B. Girard
"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)
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Billet de blog 10 nov. 2018

B. Girard
"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)
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11 novembre : "détrousseurs de cadavres et imposteurs..."

Le grand cirque mémoriel aux relents se termine dans une confusion, un désordre, qui n’ont rien d’accidentel. Ces quatre années de commémoration officielle, ont montré, notamment à l'école, que l’hommage aux morts était un prétexte à tout autre chose, un hommage à la guerre et une légitimation des dirigeants et des idéologies qui rendent les guerres possibles.

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Le grand cirque mémoriel aux relents « de terre et de morts » chantés par Barrès se termine dans une confusion, un désordre, qui n’ont rien d’accidentel. L’hommage à Pétain ou l’interpellation répugnante de Macron par un ancien combattant (d’Algérie, probablement) sur les migrants ne sont pas des dérapages : par les valeurs auxquels ils se réfèrent, ils confirment que l’hommage aux morts est un prétexte à tout autre chose, un hommage à la guerre et une légitimation des dirigeants et des idéologies qui rendent les guerres possibles.

Qui, mieux que le romancier américain Dalton Trumbo, a trouvé les mo(r)ts qu’il fallait pour dénoncer cette imposture ?

« (...) Vous entendrez toujours de gens qui sacrifient volontiers la vie des autres. Ils font beaucoup de tapage et ils n’arrêtent pas de parler. Vous en trouvez dans les églises et les écoles et les journaux et les corps législatifs et les congrès. C’est leur métier. Leurs paroles sonnent bien. La mort plutôt que le déshonneur. Le sol sanctifié par le sang. Ces hommes qui sont morts noblement. Ils ne sont pas morts en vain. Nos glorieux morts.

Hmmmm.

Personne n’est-il jamais revenu d’entre les morts un seul mort sur les millions qui se font tuer n’est-il jamais revenu pour vous dire mon dieu que je suis content d’être mort parce que la mort vaut toujours mieux que le déshonneur ? Ont-ils dit je suis content d’être mort pour sauver la démocratie dans le monde ? Ont-ils dit je préfère la mort à la perte de la liberté ? L’un d’ eux a-t-il jamais dit je songe avec joie que j’ai eu les entrailles arrachées pour l’honneur de mon pays ? L’un d’eux vous a-t-il jamais dit regardez moi je suis mort mais j’ai péri pour défendre la morale et cela vaut mieux que d’être vivant ? L’un d’eux vous a-t-il jamais dit me voici il y a deux ans que je pourris dans la tombe en pays étranger mais c’est magnifique de mourir pour sa patrie ? L’un d’eux vous a-t-il jamais dit hourra je suis mort pour l’honneur des femmes et j’en suis heureux voyez commme je chante bien que j’aie la bouche tout obstruée de vers ?

Personne en dehors des morts ne sait si toutes ces idées dont parlent les gens valent la peine qu’on meure pour elles ou non. Mais les morts ne parlent pas. Aussi toutes les paroles sur la noblesse de la mort et le caractère sacré du sang versé et l’honneur sont-elles mises dans la bouche des morts par des détrousseurs de cadavres et des imposteurs qui n’ont pas le droit de parler au nom des morts. Si un homme dit plutôt la mort que le déshonneur c’est un sot ou un menteur car il ne sait pas ce qu’est la mort (...) S’il est assez sot pour croire que la mort vaut mieux que le déshonneur qu’il se mette sur les rangs et qu’il meure. Mais qu’on laisse donc les petits gars tranquilles quand ils sont trop occupés pour aller se battre. Et qu’on laisse également les gars tranquilles quand ils disent que préférer la mort au déshonneur c’est de la foutaise et que la vie est plus importante que la mort (...).

Et tous les gars qui sont morts tous les cinq millions ou les sept millions ou les dix millions qui sont allés au front et qui sont morts pour sauver la démocratie dans le monde pour rendre le monde propice à l’épanouissement de mots creux qu’ont-ils éprouvé au moment de mourir ? Qu’ont-ils ressenti quand leur sang s’est répandu dans la boue ? Qu’ont-ils ressenti quand ils ont été touchés par les gaz qui leur ont rongé entièrement les poumons ? Qu’ont-ils ressenti quand ils gisaient dans les hôpitaux en proie à la folie et qu’ils regardaient la mort droit en face et qu’ils la voyaient arriver et les emporter ? (...) Ils sont morts en pleurant en leur for intérieur comme des gamins. Ils ont oublié pourquoi ils se battaient pourquoi ils mouraient. Ils pensaient à des choses qui sont à la portée des hommes. Ils sont morts en souhaitant ardemment la présence d’un visage ami. Ils sont morts en réclamant dans leurs gémissements la voix d’une mère d’un père d’une femme d’un enfant. Ils se sont éteints la mort dans l’âme en aspirant à jeter un dernier coup d’œil à leur maison natale je vous en supplie mon Dieu rien qu’un coup d’œil. Ils sont morts en se lamentant et en soupirant après la vie. Ils savaient à quoi il fallait attacher de l’importance. Ils savaient que la vie c’est tout et ils sont morts dans les cris et les sanglots. Ils sont morts avec une seule idée en tête je veux vivre je veux vivre je veux vivre (...).

Il n’ y a rien de noble dans le fait de mourir. Même pas si vous mourez pour l’honneur (...). La chose qui a le plus d’importance c’est votre vie mes petits gars. Morts vous n’êtes bons à rien sinon à servir de sujet aux discours. Ne les laissez plus vous duper. Ne leur prêtez pas d’attention quand ils vous taperont sur l’épaule en disant venez nous allons nous battre pour la liberté ou quel que soit le mot qu’ils emploieront car il y a toujours un mot (...) Rien n’est supérieur à la vie. Il n’y a rien de noble dans la mort. Qu’y a-t-il de noble à être enseveli dans la terre et à se décomposer ? Qu’y a-t-il de noble à ne plus jamais revoir la lumière du soleil ? Qu’ y a-t-il de noble à avoir le bras et les jambes arrachées ? Qu’ y a-t-il de noble à être idiot ? Qu’y a-t-il de noble à être aveugle et sourd et muet ? Qu’y a-t-il de noble à être mort ? Quand on est mort monsieur tout est terminé. C’est la fin. On est moins qu’un chien moins qu’un rat moins qu’une abeille ou une fourmi moins qu’un vermisseau qui rampe sur un tas de fumier. On est mort monsieur et on est mort pour rien.

On est mort monsieur.

Mort. »

Dalton Trumbo, Johnny s’en va-t-en guerre, 1939, trad. française Actes Sud, 1987.

Sur ce blog : "A l'école, le devoir de mémoire est une escroquerie mémorielle."

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