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"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)

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Billet de blog 7 octobre 2025

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Fin du SNU : reculer pour mieux sauter ?

L’annonce de la suppression du SNU ne doit pas ouvrir la porte aux illusions : ce ne sont ni des motivations pacifistes ni une contestation massive – jamais venue – qui motivent la fin du SNU mais plus prosaïquement son coût prohibitif ainsi que des difficultés organisationnelles récurrentes. L'école n'en a sans doute pas fini avec les fantasmes patriotiques et militaires.

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L’annonce de la suppression du SNU (de sa délégation générale plus exactement) ne doit pas ouvrir la porte aux illusions : ce ne sont ni des motivations pacifistes ni une contestation massive – jamais venue – qui motivent la fin du SNU mais plus prosaïquement son coût prohibitif ainsi que des difficultés organisationnelles récurrentes. Le récent rapport d’information de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, paru en même temps que l’annonce de la suppression du SNU (17/09/2025) – ce n’est probablement pas un hasard – retraçant l’historique de son échec, ne se prononce pas sur la suite à apporter… mais laisse percer des suggestions qui confirment que l’école n’en a peut-être pas fini avec les facéties identitaires.

A vrai dire, le rapport en question n’apporte rien de bien nouveau sur les sept années d’expérimentation d’un dispositif né certes d’un caprice présidentiel mais lourd de signification : « un projet d’encadrement militaire de la jeunesse faisant appel à la nostalgie du service militaire ». Rapidement débordé par une « mise en œuvre chaotique », ce projet n’a pas tardé à montrer toutes ses limites, principalement d’ordre logistique et budgétaire, rendant sa généralisation improbable. Et ce, en dépit des dénégations, notamment celles du secrétaire d’état chargé du SNU, l’inénarrable Attal,  qui y  voyait « une réforme extrêmement puissante […] sans doute la réforme de société la plus forte du quinquennat d’Emmanuel Macron », confirmant par cette tirade que la parole publique n’a décidément plus de sens…

Dénonçant « un dispositif conçu de manière verticale : la représentation nationale, les collectivités territoriales et la société civile ont été tenues à l’écart […] Une gouvernance complexe et rigide laissant en pratique une place importante à l’improvisation […] » la commission considère comme une « chimère » la généralisation d’un dispositif dont le fonctionnement annuel, est estimé au minimum entre 3,5 et 5 milliards d’euros,  auquel il faudrait ajouter un investissement de 6 milliards d’euros.

Le signalement de 111 « incidents graves » (problèmes sanitaires, punitions collectives, agressions sexuelles etc) pour le premier trimestre 2024 à un moment où le SNU ne concernait que quelques milliers de volontaires, donne également une autre idée des problèmes à venir en cas de généralisation à 800 000 jeunes non volontaires…

Mais c’est le rapport du SNU avec l’Éducation nationale qui retient tout spécialement l’attention de la commission (et la mienne également dans les nombreuses notes consacrées à ce sujet depuis février 2018…) De fait, après une période de tâtonnements, c’est bien à l’Éducation nationale que fut donnée la charge pleine et entière de la mise en place du SNU. Et c’est peu dire qu’elle s’y est livrée sans avoir à vraiment forcer sa nature. Dès de départ, le SNU trouvait sa place dans le prolongement de l’obligation scolaire, un choix que concrétisait la décision de donner son pilotage au recteur d’académie (juillet 2020). C’est d’ailleurs dans cette optique qu’est adopté le dispositif « classes et lycées engagés » (CLE) faisant rentrer le SNU directement dans le temps scolaire et que le SNU trouve également sa place dans les programmes d’éducation morale et civique (EMC).

