Le SNU a 6 ans : c’est en effet le 13 février 2018 que Macron annonçait la mise en place d’un impensable dispositif d’encadrement autoritaire des jeunes, « quelque part entre les Chantiers de jeunesse et la caserne de grand-papa, entre une fixation irrationnelle sur la conscription et une méfiance bien réelle pour la jeunesse », écrivais-je dans la première note de blog que je consacrais au sujet.
Si cette note de blog mettait l’accent sur la portée militaire du SNU, franchement assumée par le rapport Menaouine (un général…) qui l’avait inspiré, il est vrai qu’au cours des six dernières années, même s’il n’a pas fondamentalement changé de nature, plusieurs éléments, peut-être moins perceptibles au départ, sont venus en modifier la portée.
Ainsi, il est incontestable que la dimension identitaire du SNU a pris le pas sur tout le reste ; à travers une extravagante cérémonie quotidienne d’hommage au drapeau, c’est bien une mystique identitaire qu’il s’agit de façonner, « l’amour de la France », avec tout ce que l’image charrie d’absurdité, d’abrutissement (et donc d’intolérance), étant passé au premier rang des objectifs. Significative, la place prise dans la communication officielle et sa réception dans les médias par cette image des jeunes en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau.
Mais surtout, depuis 2018, c’est l’Éducation nationale et elle seule qui s’est vue chargée de la mise en place d’un dispositif visiblement intégré à la scolarité obligatoire. Engagement sans réserve, responsabilité entière de l’Éducation nationale : avec le SNU, ce n’est pas l’armée qui s’incruste à l’École, c’est l’École qui ouvre ses portes à l’armée et à un conditionnement généralisé des jeunes, qu’une scolarisation désormais obligatoire a rendu imparable. Aujourd’hui, cette aberration éducative, dont on ne connaît d’équivalent dans aucune démocratie, c’est l’Éducation nationale qui l’initie et la met en œuvre à travers un dispositif qui ne respecte pas la diversité des opinions, violente la liberté de conscience, la morale et les valeurs des élèves et de leur famille, celles des personnels également, un SNU qui dépouille le service public d’éducation des principes qui fondent sa légitimité et qui détourne le fondement même de l’éducation sur une voie malsaine, une voie déjà trop largement occupée par une multitude de tribuns bruyants et venimeux.
Et c’est bien dans cette perspective que le dispositif « classes engagées, lycées engagés », dernier gadget en date de l’Éducation nationale peut s’afficher ouvertement comme l’une des portes d’entrée du SNU dans la scolarité des élèves : « L’intégration du séjour de cohésion du service national universel (SNU) sera une des constituantes et un pilier du projet pédagogique de la classe engagée. » (note de service du 23/06/2023). La labellisation (1000 € par classe « engagée ») obéit à des critères injonctifs qui, mis bout à bout, aboutissent à rendre toujours plus difficile la contestation en interne du SNU.
Arnaque confirmée avec l’annonce d’un stage obligatoire fin juin pour les élèves de 2nde, plus précisément du 17 au 28 juin 2024. Pourquoi ces dates ? Pour la « reconquête du mois de juin » comme l’affirme Attal ? Plus exactement pour les faire coïncider avec celles du SNU 2024. Comme il est fort probable que 500 000 jeunes ne pourront trouver un stage sur une période aussi brève, mais comme ce stage est obligatoire, il ne leur restera plus qu’à se rabattre sur le séjour dit d’intégration du SNU ou sur la mission dite d’intérêt général, les deux étant validés comme stage…La reconquête du mois de juin sent diablement son encasernement. La chose était attendue depuis l’intégration du SNU à la scolarité en lycée. Alors qu’en terme d’adhésion auprès des jeunes, le SNU se confirmait chaque année comme un échec certain (20 à 30 000 volontaires), avec le stage de 2nde, le gouvernement a trouvé la parade pour leur forcer la main. Une parade aux allures de magouille qui est comme une étape de plus dans la généralisation du SNU.
Il faut bien reconnaître que le rôle joué par l’Éducation nationale dans le développement du SNU n’a jusqu’ici jamais suscité d’opposition franche et massive de la part des personnels de l’institution directement concernée. Quasiment absent des discours syndicaux, rarement évoqué dans la mouvance éducative, le SNU a pu s’imposer durablement dans un paysage scolaire (et probablement dans le quotidien de l’école si rien ne change) où il n’aura rencontré, le plus souvent, qu’indifférence, inconstance, mais aussi, plus d’une fois, une forme de complaisance, de complicité, allant jusqu’à la participation active. La pusillanimité manifestée autour d’une entreprise encore jamais vue jusque-là de mise au pas de la jeunesse laisse une impression curieuse : faut-il croire que, pour les enseignants, l’esprit critique n’aurait sa place que dans les leçons d’EMC ?
Enfin, et dans un même ordre d’idées, il est indéniable que toute une partie de l’éducation populaire, entre adhésion dogmatique et préoccupations financières, s’est sévèrement compromise en collaborant sans état d’âme à l’implantation du SNU sur un terrain, celui de l’éducation, où il n’aurait jamais dû trouver sa place.
Six ans après son acte de naissance, et même si le SNU n’a jamais trouvé son public (un maximum de 40 000 volontaires en 2023 sur 800 000 jeunes de la classe d’âge concernée), même si sa généralisation a été plus d’une fois évoquée puis repoussée (d’abord prévue pour 2021…), c’est bien ce transfert peu contesté du SNU au cœur du service public d’éducation qui fait problème. Six ans pour un SNU qui n’aurait jamais dû passer son premier anniversaire.
Rien de nouveau, en revanche, avec le cortège de violences, brimades, humiliations qui accompagnent traditionnellement le déploiement d’un système éducatif fondé sur l’obéissance et la coercition. Pas plus que sur le coût prohibitif du SNU (160 millions € pour la seule année 2024, 3 milliards € par an en cas de généralisation), exclusivement financé par les budgets de l’éducation et de la jeunesse.