A BATONS ROMPUS avec
Mme MICHELE BERTRAND
________philosophe - psychanalyste___________
A.T. - Madame, pourriez-vous vous présenter?
M.B. - Après avoir intégré l’Ecole Normale supérieure et passé l’agrégation de philosophie, j’ai enseigné pendant cinq ans dans un lycée. Puis ma carrière s’est déroulée entièrement à l’université. A mi-chemin de ma vie, j’ai effectué un parcours psychanalytique, et suis devenue membre de la Société psychanalytique de Paris. J’ai ainsi exercé une pratique psychanalytique tout en enseignant à l’Université.
A.T. - Qui est l'homme de culture qui vous le plus marquée? Et la femme de culture?
M.B. - L’homme de culture qui m’a le plus marquée est Paul Ricoeur. J’ai suivi son enseignement et j’ai été membre de son équipe de recherches jusqu’à sa retraite. Son centre d’intérêt était l’herméneutique, mais il n’a cessé de s’ouvrir et de se confronter à d’autres courants de pensée très différents du sien, la philosophie analytique par exemple, et de cette confrontation sont nés des textes passionnants, comme Temps et récit, entre autres. J’ai aussi admiré en lui l’éthicien, je parle bien d’éthique et non de morale, éthique au sens spinoziste. La philosophie était aussi une manière de vivre, un ethos.
La femme de culture qui m’a le plus marquée est Françoise Héritier, que j’ai eu la chance de rencontrer lorsqu’elle était au Collège de France. Ce que j’aime dans ses recherches, outre le fait qu’elle s’est intéressée au statut des femmes, c’est que son anthropologie n’est pas simplement tournée vers des sociétés « exotiques », mais permet de comprendre et de réfléchir de façon plus universelle , et par exemple aux ethos de notre société. Nous avons parlé psychanalyse, et elle s’est intéressée à ce que la psychanalyse permet de repérer dans un discours d’implicite ou de non-dit, ou encore décèle par les failles de l’argumentation ou les incohérences sémantiques, exercice auquel je me livrais alors.
A.T. - Que pensez-vous de la France d'aujourd'hui?
M.B. - La France d’aujourd’hui m’attriste, j’ai espéré un changement de société, mais c’est la victoire idéologique de la droite que les dernières décennies ont consacrée. En 1970, la droite avait honte d’être de droite, et se disait centriste, aujourd’hui elle s’affirme sans complexes. Il y a plusieurs courants de la droite, certains plus conservateurs que d’autres au niveau des questions de société, mais peu différents à quelques nuances près, sur le plan économique. Cette victoire de la droite se traduit par la dérégulation des marchés financiers, et par suite l’accroissement spectaculaire des inégalités, le taux record du chômage et le sacrifice des services publics, tout cela étant lié.
A.T. - Qu'est-ce qui doit y être cultivé? Qu'est-ce qui doit y être banni?
M.B. - Ce qui doit être cultivé, c’est la fraternité et la solidarité, ce qui doit être banni c’est ce qui fait entrave à cette fraternité et cette solidarité : les intégrismes religieux qui mènent à l’intolérance, les idéologies politiques qui ouvrent la voie au fanatisme et au rejet de l’autre.
A.T.- Quelle politique la France doit - elle mettre en oeuvre à l'égard de l'Afrique?
M.B. - S’agissant de l’Afrique, la France a un devoir de solidarité, mais elle a trop longtemps dispensé des subventions que des potentats locaux ont accaparées au détriment de leurs peuples. Il faudrait plutôt subventionner des programmes de développement économique, éducatifs ou de santé, en veillant attentivement à l’exécution de ces programmes pour qu’ils profitent aux peuples.