Comme à son habitude, la machine Éducation nationale n’a pas rechigné  à se plier aux desiderata du politique, multipliant les « incitations fortes […] à tous les niveaux : des services académiques vers les chefs d’établissement, des chefs d’établissement vers les enseignants et, in fine, des enseignants vers les élèves. » Le rapport  confirme la pleine implication de l’administration et l’existence de pressions exercées sur les élèves : « la participation des élèves au séjour de cohésion CLE demeure volontaire, mais est très fortement encouragée. Ainsi, il est parfois difficile pour un jeune de refuser de participer au séjour proposé en raison de la pression de la classe ou de l’établissement scolaire. Selon l’Injep, 17 % des participants CLE déclarent avoir été obligés de participer au séjour. Pour 90 % de ces élèves, un enseignant ou un membre de l’établissement scolaire était à l’origine de cette « pression à la participation ». Dans la promotion et la mise en place du SNU, la responsabilité de l’Education nationale est donc pleinement engagée. « Sans qu’il soit possible d’évaluer l’ampleur du phénomène – poursuit le rapport – les auditions des organisations des personnels de direction ont montré l’existence d’une certaine pression des services académiques sur les établissements. Ont été évoqués des "incitations fortes afin de répondre aux commandes", des "cibles à atteindre pour les Dasen" , des "quotas, imposés dans les lycées pour fournir des volontaires" et des refus plus compliqués pour les chefs d’établissement "non syndicalistes". Cette « incitation » est en partie confirmée par les responsables des Dasen entendus par les rapporteurs : " Il est souvent difficile pour les équipes de direction de mobiliser les enseignants et une impulsion forte des Dasen est nécessaire"  […] »

Se pose alors la question de l’acceptation ou du refus du SNU, de sa contestation également au niveau des enseignants. « Les organisations syndicales des personnels des établissements scolaires sont fermement opposées aux séjours de cohésion sur le temps scolaire […] Si d’autres organisations ne sont pas opposées, par principe, à la mise en place des séjours de cohésion dès lors qu’ils concernent exclusivement des volontaires en dehors du temps scolaire, toutes en revanche condamnent sans ambiguïté la mise en place des CLE, intervenant sur le temps scolaire. » Sur le principe, poursuit le rapport, « les organisations syndicales critiquent les objectifs des séjours, considérés comme "un fourre-tout résultant d’une dangereuse confusion entre l’armée, l’éducation populaire et l’éducation morale et civique". En définitive, au-delà de quelques professeurs du second degré motivés et convaincus qui souhaitent s’engager dans les séjours de cohésion, il semble qu’une large majorité des enseignants, tous degrés confondus, ait une opinion défavorable du SNU, selon les résultats de la consultation citoyenne opérée dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le rôle de l’éducation et de la culture dans la défense nationale. Même s’il convient de prendre les résultats de cette consultation avec prudence en raison de certains biais méthodologiques […] on constate que près de 77 % des enseignants seraient " défavorables au SNU ". Ce sont même plus de neuf enseignants du second degré sur dix (96 %) qui ne souhaiteraient pas mener un projet pédagogique dans le cadre du label "classes et lycées engagés", soit par principe (car défavorables au SNU), soit parce qu’ils ne sont pas intéressés, soit parce qu’ils n’ont pas le temps ».

Mais si, sur le principe et dans l’entre-soi d’une commission parlementaire, tout parait simple, force est de reconnaître qu’il n’en a pas été de même sur le terrain au niveau des établissements où le SNU a pu se déployer sans rencontrer d’opposition résolue, pas plus que dans la plupart des prises de position publiques, tellement discrètes qu’elles en furent le plus souvent inaudibles. Incontestablement, de 2018 à 2025, le personnel s’est le plus souvent réfugié dans une attitude d’attente ou d’indifférence, teintée d’ambiguïté, qui n’annonçait en rien une contestation décidée – ne rêvons pas de désobéissance – en cas de généralisation. Contestation également très discrète de la part des premiers intéressés – on aurait presque tendance à les oublier : « si les organisations de lycéens sont fermement opposées au SNU – poursuit le rapport –  la perception de ce dispositif par l’ensemble des lycéens est en revanche insuffisamment documentée », constatation dont on évitera de tirer des conclusions trop rapides, notamment parce que les élèves de lycée sont réputé.es pour réagir tardivement à des situations qui, pourtant, les concernent au premier chef. Reste néanmoins que cette absence de réaction peut être mise en parallèle avec une autre enquête d’opinion qui  les montre à 62 % favorables au rétablissement du service militaire…du moins tant qu’il n'en est pas question.

