue de s’en prendre à ceux qui travaillent, peinent, soignent, élèvent, éduquent. Derrière le discours sur l’effort collectif, c’est toujours la même obsession : faire payer les plus vulnérables, et maintenir la suspicion sur ceux qui tiennent le pays à bout de bras.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis des décennies, le refrain reste le même. Dès qu’il s’agit de serrer la vis budgétaire, ce sont toujours les mêmes qu’on convoque à la barre : les travailleuses, les travailleurs, les retraités, les précaires. Jamais les actionnaires, jamais les grandes fortunes, jamais les bénéficiaires du système. La « rigueur » devient alors le prétexte commode pour ponctionner davantage celles et ceux qui n’ont déjà plus grand-chose à donner. Le plan annoncé par François Bayrou ne déroge pas à la règle. Il enfonce un peu plus le clou dans une logique d’austérité qui frappe d’abord et avant tout les classes populaires, sous couvert de lutte contre la dette.

La suppression de deux jours fériés, le gel des prestations sociales, la baisse des dépenses publiques, les économies sur la santé ou la fonction publique : chaque mesure annoncée est un coup porté à ceux dont la vie est déjà marquée par la précarité, la fatigue, l’incertitude. Ce n’est pas une politique budgétaire, c’est une punition sociale.

Le mythe du « travailler plus »

Travailler plus. Tel est le mantra. Peu importe que la France soit l’un des pays d’Europe où les salariés travaillent déjà le plus tard dans la vie. Peu importe que le taux d’emploi n’ait jamais été aussi haut, que l’intensité du travail explose, que les burn-out soient devenus un fléau sanitaire, que les soignantes s’épuisent, que les enseignants craquent. Le gouvernement ressasse l’antienne des heures à rallonge comme si cela allait magiquement régler le problème de la dette. Deux jours fériés en moins pour « produire plus », vraiment ? Ce n’est pas de croissance dont il est question, mais d’une obsession idéologique : user jusqu’à l’os la force de travail pour masquer l’échec d’une politique fiscale qui refuse de s’en prendre aux vrais profiteurs.

À chaque réforme, on prétend défendre « l’intérêt général », mais l’intérêt général ne saurait consister à pressurer les mêmes, inlassablement. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas la résorption du déficit. C’est une vision du monde dans laquelle les droits sociaux sont vus comme des privilèges à rogner, les temps de repos comme des aberrations à supprimer, et les protections collectives comme des entraves au « plein rendement ».

L’austérité pour les pauvres, la prospérité pour les riches

La grande hypocrisie de ce plan saute aux yeux : les « efforts » sont demandés à ceux qui n’en peuvent déjà plus. Les allocations sont gelées, les retraites bloquées, la santé rognée, mais les dividendes, eux, continuent de pleuvoir. Le CAC 40 a battu tous ses records : 153 milliards d’euros de profits en 2023, 68 milliards reversés aux actionnaires. Où est l’effort des grandes entreprises ? Où est la contribution de ceux qui ont profité, année après année, d’un capitalisme financiarisé qui n’a cessé d’accroître les inégalités ? Nulle part. On parle d’une contribution des plus riches… mais on la renvoie à plus tard, à des débats parlementaires, à des “négociations”. En revanche, pour les retraités et les allocataires, la ponction est immédiate.

Les suppressions de postes dans la fonction publique, les économies dans la santé, le doublement des franchises médicales : ces mesures frappent d’abord celles et ceux qui dépendent des services publics pour vivre dignement. Ce sont toujours les mêmes qui doivent « faire des efforts » : les malades, les personnes âgées, les travailleurs des services essentiels. Pendant ce temps, les grandes entreprises continuent d’accumuler des profits sans être inquiétées.

Une politique de classe

Ce plan d’économies n’a rien d’une nécessité comptable. C’est un choix politique. Un choix assumé d’infliger l’austérité aux classes populaires pour préserver les intérêts des plus fortunés. Sous couvert de « responsabilisation », on culpabilise les malades, on stigmatise les chômeurs, on soupçonne les allocataires d’abuser du système. Le fond du discours reste inchangé depuis trente ans : les pauvres coûteraient trop cher. Le problème, ce ne serait pas l’évasion fiscale, les milliards planqués dans les paradis fiscaux, les niches fiscales qui engraissent les plus riches. Non, le problème, ce serait une journée de congé de trop, une allocation qui augmente d’un euro, un arrêt maladie « abusif ». Le capitalisme déteste ce qui lui échappe : le temps libre, la santé gratuite, la solidarité organisée.

En supprimant deux jours fériés, en gelant les prestations, le gouvernement ne résout rien. Il envoie seulement un message politique : vos droits ne sont pas sacrés, ils sont négociables. Ce n’est qu’une étape de plus dans une guerre sociale larvée, où les classes populaires sont sommées d’accepter un peu plus d’effort, un peu plus d’humiliation, sous prétexte de « solidarité nationale ».

Le mépris des corps épuisés

À écouter le gouvernement, la France manquerait d’ardeur au travail. Ce mépris pour ceux qui tiennent le pays à bout de bras est insupportable. Ce sont ces mêmes travailleuses et travailleurs qui ont permis de traverser la pandémie, qui font tourner les écoles, les hôpitaux, les services publics, les commerces. Ce sont eux qu’on accuse aujourd’hui de ne pas en faire assez. Le réel, c’est un pays fatigué, une population exténuée par des années de réformes qui ont grignoté les droits, fragilisé les existences, réduit les marges de liberté. Le réel, c’est un taux de pauvreté qui explose, des inégalités qui se creusent, des services publics en lambeaux, des soignants qui quittent l’hôpital, des enseignants qui démissionnent, des jeunes qui n’attendent plus rien d’un avenir réduit à une suite de sacrifices.

Dans ce contexte, parler d’« effort collectif » est une indécence. Car cet effort est à sens unique. Le pouvoir ne demande pas d’effort à ceux qui profitent du système, mais à ceux qui le subissent. Les actionnaires, les rentiers, les héritiers, les grandes fortunes : aucun sacrifice, aucun effort. Les salariés, les retraités, les précaires : encore un tour de vis. Voilà la réalité du plan Bayrou.

Contre l’austérité, une autre politique est possible

Derrière le paravent budgétaire, c’est une vision du monde qui se déploie. Celle d’une société où l’économie prévaut sur le social, où l’austérité devient une vertu, où la souffrance devient une responsabilité individuelle. C’est cette vision qu’il faut combattre. Non, la France n’est pas trop généreuse avec ses plus modestes. Non, les services publics ne sont pas un luxe superflu. Non, le temps de repos n’est pas un coût, mais une condition de la dignité humaine.

Il y a d’autres voies possibles : taxer enfin les grandes fortunes, s’attaquer à l’évasion fiscale, réduire les dividendes obscènes, réorienter l’économie vers les besoins sociaux et écologiques plutôt que vers la seule croissance financière. Mais ces voies exigent du courage politique. Or le gouvernement préfère sacrifier le quotidien des plus vulnérables plutôt que d’affronter les puissants.

L’histoire retiendra peut-être que c’est au nom d’un déficit public qu’on a détricoté un siècle de conquêtes sociales. Mais l’histoire retiendra aussi, espérons-le, que des voix se sont levées pour refuser cette logique mortifère, pour défendre une autre idée de la société : celle où l’humain, la solidarité, la justice sociale priment sur la rentabilité comptable.

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