Illustration 1

Enfin, on ne saurait faire l’impasse sur le rôle particulièrement équivoque, jusqu’à l’indécence, tenu par l’éducation populaire dans la mise en place du SNU, une large partie des associations faisant le choix de s’y rallier, l’avantage économique qu’elles y ont trouvé l’emportant sur les problèmes de conscience. Les centres de vacances ayant été identifiés comme adaptés pour l’organisation des séjours dits de cohésion, « de nombreuses associations d’éducation populaire ont décidé de s’associer au SNU en raison de l’intérêt financier qu’elles y trouvaient, sans pour autant qu’il s’agisse d’une manne pérenne. » En 2024, ces associations, dévoyant leur traditionnelle mission d’éducation populaire, ont assuré 45 % des séjours de cohésion, pour un montant total (premier semestre 2024) de 43,6 millions d’euros, soit un tiers du budget du SNU, « dont plus de 25 millions d’euros pour les sept principales fédérations ». En choisissant de faire passer son intérêt financier avant ce qu’on croyait être sa mission historique, au garde-à-vous devant une entreprise de mise au pas des jeunes, l’éducation populaire s’est sévèrement et durablement compromise.

Après sept années de tâtonnements dont les responsables auront vainement tenté de masquer l’inanité, l’échec du SNU apparaît donc patent. Faut-il croire pour autant qu’on en a fini avec cette vision d’une éducation civique héritée du souvenir fantasmé du service militaire ? Si le bilan dressé par l’Assemblée nationale est sans appel, il faut néanmoins le mettre en parallèle avec un autre rapport émanant celui-ci de la commission de la Défense qui ne fait pas mystère de sa préférence pour une éducation morale et civique patriotique et militarisée. Autrement dit, et puisque les contraintes budgétaires semblent exclure le rétablissement d’un service obligatoire à dimension militaire (de type SNU ou autre), de façon insidieuse avance cette idée d’une militarisation assumée de la scolarisation obligatoire.

De fait, en conclusion du rapport sur le SNU, si l’un des deux rapporteurs de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, Idir Boumertit (LFI), se montre partisan d’ « affecter les fonds du SNU à d’autres actions en vue de renforcer l’école publique (…) et de soutenir l’éducation populaire », les recommandations de l’autre rapporteur, Maxime Michelet (droite Ciotti), qui auraient paru inconcevables il y a encore quelques années, peuvent aujourd’hui s’afficher non seulement sans peur du ridicule mais surtout sans blesser l’air du temps. Pour ce député, il s’agit en effet de « répondre au défi de l’unité nationale par un lien facilité entre l’armée et la jeunesse et par la reconstruction d’une école de la nation […] de rebâtir une école de la nation qui transmette l’impératif d’unité nationale. » Une école de la nation dont les exigences se ramènent à des rituels éculés mais fortement militarisés : avec en bonne place l’uniforme obligatoire, obsession pathologique de la droite, mais aussi cérémonie de lever du drapeau chaque semaine dans les établissements, participation obligatoire aux cérémonies dites mémorielles, « garde des drapeaux patriotiques » par les élèves…

Improbable ? Inimaginable ? Mais si cette liste infinie de tocades patriotiques peut s’afficher sans fard dans un rapport parlementaire, n’est-ce pas justement parce qu’au fil des années, des instructions officielles, lui ont donné comme un début de réalité ? En dépit de toute rationalité, l’uniforme scolaire s’est bruyamment imposé dans le débat éducatif, les symboles nationaux ont envahi les salles de classe, la Marseillaise fait l’objet d’un apprentissage quasi religieux au cœur d’un dispositif dit « moral et civique » construit autour de l’adhésion obligatoire à une régime politique et social (sous l’appellation non contrôlée de « république »…) jamais remis en question. Une sorte de culte laïque qui, à bien y regarder, a suscité au sein des établissements aussi peu d’interrogations, d’opposition que l’expérimentation du SNU.

Exit donc le SNU, emporté par le déficit budgétaire et les fantaisies d’un calendrier politique non maîtrisé, davantage que par une contestation frontale et une réflexion sur la finalité civique et morale de l’école. Dans son principe voulu comme un instrument de mise au pas de la jeunesse intégrée dans une mystique identitaire, le SNU pourrait bien réapparaître sous une autre forme : totalement intégré à la scolarité obligatoire, gratuit pour le contribuable… Une hypothèse rendue plausible par un contexte politique particulièrement délétère gangrené par une symbolique identitaire et autoritaire qui a déjà fait de l’école son terrain d’expérimentation.

Sur ce blog : 

SNU : la faute de l’Éducation nationale

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